Le secrétaire d'État américain Antony Blinken vient d'achever ce qui a été présenté comme un round de négociations en vue d'un cessez-le-feu à Gaza. Négociations n'est sans doute pas le mot qui convient puisque une des parties au conflit, le Hamas (qui parle au nom de l'ensemble des forces de la résistance à Gaza) n'était pas présente.
À la fin de sa rencontre avec Benjamin Netanyahou, Blinken a déclaré que ce dernier avait souscrit à la proposition américaine pour un cessez-le-feu, omettant de préciser que le Premier ministre sioniste avait ajouté des conditions inacceptables pour les Palestiniens, conditions qui étaient donc absentes de la proposition Biden devenue proposition Netanyahou sous un masque américain. Mais est-on sûr que Blinken agisse en tant que représentant de Joe Biden et des États Unis ?
Les autorités du Caire, parties prenantes en tant que médiateurs et concernés en tant qu'État limitrophe de la Palestine occupée et signataire des accords de Camp David, n'ont pas été dupes et ont réservé un accueil pour le moins distant au Secrétaire d'État venu informer le Caire de ses dernières «avancées».
On rappellera que le Hamas n'était pas présent à ce dernier round de négociations pour deux raisons : la première est que son secrétaire général, Ismaïl Haniyah a été assassiné à Téhéran. Haniyeh étant le responsable des négociations côté palestinien, cet assassinat a été parfaitement compris comme un message de Benjamin Netanyahou sur l'inanité des négociations menées sous la houlette de Washington. L'autre raison est, comme on l'a dit, que les Palestiniens avaient accepté début juillet la proposition de Joe Biden pour une trêve devant évoluer vers un cessez-le-feu moyennant le respect de certaines étapes.
Mounadil al Djazaïri
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La dernière stratégie de Netanyahou pour éviter un cessez-le-feu expliquée
par Qassam Muaddi
Ce n'est pas le Hamas qui bloque un cessez-le-feu à Gaza, c'est Israël. Netanyahou a systématiquement saboté les négociations à chaque instant. Les exigences actuelles d'Israël pour un contrôle militaire de Gaza garantissent l'échec des négociations.
Depuis le début de la semaine, deux informations qui semblent se contredire concernant les dernières négociations de cessez-le-feu ont fait surface.
L'une d'entre elles a fait l'objet d'une large attention dans la presse internationale, affirmant que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou avait accepté l'accord de cessez-le-feu américain, le secrétaire d'État Antony Blinken déclarant que la balle était désormais dans le camp du Hamas.
La deuxième information n'a été relayée que par des médias israéliens : Netanyahou a déclaré à un groupe de familles de prisonniers israéliens détenus à Gaza qu'il n'était pas sûr qu'un accord de cessez-le-feu soit conclu car Israël ne se retirerait «sous aucune condition» des corridors de Netzarim et de Philadelphie à Gaza.
Alors que la première information est utilisée pour accuser le Hamas de l'absence de cessez-le-feu, la seconde prouve qu'en réalité, c'est Israël qui insiste pour poursuivre son agression génocidaire sur Gaza.
L'insistance de Netanyahou à vouloir conserver les corridors de Netzarim et Philadelphie - ce qu'un responsable de l'administration américaine a même qualifié de demande «maximaliste» qui n'est pas utile pour «faire franchir la ligne d'arrivée à un accord de cessez-le-feu» - revient à dire qu'Israël n'est pas intéressé par un cessez-le-feu après tout.
Le contexte : comment Netanyahou a saboté à plusieurs reprises les négociations
La dernière série de pourparlers a débuté la semaine dernière à la suite d'un appel des États-Unis, de l'Égypte et du Qatar à la reprise des négociations. Les trois gouvernements se sont empressés de relancer les efforts de cessez-le-feu après que l'Iran et le Hezbollah se sont engagés à attaquer Israël en représailles à l'assassinat par ce dernier du commandant militaire en chef du Hezbollah, Fouad Shukr, dans le district de Dahiya au sud de Beyrouth, ainsi que du chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran. Ces deux assassinats ont accru les tensions, faisant craindre une guerre régionale.
Blinken a ensuite déclaré que Netanyahou avait accepté l'accord proposé par les États-Unis. Dans un communiqué publié mardi, le Hamas a déclaré que les affirmations américaines selon lesquelles l'organisation refusait l'accord étaient «trompeuses», accusant les États-Unis de se conformer au désir de Netanyahou de prolonger la guerre. L'organisation a également déclaré que «les médiateurs savent que le Hamas a réagi de manière responsable dans tous les cycles de négociations» et qu'il avait accepté la proposition de Biden en mai, sur la base de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU visant à mettre fin à la guerre.
Les dernières négociations ont porté sur une nouvelle proposition américaine, dont les détails n'ont pas été entièrement dévoilés. Toutefois, selon une déclaration de Netanyahou mardi, la proposition «prend en compte les besoins sécuritaires d'Israël».
La proposition, présentée par Biden en mai dernier, prévoyait trois phases, à commencer par une trêve de 42 jours au cours de laquelle un premier échange de prisonniers aurait lieu. La proposition initiale prévoyait un retrait israélien total de la bande de Gaza. À l'époque, les États-Unis avaient affirmé que la proposition avait été initialement présentée à Washington par Israël, bien que Netanyahou ait déclaré publiquement dans une interview télévisée qu'il n'était pas prêt à mettre fin à la guerre.
Le 10 juillet, le quotidien israélien Haaretz a publié un article montrant comment Netanyahou avait saboté le cessez-le-feu dès janvier. Par exemple, lors d'une série de négociations en avril, Netanyahou a divulgué aux médias des informations sensibles sur le nombre de prisonniers palestiniens à libérer par l'intermédiaire de son ministre des Finances, Bezalel Smotrich. Cela a porté préjudice aux efforts de négociation. Fin avril, Netanyahou a rappelé l'équipe de négociation et lui a ordonné de revenir sur les accords déjà conclus, sans que son cabinet de guerre ne le sache ni ne l'approuve.
Puis, en mai, alors que les chefs militaires et des services de renseignements israéliens s'attendaient à une réponse positive du Hamas à la proposition de Biden, Netanyahou a annoncé sa volonté d'envahir Rafah et qu'il n'accepterait jamais de mettre fin à la guerre dans un futur accord. Début juin, Israël a envahi Rafah, et les chances d'un accord se sont à nouveau évanouies.
Début juillet, le Hamas a annoncé qu'il acceptait la proposition de Biden, qui prévoyait le retrait complet des forces israéliennes de la bande de Gaza, le retour des Palestiniens déplacés dans le nord de Gaza et le début des efforts de reconstruction à la fin de l'échange de prisonniers. Le seul amendement apporté par le Hamas à l'accord américain consistait à garantir qu'Israël ne reprendrait pas la guerre après la conclusion de l'échange de prisonniers, exigeant que le retrait israélien soit permanent et que les efforts de reconstruction commencent avant la fin de la phase finale du cessez-le-feu.
C'était un désastre pour Israël. Le Hamas avait en fait accepté un accord proposé par le président Biden lui-même. La balle est donc revenue dans le camp d'Israël, poussant Netanyahou dans ses derniers retranchements. La position de Netanyahou a été aggravée par le fait que Biden avait présenté l'accord proposé comme une initiative israélienne.
Netanyahou a tenté de se sortir de cette situation en affirmant que le Hamas avait modifié les conditions de l'accord, insistant sur le fait qu'il n'y avait pas de consensus israélien pour mettre fin à la guerre. Et la guerre a donc continué.
Les objectifs changeants de Netanyahou sur l'avenir de Gaza
Mi-juillet, les médiateurs égyptiens et qataris ont rappelé Israël et le Hamas à la table des négociations. Netanyahou a envoyé au Caire une délégation plus restreinte, dotée de pouvoirs limités. L'équipe israélienne est revenue à Tel-Aviv quelques heures plus tard, après une dispute avec Netanyahou sur ce qui devenait de plus en plus le point central des négociations pour le Premier ministre israélien : l'avenir des corridors de Netzarim et Philadelphie.
Mais pourquoi se focaliser sur ces deux zones ? La réponse réside dans leur emplacement stratégique et dans la vision d'Israël pour l'avenir de Gaza.
Le corridor de Netzarim est une bande de terre de quatre kilomètres de large au centre de Gaza que l'armée israélienne a vidée de ses habitants et utilise comme zone militaire pour y stationner et déplacer ses troupes. Plus important encore, Netzarim s'étend de la frontière est à l'ouest de Gaza, divisant l'enclave côtière en deux et séparant ainsi le nord de Gaza du sud. Le corridor Philadelphie joue un rôle stratégique différent : il s'agit d'une bande de terre de deux kilomètres de large le long de la frontière entre Gaza et l'Égypte, et Israël affirme que le Hamas y fait passer des armes en contrebande via des tunnels qui la traversent.
Les déclarations de Netanyahou sur le maintien de ces deux corridors font suite au départ de Blinken d'Israël pour l'Egypte, où il a rencontré le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi. La position de l'Egypte a été claire lors de la réunion : Israël doit se retirer du corridor de Philadelphie. La présidence égyptienne a également déclaré dans un communiqué que Sissi avait fait comprendre à Blinken qu'il était temps de parvenir à un accord de cessez-le-feu suivi de la reconnaissance internationale d'un État palestinien dans le cadre d'une solution à deux États.
Netanyahou affirme que le corridor Philadelphie ke long de la frontière égyptienne est d'une «importance stratégique» nécessaire pour qu'Israël s'assure que des armes ne seront pas introduite's clandestinement dans la bande de Gaza à l'avenir. Des désaccords se sont pourtant manifestés au sein de l'armée israélienne quant à l'importance de se maintenir sur les corridors Philadelphie et Netzarim.
Le chef d'état-major de l'armée israélienne, Herzi Halevi, a déclaré à la mi-juillet sur la chaîne publique israélienne qu'Israël «peut gérer le corridor Philadelphie sans y maintenir de forces». Le ministre israélien de la Guerre, Yoav Gallant, a également déclaré en juillet qu'Israël pourrait se retirer de la zone sous certaines conditions, à savoir l'installation de technologies de surveillance pour éviter la contrebande d'armes.
Mais la position rigide de Netanyahou ne semble pas avoir grand-chose à voir avec des raisons de sécurité, selon des observateurs israéliens. Des sources israéliennes anonymes ont déclaré à la radio publique israélienne que les pouvoirs conférés par Netanyahou aux négociateurs étaient si limités qu'ils devaient constamment quitter la salle de réunion pour se présenter devant Netanyahou et recevoir ses instructions. Le quotidien israélien Haaretz a écrit dans son éditorial de mardi qu'il était difficile de croire Netanyahou alors qu'il avait fait des déclarations similaires en faveur d'un accord dans le passé «alors qu'en fait il s'efforçait de torpiller les propositions».
Ces critiques font écho aux déclarations de la mère d'un des prisonniers israéliens à Gaza, qui a témoigné devant une commission d'enquête civile indépendante que le chef du Mossad israélien lui avait dit qu'il était impossible de parvenir à un accord sous le gouvernement israélien actuel. Le bureau de Netanyahou a publié un communiqué démentant que le chef du Mossad ait tenu ces propos.
Les médias israéliens ont également cité des négociateurs israéliens anonymes affirmant que les remarques de Netanyahou sur le fait de ne pas se retirer de Philadelphie et de Netzarim visaient à «faire échouer les négociations» et qu'il devait cesser de mettre des obstacles aux chances de parvenir à un accord.
À l'issue de son séjour en Israël, Blinken a déclaré que Netanyahou l'avait assuré de l'acceptation par Israël de la dernière proposition américaine de cessez-le-feu, soulignant qu'il appartenait au Hamas de l'accepter afin de passer à la discussion des détails de mise en œuvre. Mais comme le montre la chronologie des événements ci-dessus, Israël a constamment sapé les pourparlers de cessez-le-feu tout au long du génocide de Gaza, et les conditions de Netanyahou sur Philadelphie et Netzarim ne sont que le dernier stratagème en date.
Ces exigences sont vouées à l'échec et le Hamas sera contraint de les rejeter, ce qui est exactement ce que souhaite Netanyahou : il a accepté la proposition américaine, mettant la balle dans le camp du Hamas, mais a ensuite doublé ses exigences, ce qui rend impossible toute acceptation par le Hamas. Le résultat est que le Hamas semble être la cause de l'échec des négociations, et l'administration Biden-Harris est heureuse de jouer à ce jeu. Pendant ce temps, le génocide israélien à Gaza continue de faire rage.
source : Mondoweiss via Mounadil al Djazaïri