Par Patrick Lawrence
"BIDEN SE RETIRE DE LA PRÉSIDENTIELLE 2024", tel était le titre de la première page numérique du New York Times dimanche. Comment ne pas penser au 9 août 1974, lorsque le Times avait titré en première page "DÉMISSION DE NIXON" – même police de caractère, même taille, majuscules…
Richard Nixon a démissionné de la présidence en pleine disgrâce. Tout le monde le savait, même Nixon, et il n'y avait pas lieu de prétendre le contraire. Nixon semble avoir fait de son mieux dans ces circonstances : le sous-titre de la dépêche du Times était "IL A BESOIN D'UNE PAUSE".
Joe Biden a peut-être fait de son mieux en annonçant dimanche matin qu'il ne se représenterait pas aux élections de novembre. Mais qu'il ait fait de son mieux ou non, a su tirer le pire parti de la situation.
Il aurait pu se retirer il y a plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avec grâce et un semblant de dignité. Au lieu de cela, il a insisté sur le fait qu'il "n'allait nulle part", se réfugiant dans le déni le plus total jusqu'à ce qu'il soit contraint de quitter ses fonctions en ayant l'air d'un vieil homme idiot qui ne fait qu'entraver le cours des choses.
"L'Amérique n'a jamais été aussi bien placée pour diriger le monde", a écrit M. Biden dans la "Lettre à mes compatriotes américains" qu'il a publiée dimanche sur les réseaux sociaux. Si j'étais Ronald Reagan, je secouerai la tête par dérision, et dirais : "Le voilà qui recommence".
Biden finira ses jours en supposant, comme il le fait ici, qu'il peut proférer les foutaises les plus insensées, en contradiction avec des réalités parfaitement évidentes, et qu'elles seront admises tout simplement parce qu'il les a proférées. le gars de Scranton, pour qui la sincérité est une notion abstraite et l'honnêteté élémentaire une page absente de son répertoire, a pu s'en tirer pendant des décennies, alors qu'il siégeait au Sénat.
Mais la Maison Blanche l'a tout simplement éliminé. Poids plume à l'heure de faire ses preuves en tant qu'homme d'État et dirigeant, Joe Biden n'aurait jamais dû arpenter la Maison-Blanche autrement que comme visiteur.
Parmi les nombreuses vérités dignes d'être signalées à propos de la présidence Biden, la plus importante à mon avis est qu'il a fait déraper, erreur après erreur, méconnaissance après méconnaissance, connerie après connerie, l'érosion progressive mais depuis longtemps évidente du pouvoir, du prestige et de la réputation des États-Unis, en un collapsus vertigineux.
Un Imperium en ruine
Premièrement, la décadence gouvernée par M. Biden était inévitable. Biden a accéléré la détérioration du pouvoir et de la réputation de l'Amérique – "Ne sous-estimez pas la capacité de Joe à tout foutre en l'air", a dit un jour Barack Obama à son sujet – mais tout n'est pas entièrement de sa faute.
L'imperium américain, vieux d'un siècle et quart ou de huit décennies, selon la date de son émergence, était dès le départ voué à l'effondrement, et c'est le destin de nos contemporains que d'être les témoins de ce dénouement. Telle est la réalité de notre époque. Aucun de ceux qui accèdent à la Maison Blanche ne répudiera jamais l'empire, et aucun de ceux qui exercent la fonction de président ne pourra non plus le sauver.
Ensuite, l'Amérique ne parviendra jamais à se relever de l'abîme dans lesquels M. Biden l'a entraînée. Les nombreux ravages dont il est responsable sont irréversibles. C'est aussi vrai sur le plan intérieur que sur le plan international. On ne peut pas rebâtir en mieux, tout comme on ne peut pas redonner sa grandeur à l'Amérique. Ne perdons pas notre temps avec ce genre de réflexion. Laissons tout cela aux nostalgiques. Il n'y a qu'à reconstruire.
Enfin, et en lien avec le point précédent, considérerons l'effondrement de l'imperium de manière positive. Des échecs – de nombreux échecs – seront nécessaires avant de pouvoir commencer à concrétiser une Amérique post-impériale, post-exceptionnaliste, enfin consacrée à la cause des hommes.
Il ne sera pas facile de vivre l'intérim à venir – Biden et les incompétents qui dirigent son régime ont déjà eu du mal à atteindre 2024. Mais dans ce champ de ruines, une certaine opportunité s'offre aux Américains refusant le nihilisme ambiant au profit de l'immanence d'un avenir rompant avec le passé et l'éternel présent où l'imperium nous confine.
Le naufrage laissé par Biden, alors qu'il nous fait le plaisir de sortir de notre champ de vision, est vraiment terrible.
Autoritarisme libéral
Biden a pris ses fonctions il y a quatre ans – vous vous souvenez de l'inauguration, avec cet horrible poète et Garth Brooks qui sortait de son jean – en ressassant sans cesse son attachement à l'unité nationale. Oubliez ça. C'était l'un de ses Bidenismes les plus excessifs. Joe Biden a mis cette nation dans un tel état de contradiction avec elle-même que lui et ses sbires en sont réduits à rejeter la faute sur les Russes, les Chinois et même, depuis peu, sur les Iraniens.
Mais c'est de votre faute, Joe, avec votre incapacité à adresser ne serait-ce qu'un seul petit mot civilisé et bienveillant à ceux qui n'acceptent pas – encore un de vos héritages – le renforcement d'un autoritarisme libéral dont il sera plus difficile de venir à bout (je l'ai annoncé il y a des années) que de tout ce que Donald Trump pourra jamais mettre en place.
Biden pense-t-il que tout ce qu'il a raconté sur "l'extrémisme intérieur" n'était que de la propagande facile ? À chaque fois qu'il l'évoque – et à chaque fois qu'il réorganise les institutions fédérales pour le réprimer – ce régime rejette une proportion d'Américains dont nous découvrirons l'ampleur lorsque les bulletins de vote seront comptabilisés le 5 novembre.
Merci pour la polarisation, Monsieur le Président. Il faudra un philosophe-roi pour la réparer, et l'Amérique n'en produit plus, si tant est qu'elle en ait jamais produit.
La détermination affichée de M. Biden à détruire ce qui pouvait encore subsister d'une politique nationale cohérente s'est rapidement étendue, après son entrée en fonction, à la corruption du système judiciaire au service de la cause libérale autoritaire. C'est pour moi l'une des plus graves transgressions de son régime.
Les procès Trump ont révélé des abus spectaculaires des procureurs spéciaux et des tribunaux, cela ne peut pas être plus clair. Ne perdons pas de vue l'ampleur des répercussions. Trump viendra, et Trump s'en ira. Comment, et grâce à qui, le système judiciaire peut-il retrouver son indépendance et Lady Justice sa cécité ?
Vient ensuite la présidence elle-même. Biden, qui a bénéficié d'une promotion abusive, la discrédite doublement. D'une part, il a importé à la Maison-Blanche sa corruption crasse et souterraine. Alors que plusieurs commissions de la Chambre des représentants ont rassemblé suffisamment de preuves tangibles pour justifier un procès en destitution, l'escroc à la petite semaine s'en tire car le pouvoir judiciaire a en fait réussi à laisser filer le temps.
De plus, notre président sioniste bien soudoyé a laissé le lobby israélien, et notamment mais pas que l'American-Israel Public Affairs Committee, s'immiscer si profondément dans le processus politique qu'il est difficile de dire où finit l'influence de l'AIPAC et où commencent les délibérations légitimes du gouvernement – pour autant que ces délibérations puissent encore se dérouler à la Maison Blanche et au Capitole.
Le coup d'envoi de la campagne : Bibi Netanyahu, qui fait désormais l'objet d'un mandat d'arrêt à la Cour pénale internationale, fera un discours lors d'une session conjointe du Congrès mercredi.
Toujours au nom de l'Israël terroriste, Joe Biden a délibérément instauré un climat d'antisémitisme débridé qui ne ressemble en rien à la paranoïa "des rouges sous le lit" des années 1950. Des monomanies de ce type ont régulièrement rongé l'Amérique depuis les procès des sorcières de Salem, et le syndrome s'avère aussi destructeur aujourd'hui qu'il l'a été auparavant.
Oui, Monsieur le Président, l'Amérique n'a jamais été aussi bien placée pour diriger le monde.
Deuxième guerre froide
Le bilan de M. Biden en matière de politique étrangère est éloquent. Il laisse les États-Unis enlisés dans une guerre par procuration avec la Russie, sans aucune issue, alors même que l'Ukraine est condamnée à l'autodestruction et son peuple à la dictature nazie et criminelle de Kiev. La deuxième guerre froide est désormais bien là, et va apparemment durer des décennies.
De l'autre côté de l'océan, se trouve le deuxième front de la nouvelle guerre froide. Les relations avec la Chine sont réduites à néant par des amateurs manifestement incompétents dont la seule qualification pour occuper un poste est leur loyauté à un dirigeant encore plus stupide qu'eux.
Le pire de tout, bien sûr, est le spectacle de la participation directe de l'Amérique, bien au-delà d'un simple soutien, à la phase finale du génocide du peuple palestinien par un État terroriste. Cette implication marquera les États-Unis d'Amérique de stigmates qu'aucun futur dirigeant ne pourra jamais effacer.
Rachel Maddow qui, forte de ce bilan, salue Biden comme "un maître de la politique étrangère, et ce depuis des décennies" – et ce après sa conférence de presse post-OTAN il y a deux semaines – devrait se mettre en veilleuse. Le péché originel de Biden en matière de politique étrangère est de ne pas avoir introduit la moindre inventivité à la Maison-Blanche alors que ça n'aurait pas été du luxe. J'en ai assez de ceux qui s'obstinent à prétendre le contraire.
Histoire de rire un peu en voyant Joe Biden quitter la scène, il y a les passages fanfarons de sa lettre dans laquelle il déclare qu'il ne se représentera pas. Il a réduit le coût des médicaments pour les personnes âgées, fait voter une loi sur les armes à feu, les soins de santé pour les anciens combattants couvriront désormais l'exposition aux substances toxiques : voilà qui est fort louable. Mais cela ne manque-t-il pas un peu d'envergure ?
Si l'on compare la liste des réalisations de Biden à son véritable héritage, on croirait lire des aveux à l'envers : j'ai semé la pagaille en Amérique et dans le monde, comme me l'avait prédit Barack Obama, mais je peux me vanter d'avoir apporté quelques améliorations à la situation.
Et maintenant, Biden et les Démocrates, ayant contribué à rendre le parti honteusement antidémocratique, vont imposer la nomination de Kamala Harris pour lui succéder. Nous verrons bien ce que cela donnera, mais il n'y a que deux issues possibles. Étant donné que le prochain président des États-Unis sera soit Donald Trump, soit Kamala Harris, les électeurs devront opter pour l'un ou l'autre des deux désastres. Peut-être fallait-il en arriver là.
J'ai comparé le départ de Biden à celui de Nixon, et non à celui de Lyndon Johnson. Ce dernier, qui a annoncé il y a 56 ans qu'il ne se représenterait pas, a commis une erreur désastreuse en intensifiant l'agression de l'Amérique en Asie du Sud-Est. Il le savait, il savait qu'il avait divisé le pays, et il s'est donc retiré juste avant de se couvrir de honte, lui et sa fonction. Mais comme Nixon, Biden s'est déjà copieusement déshonoré.
Patrick Lawrence
Article original en anglais : The Wreckage Biden Leaves, Scheer Post, le 25 juillet 2024. Consortium News, le 24 juillet 2024
Version en français : Consortium News (L'épave de Biden s'en va) via Spirit of Free Speech
Image en vedette : Capture d'écran. Le président Joe Biden en campagne pour sa réélection en Pennsylvanie en mars. (Allison Shelley/Biden For President, Flickr, CC BY-NC-SA 2.0)
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Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, conférencier et auteur, plus récemment de Journalists and Their Shadows, disponible auprès de Clarity Press ou sur Amazon. Parmi ses autres ouvrages, citons Time No Longer :Americans After the American Century. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré.
La source originale de cet article est Spécial Consortium News
Copyright © Patrick Lawrence, Spécial Consortium News, 2024