28/03/2024 arretsurinfo.ch  8 min #245719

Attaque terroriste au Crocus City Hall : le bilan s'alourdit à 115 morts

« L'enquête russe sur l'attentat terroriste n'en est qu'à ses débuts »

Par  Scott Ritter

Scott Ritter, un ancien inspecteur de la commission spéciale des Nations unies, donne une version de l'attentat terroriste perpétré dans la salle de concert du Crocus City Hall à Moscou sensiblement différente de celle établie dés le 22 mars 2024, par de nombreux professionnels du renseignement. Il ne donne pas le fin mot de l'histoire. Tout reste donc ouvert. (ASI)

Par  Scott Ritter

Publié le 27 mars 2024 sur le blog de  Scott Ritter sous le titre  Le Nord le vrai

Le Nord le vrai

La navigation astronomique est un art ancien qui consiste à utiliser les étoiles pour tracer une route en haute mer, du temps où les boussoles n'existaient pas encore. La clé d'une navigation astronomique réussie consiste à définir sa position par rapport à l'étoile Polaire. À défaut, on prenait le risque de naviguer sans but sur une mer dépourvue de points de référence fixes, au risque de mourir ou, pire encore, d'être naufragé sur un point inconnu de la planète.

Après une tempête, le capitaine d'un navire et son navigateur scrutaient le ciel à la recherche de l'étoile Polaire, à partir de laquelle ils pouvaient déterminer non seulement la direction du pôle Nord, mais aussi leur position par rapport à l'étoile polaire dans le ciel, afin de pouvoir naviguer en toute sécurité.

Lorsque les forces d'opérations spéciales sont menacées derrière les lignes ennemies, elles procèdent à ce qu'elles appellent "esquive et fuite", c'est-à-dire éviter d'être repérées et probablement tuées ou capturées, tout en se dirigeant vers un abri désigné à l'avance, d'où elles pourront se regrouper ou être évacuées. La CIA forme ses agents opérationnels à des compétences similaires. Les deux organisations appellent familièrement ces actions "retrouver leur vrai nord".

Les auteurs de l'horrible attentat contre le Crocus City Hall and Concert Center à Krasnogorsk, une communauté urbaine située au nord-ouest de Moscou, n'étaient pas différents de tous les autres terroristes/militants avant eux : après leur acte barbare, ils ont cherché leur "vrai nord" pour parvenir à s'enfuir.

Les gouvernements occidentaux, les analystes et les experts ont proclamé haut et fort que les hommes qui ont perpétré l'attentat contre le Crocus City Hall n'avaient strictement rien à voir avec l'Ukraine, et ont au contraire adhéré collectivement à un récit qui dépeint les hommes comme des membres de l'État islamique-Khorasan (EI-K). L'État islamique est une ramification d'Al-Qaïda-Irak (AQI) qui a vu le jour en 2013 lorsque les principaux membres d'AQI se sont installés en Syrie. En 2014, l'EI s'est proclamé "califat" et a lancé une série d'opérations qui lui ont permis de prendre le contrôle d'un tiers de la Syrie et d'un quart de l'Irak, avant d'être repoussé et finalement vaincu par une coalition réunissant l'Irak, les États-Unis et l'Iran.

En 2014, des combattants d'Asie centrale affiliés à Al-Qaïda en Afghanistan ont formé une branche de l'EI en Afghanistan, connue sous le nom d'EI-K, qui signifie Khorasan (EI-K). Le Khorasan est un terme ancien désignant le territoire englobant l'Iran, le Turkménistan et l'Afghanistan actuels. L'EI-K poursuit aujourd'hui ses activités en Afghanistan et en Iran, ainsi que dans les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale, dont l'Ouzbékistan et le Tadjikistan.

Terroristes attaquant le Crocus City Hall

Selon des responsables américains, les États-Unis ont recueilli des renseignements selon lesquels l'EI-K préparait une attaque contre Moscou au début du mois de mars. Ces renseignements ont motivé l'avertissement public lancé par l'ambassade des États-Unis en Russie le 7 mars, selon lequel des "extrémistes" préparaient une attaque imminente contre de grands rassemblements à Moscou.

"Nous conseillons aux citoyens américains d'éviter les grands rassemblements au cours des prochaines 48 heures", indiquait l'avertissement publié sur le site web de l'ambassade. Les citoyens américains ont été invités à éviter les foules, y compris les concerts. Ces fonctionnaires américains ont également affirmé (et la Russie l'a reconnu) que la Russie avait été informée des renseignements à l'origine de l'avertissement du 7 mars. Ces informations ont été partagées sur le principe du "devoir d'alerte", selon lequel les renseignements américains sur les attaques terroristes potentielles doivent être partagés avec les cibles présumées. Toutefois, au lieu de transmettre ces informations par les canaux officiels, la transmission s'est faite de manière non officielle, par des canaux informels, diluant ainsi de manière significative l'impact de l'information. (*)

Les assaillants ont posté une photo d'eux récitant la Shahada, ou serment et credo islamiques ["Je témoigne qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu, et je témoigne que Muhammad est le Messager de Dieu"] qui, s'il est fait sincèrement, est tout ce qui est requis pour être identifié comme musulman aux yeux de Dieu. Si les spécialistes de l'islam soulignent qu'il suffit de réciter les mots, pour les djihadistes, la récitation de la Shahada accompagnée de l'index droit levé est devenue de rigueur - Oussama Ben Laden l'a prononcée de cette manière, tout comme Abou Bakr al-Baghdadi, le fondateur de l'État islamique.

La Shahada est un rituel, et ceux qui la prononcent doivent en comprendre toute l'importance pour lui donner un sens. Ainsi, si l'on incorpore l'élévation de l'index droit dans le rituel de la Shahada, cela doit être fait avec piété. L'utilisation de la main droite est essentielle - dans la foi musulmane, la main droite symbolise tout ce qui est bon, et la gauche est réservée aux actes impurs : "Nul parmi vous ne doit manger ni boire à l'aide de sa main gauche, car le shaytaan (le diable) mange et boit de la main gauche".

Les quatre agresseurs ont prononcé ce serment en levant la main gauche.

Ils ont également publié cette photographie avec leurs visages floutés, afin de protéger leur identité.

La récitation de la Shahada ne peut faire l'objet d'aucun subterfuge : il s'agit d'un serment prononcé devant Dieu et devant les hommes.

De plus, le floutage de leurs visages indiquait que les assaillants avaient l'intention de survivre à leur mission.

Les assaillants du Crocus City Hall récitant la Shahada

Pour la plupart des militants affiliés à l'EI-K, le Nord est le chemin du martyre, un aller simple pour le paradis. Leur objectif est d'infliger le plus de souffrances possible avant d'être chassés de cette terre des mortels, acte généralement confirmé par l'utilisation d'un gilet-suicide déclenché à un moment où davantage de morts et de destructions peuvent être infligées.

Or, les auteurs de l'attentat contre le Crocus City Hall ne portaient pas de gilet-suicide. En effet, ils n'avaient pas l'intention de perdre la vie, mais plutôt de vivre et de pouvoir savourer le fruit de leur labeur, un prétendu paiement de 5 500 dollars pour services rendus.

Il ne s'agissait pas de militants islamistes.

Il s'agissait de mercenaires déguisés en militants islamistes.

Une fois leur carnage terminé, les prétendus combattants de l'EI-K ont sauté dans leur voiture et se sont dirigés vers leur "vrai nord".

L'Ukraine.

L'Ukraine. La source de leur financement.

L'Ukraine. La source de leur motivation.

L'enquête russe sur l'attentat terroriste n'en est qu'à ses débuts. De nombreux faits restent à élucider.

Mais une pléthore de données permet de compléter le puzzle avec suffisamment de pièces pour voir émerger un schéma discernable.

Les autorités russes ont tout fait pour s'assurer que les quatre auteurs de l'attentat soient capturés vivants.

Les auteurs sont en train d'être interrogés. Bon nombre des techniques utilisées par la Russie ne seraient pas autorisées aux États-Unis, car elles pourraient facilement être qualifiées de torture. De plus, de nombreux professionnels du renseignement - dont je fais partie - ne reconnaissent pas la valeur d'un aveu fait sous la contrainte.

Néanmoins, les enquêteurs russes ne partent pas à la pêche aux informations, mais s'appuient sur des faits précis tirés de l'examen médico-légal des téléphones portables des quatre terroristes, actuellement en la possession des autorités russes. L'un de ces téléphones a été retrouvé sur les lieux du crime, et les données qu'il contenait ont été utilisées par les agents de sécurité russes pour suivre les terroristes alors qu'ils quittaient Moscou en direction de l'Ukraine. Les numéros de téléphone contenus dans le téléphone retrouvé ont permis aux Russes de localiser les autres téléphones, et de surveiller en temps réel les appels téléphoniques passés par les terroristes, y compris les nombreux appels à des interlocuteurs en Ukraine qui s'efforçaient de créer une brèche dans la frontière russo-ukrainienne par laquelle les terroristes pourraient s'enfuir.

Le Nord le vrai.

Les Russes ont pu identifier la structure centrale d'un réseau de soutien à Moscou qui fournissait aux quatre terroristes des moyens de transport et un logement.

Onze arrestations ont été effectuées dans ce cadre.

Les Russes ont identifié un réseau actif en Turquie qui a participé au recrutement, à l'entraînement, à la préparation logistique et au soutien de l'opération terroriste à Moscou.

Quarante arrestations ont été réalisées en conséquence.

Mais surtout, la Russie a recueilli suffisamment d'informations pour lancer un mandat d'arrêt contre le chef des services de sécurité ukrainiens, Vasyl Malyuk, accusé d'incitation publique au terrorisme. De même, le chef des services de sécurité russes, Alexander Boritnikov, a déclaré que lorsqu'il s'agira de juger les Ukrainiens susceptibles d'avoir été impliqués dans l'attentat contre la salle de concert Crocus, "la messe sera dite".

La Russie semble ainsi naviguer d'un point à l'autre.

Non pas vers un havre de paix, mais plutôt sur la voie de la vengeance.

Et son "vrai nord" est le même que celui des terroristes.

L'Ukraine.

Vasyl Malyuk, chef du SBU ukrainien

(*) Ndlr: L'ambassadeur de Russie aux Etats-Unis, Anatoli Ivanovitch, a précisé en effet que la Fédération de Russie n'avait reçu aucune communication officielle de la part des USA.

Source:  Scott Ritter

 arretsurinfo.ch

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