Josep Borrell, le Haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères de l'UE a admis que les pays du Sud recherchent une alternative à l'Occident. A l'occasion de sa participation à l'Assemblée générale des Nations Unies, il a présenté son point de vue sur la crise du multilatéralisme. Les pays du Sud refusent de suivre l'Occident dans son soutien à l'Ukraine. Le nouvel ordre mondial a pris forme devant l'impuissance des dirigeants de l'Occident.
Le conflit en Ukraine accélérateur de la chute de l'Occident. «Cette réalité se reflète», selon Josep Borrell, «dans les réactions» au conflit en Ukraine car de nombreux «pays du Sud» ne souhaitent pas aller contre la Russie. Pour Josep Borrell les pays du Sud «ne veulent pas que l'Ukraine domine l'agenda mondial» puiqu' «ils craignent par exemple que le financement de la transition verte dans les pays du Sud ne soit affecté par la nécessité de financer la reconstruction en Ukraine». En fait, «pour de nombreux pays éloignés de l'UE», ce qui se passe «en Ukraine ressemble à un simple conflit frontalier entre un grand pays et son petit voisin» et «ce n'est pas un problème si grave finalement».
Fin de l'hégémonie de l'Occident. Le Haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères de l'UE nomme la fin de l'hégémonie de l'Occident: «En 1990, le G7 représentait 67% du PIB mondial ; aujourd'hui, cette part est tombée en dessous de 40%. En 1990, la part de la Chine dans le PIB mondial était de 1,6%, aujourd'hui elle s'élève à 18%. Au sein du G7, la part des États-Unis a diminué mais bien moins que celle de l'Europe et du Japon et, dans le monde occidental, les États-Unis continuent de prédominer clairement». «Au-delà du G7, la multipolarité est avant tout le résultat de l'impressionnante ascension de la Chine. D'où la reconfiguration des relations mondiales autour des États-Unis et de la Chine. Ensemble, ils représentent plus de 40% de la richesse mondiale et exercent par conséquent un pouvoir important sur le système international. Dans les décennies à venir, l'Inde pourrait également rattraper son retard sur la Chine et les États-Unis», prédit-il.
«Les règles qui régissent le monde s'essoufflent». «J'ai présenté mon point de vue sur un monde de plus en plus multipolaire et de moins en moins multilatéral, ainsi que sur la manière d'éviter sa fragmentation», a averti Josep Borrell lorsqu'il a rencontré le professeur Joseph Weiler de l'Université de New York pour discuter de la crise actuelle du multilatéralisme. «Les règles qui régissent le monde s'essoufflent. Nous devons trouver des moyens de surmonter ce paradoxe», continue-t-il. Il constate que les pays en développement du Sud recherchent une alternative à l'Occident.
«Nous vivons véritablement dans un monde de plus en plus multipolaire». «À mesure que le nombre de joueurs dans le jeu augmente, la réaction naturelle devrait être de resserrer les règles du jeu. Mais, nous sommes confrontés à la tendance inverse: les règles qui régissent le monde s'épuisent», annonce Josep Borrell sur son blog. «Lorsque le nombre de participants à un jeu augmente, la réponse naturelle devrait être de renforcer les règles qui régissent le jeu», affirme-t-il.
Les trois aspects de la multipolarité. D'après l'analyse de Josep Borrell, «cette nouvelle multipolarité résulte de la combinaison de trois dynamiques». «Premièrement, une répartition plus large des richesses dans le monde, deuxièmement, la volonté des États de s'affirmer stratégiquement et idéologiquement et, troisièmement, l'émergence d'un système international de plus en plus transactionnel, basé sur des accords bilatéraux plutôt que sur des règles mondiales».
Désir de souveraineté. «La multipolarité n'est pas seulement le résultat de la répartition des richesses. Le nouveau monde multipolaire se caractérise également par une demande croissante de souveraineté et d'identité. Surtout dans ce que l'on appelle le Sud global bien qu'il s'agisse d'un groupe de pays très hétérogène», reconnaît le Haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères de l'UE. Il en ressort de son analyse qu'«en Amérique latine, en Afrique, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et, bien sûr, en Asie, presque tout le monde pense désormais qu'il existe des alternatives crédibles à l'Occident, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan technologique, militaire et idéologique».
«Les pays recherchent des alternatives au modèle occidental au cas par cas, comme c'est le cas actuellement dans différents pays d'Afrique. Ces pays semblent disposés à travailler avec n'importe quel acteur qui semble opportunément capable de remplacer les anciens. Ces nouveaux acteurs offrent l'avantage de ne pas se demander qui est en prison ni où va réellement l'argent. Cela convient à de nombreux régimes», veut-il voir, précisant: «Cela ne signifie pas nécessairement qu'avec la montée en puissance de la Chine, un nouveau modèle mondial émerge. Cela ne signifie pas non plus que la Chine tentera de convaincre les pays tiers d'adopter son modèle dans toutes ses dimensions».
«Un monde transactionnel plutôt que multilatéral». D'avis de Josep Borrell, «cette nouvelle multipolarité entraîne une absence de consensus international sur presque toutes les questions». Cela arrive à une «époque où le besoin d'une réglementation mondiale augmente», et «cela alimente la dissidence». Le diplomate de l'UE veut signaler que «si nous renonçons à la capacité collective mondiale d'établir des règles, chacun fera ce qu'il peut ou comme bon lui semble».
«On assiste notamment à une impasse sur les questions de sécurité. Depuis près de dix ans maintenant, le Conseil de sécurité est rendu inefficace par l'usage inapproprié de son droit de veto par la Russie, s'opposant systématiquement à de nombreuses décisions sur l'Ukraine – bien sûr – mais aussi sur d'autres crises comme la Syrie ou le Mali. Nous sommes dans une impasse au Conseil de sécurité mais également en ce qui concerne la réforme du Conseil de sécurité. Aucun membre permanent n'est prêt à renoncer à son droit de veto», déplore-t-il.
«Nous avons donc à la fois des acteurs de plus en plus influents et des défis mondiaux de plus en plus nombreux, mais il est de plus en plus difficile de parvenir à un consensus pour y faire face. Il n'existe plus de coalition de puissances dominantes capables d'imposer un ordre mondial. Au contraire, les puissances concurrentes ont tendance à se neutraliser. Cette situation risque de persister jusqu'à ce que l'équilibre des pouvoirs entre les acteurs dominants se soit stabilisé», fait-il savoir.
«Le risque de scission en blocs concurrents». Josep Borrell qui a fermement organisé et vanter les sanctions contre la Russie obligeant ce pays à prendre la tangente vis-à-vis de l'Occident se lamente du fait que le monde est devenu très dangereux alors qu'il pouvait éviter ce scenario en cherchant la voie de la diplomatie avec Moscou dès le début pour éviter une rupture définitive: «Cela pourrait conduire à la scission de l'ordre mondial en blocs concurrents dans les domaines de la sécurité, de l'intégration économique et de la technologie», pleurniche-t-il tirant un bilan négatif sur l'hégémonie occidentale: «L'absence de consensus divisera alors le monde et forcera les pays tiers à s'aligner sur l'un des systèmes concurrents. Cela pourrait être le cas par exemple pour Internet, où des pays comme la Russie et la Chine pourraient imposer leurs propres normes spécifiques et diviser le cybermonde. Une telle fragmentation entraînera bien entendu d'énormes coûts économiques et réduira les incitations à la coopération sur des questions mondiales telles que le climat».
L'ordre mondial a basculé. Le Haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères de l'UE se trouve perdu dans ce nouveau monde, mais reconnaît qu' «il est difficile d'imaginer une refonte globale de l'ordre mondial tant qu'il n'existe pas de consensus sur cette question entre les grandes puissances, notamment entre les États-Unis et la Chine». «Le multilatéralisme descendant traditionnel, impliquant de grandes conférences au cours desquelles tous les pays prennent des décisions ensemble sur des questions, fonctionne de moins en moins», conclut-il. Quoi qu'il en soit, Josep Borrell à son poste de Haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères de l'UE n'a pas été un visionnaire géopolitique pour assurer la sécurité des pays de l'UE, mais aussi celle du monde nouveau qui prend forme aujourd'hui. Josep Borrell, au final, résume ce qu'est cette élite occidentale: incompétence.
Philippe Rosenthal
La source originale de cet article est Observateur Continental
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