Par Craig Murray
Demain [le 26 janvier 2024], la Cour internationale de justice rendra sa décision sur la requête sud-africaine de mesures conservatoires visant à empêcher un génocide à Gaza. Nombreux sont ceux qui retiennent leur souffle dans l'attente d'une main tendue. Quelle en sera l'issue ?
Vous pouvez lire mon point de vue sur certains des arguments en jeu dans mon article pour Middle East Eye. Il n'y a pas d'espace commentaires sur MEE, alors n'hésitez pas à discuter de cet article ici.
Vous vous souviendrez que mes impressions sur le comportement des juges à La Haye ne m'ont pas laissé beaucoup d'espoir. Ils ne semblaient vraiment pas à l'aise dans une affaire qui met en accusation les agissements de l'ensemble de l'establishment politique occidental, et pas seulement ceux d'Israël. Pourtant, on ne pouvait pas dire que l'Afrique du Sud n'avait pas présenté de solides preuves prima facie de génocide, y compris de nombreuses preuves d'intention, ce qui, à ce stade, était le mieux que ce que l'Afrique du Sud avait à faire.
Il me semble que les juges ont été visiblement intéressés par les arguments de procédure selon lesquels l'Afrique du Sud ne pouvait pas porter l'affaire devant les tribunaux parce qu'elle n'était pas en conflit avec Israël au moment de la plainte. Mais je ne pense pas que cet argument tienne la route. Il ne fait aucun doute qu'il existe un différend entre l'Afrique du Sud et Israël sur la question de savoir si ce dernier commet un génocide. Le problème de procédure ne découle pas du texte de la Convention sur le génocide, mais simplement de la jurisprudence antérieure de la Cour, qui indique que les parties devraient s'efforcer de parvenir à une solution avant de s'adresser à la Cour.
Aucune de ces jurisprudences antérieures ne concerne le génocide. Dans tout cas de génocide présumé, il y a une urgence criante. Si l'argument procédural d'Israël devait être retenu, tout pays commettant un génocide n'aurait plus qu'à ignorer toute question sur le thème, et personne ne pourrait le poursuivre en justice, jusqu'à ce que le délai "raisonnable" de réponse soit écoulé, période pendant laquelle le génocide pourrait allègrement se poursuivre. Qu'est-ce qu'un "délai raisonnable" quand des dizaines d'enfants sont tués chaque jour ? Je ne pense pas que la Cour tombe dans le panneau, bien qu'elle soit visiblement pressée d'être dégagée de toute responsabilité.
Les juges sont bien sûr eux-mêmes des membres très privilégiés de l'élite dirigeante. Le monde entier n'a jamais vu aussi clairement à quel point cette élite est acquise à la cause sioniste. Mais je garde encore un peu d'espoir car la Cour internationale de justice a des antécédents vraiment sérieux. Si demain nous apprenons qu'elle a failli, nous saurons que la notion de droit international aura définitivement disparu.
Les équipes juridiques d'Israël et de l'Afrique du Sud auront probablement reçu, dans la plus stricte confidentialité, une indication du résultat de la part du président. Il s'agit de parer à tout évènement spontané et inattendu devant le tribunal. S'ils ne l'ont pas encore fait, ce sera fait demain matin à la première heure.
Mais lorsque 17 juges de nationalités diverses siègent ensemble, dont un Sud-Africain et un Israélien, et que plusieurs d'entre eux sont exposés à l'influence et au dialogue avec leurs gouvernements respectifs, il faudrait être particulièrement stupide pour croire que la décision n'a pas déjà fait l'objet de fuites dans les cercles officiels haut-placés. Ce qui me réconforte, c'est que le ministre sud-africain des affaires étrangères se rend à La Haye pour entendre la décision. Il ne le ferait pas si le résultat était un échec.
Là où il y aurait humiliation, c'est dans la volonté de la classe politique occidentale de s'abaisser purement et simplement à reconnaître la simple vérité des crimes d'Israël. À grande échelle, ils déclarent qu'il est absurde de prétendre que les 15 000 enfants morts jusqu'à présent pourraient dénoter une intention génocidaire. À une échelle plus réduite, Rishi Sunak, Keir Starmer et le porte-parole du département d'État américain ont tous refusé, au cours des dernières 24 heures, de dire, clairement, que c'est un crime de tirer sur un civil non armé portant un drapeau blanc.
Je m'attends à ce que la décision de demain soit un simulacre de jugement. La Cour dira qu'elle se prononcera sur l'affaire en temps voulu et que, dans l'intervalle, Israël devrait veiller à prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer au droit humanitaire international et réprimer l'incitation au génocide. Rien ne changerait donc.
Si toutefois la Cour ordonne un cessez-le-feu sur la base d'une preuve prima facie de génocide, je pense que l'on assistera à une sérieuse modification des agissements des politiciens occidentaux, y compris une réduction de l'armement d'Israël. Bien entendu, cela n'arrêtera pas Israël.
Israël se livre au génocide des Palestiniens depuis 75 ans. Tout ce que nous avons depuis le 7 octobre, c'est une nouvelle phase d'intensification. Au cours de l'année précédant le 7 octobre 2023, Israël a tué plus de 350 Palestiniens. Israël poursuivra ses politiques génocidaires jusqu'à ce que son État d'apartheid soit aboli. Telle est l'évidence fondamentale que la CIJ n'abordera pas demain.
Craig Murray
Article original en anglais : Armed Conflict and the ICJ, le 25 janvier 2024
Traduction : Spirit of Free Speech
La source originale de cet article est craigmurray.org
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