28/08/2024 mrmondialisation.org  7min #255647

 Victoire de Nicolas Maduro contre l'extrême droite et l'internationale médiatique.

Climat de terreur au Venezuela après la réélection de Maduro

Au Venezuela, la réélection frauduleuse du président Nicolás Maduro a entraîné dans tout le pays des manifestations qui ont été durement réprimées. Un climat de terreur baptisé "opération Tun Tun" s'est abattu sur le pays, totalement assumé par le pouvoir en place. Décryptage.

"Vous êtes en train d'enfoncer la porte de ma maison sans aucun mandat, la porte de ma maison !". Koddy Campos est un défenseur des droits humains de Caracas connu pour son engagement en faveur de la cause LGBTIQ+. Ces derniers mois, il s'était investi dans la campagne électorale de l'opposition emmenée par María Corina Machado.

María Corina Machado, opposante du parti conservateur de droite @Flickr

La nuit du 9 août dernier, une quarantaine de policiers aux visages masqués ont tenté d'entrer par effraction à son domicile. En filmant la scène en live sur un compte instagram, Koddy et son copain Léandro Villoria ont toutefois réussi à faire partir les fonctionnaires après trente minutes. Depuis ce jour, ils vivent dans la clandestinité, tout comme des milliers d'autres Vénézuéliens, dont certains cherchent déjà désespérément à fuir le pays.

Contexte

Le 28 juillet dernier, date d'anniversaire d'Hugo Chavez, le Venezuela élisait son nouveau président. Publiés par le Conseil National Électoral (CNE), les résultats ont conclu à la réélection pour la troisième fois de Nicolás Maduro, candidat du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) avec 52% des voix contre 43% pour le candidat de l'opposition, Edmundo Gonzáles Urrutia.

Des incohérences arithmétiques grossières et l'absence des procès-verbaux électoraux n'ont cependant pas rendu crédibles ces résultats, à fortiori irréguliers au regard de la loi électorale vénézuélienne. De son côté et grâce à un réseau de bénévoles répartis sur tout le territoire, l'opposition a réussi à conserver plus de 80% des procès-verbaux (chacun contenant un imprimé du CNE ainsi qu'un code QR sur le bas attestant de sa véracité). Ils montrent une nette victoire du candidat de l'opposition avec 67% de voix.

Les dénonciations de fraude électorale et même de coup d'État ont entraîné dès le lendemain des manifestations dans tout le pays, en particulier dans les secteurs les plus populaires, suscitant une réponse implacable du pouvoir chaviste : 25 décès et près de 200 blessés en moins de quarante-huit heures, ainsi que l'annonce de la construction de centres de rééducation pour les manifestants.

Manifestations à Caracas le 30 juillet 2024. Source : commons.wikimedia.org

Depuis lors, les arrestations et les détentions arbitraires s'enchaînent, sous des chefs d'accusation gravissimes comme la provocation à la haine ou le terrorisme. Elles s'abattent sur les manifestants, membres de partis politiques, témoins électoraux, militants,  journalistes, mais aussi sur toute personne se trouvant au mauvais endroit, au mauvais moment.

« Le régime n'agit pas dans l'ombre mais revendique au contraire pleinement sa répression ».

Le régime n'agit pas dans l'ombre mais revendique au contraire pleinement sa répression. Celle-ci porte même un nom, "l'opération Tun Tun". De jour comme de nuit, la Police Nationale Vénézuélienne (PNV), souvent accompagnée de civils armés par le pouvoir (colectivos) pour accomplir le "sale boulot", patrouille, capture, contrôle les téléphones et entre si besoin dans les domiciles. Le bilan est sans aucun précédent dans le pays : plus de 1 500 détentions en quelques semaines seulement, auxquelles s'ajoutent d'innombrables arrestations arbitraires avec extorsion.

Selon l'avocat pénaliste Joel García, les droits de la défense sont purement et simplement ignorés : "les personnes arrêtées n'ont pas le droit à un avocat privé. Ni le droit de communiquer avec un proche. Cela vaut aussi pour les adolescents qui sont très nombreux à être détenus". Il ajoute : "Des familles m'ont demandé de l'assistance juridique mais j'en ai été empêché. En ce moment, nous n'avons aucune garantie, aucun droit. Ils arrêtent tous le monde, pas seulement les militants. On est tous en liberté provisoire."

Manifestants vénézuéliens anti-Maduro du côté colombien du pont Simon Bolivar. Source :  commons.wikimedia.org

Joel García travaille depuis plusieurs années sur des cas de détentions arbitraires et de tortures d'opposants politiques. S'il se heurte le plus souvent à un mur judiciaire, il prend soin de transmettre à chaque fois les copies des dossiers qu'il traite à l'ONU ainsi qu'à la Cour Pénale Internationale (CPI) et qui conduisent depuis 2018 une investigation sur les crimes de lèse-majesté au Venezuela.

Sur le terrain de l'information, Reporters Sans Frontière (RSF) ne compte plus depuis le 28 juillet les atteintes à la liberté de la presse. "Seuls les résultats du CNE peuvent être évoqués, toute référence aux résultats de l'opposition est perçue par l'exécutif comme une méconnaissance des institutions", assure un journaliste radio de Caracas (préférant garder l'anonymat). Et de poursuivre : "il y a même aujourd'hui des journalistes accusés de terrorisme tout simplement pour avoir couvert les élections". Dernier espace de liberté, les réseaux sociaux subissent quant à eux une ardente campagne de boycott à l'image de X, accessible seulement avec un VPN.

Le président Nicolás Maduro dénonce un coup d'État de la part de l'opposition mais les deux seuls observateurs extérieurs du scrutin démontrent l'exact opposé. Invitée par le CNE lui-même, la mission du Centre Carter composée de 17 personnes en provenance de 11 pays a observé l'élection vénézuélienne pendant un mois complet à Caracas, Barinas, Valencia et Maracaibo.

Cette dernière a constaté une campagne électorale déséquilibrée à tous les niveaux en faveur du gouvernement : une partialité du CNE, le rejet discrétionnaire de la principale candidature de l'opposition (Maria Corina Machado), la persécution des personnes ou des structures ayant prêté des services à l'opposition (ex: des fermeture d'hôtels), la privation du droit de vote pour les Vénézuéliens de l'extérieur (près de 8 millions de personnes ont fui le pays depuis 2013), le refus par le CNE de présenter les véritables procès-verbaux électoraux qu'il détient nécessairement, etc.

"n'ont pas été respectées les mesures élémentaires de transparence et d'intégrité qui sont essentielles à la tenue d'élections crédibles".

"Je n'ai jamais vu d'élections avec un tel niveau d'irrégularités dans toute  l'Amérique latine", a asséné la directrice de l'ONG. Le panel de l'ONU composé de quatre experts électoraux est parvenu à une conclusion analogue, en affirmant que : "n'ont pas été respectées les mesures élémentaires de transparence et d'intégrité qui sont essentielles à la tenue d'élections crédibles". D'après l'organisation internationale, la publication des résultats électoraux sans les détails ne connaît aucun précédent dans les élections démocratiques contemporaines.

Centre de vote pour l'élection présidentielle de 2024 au Venezuela. Source :  commons.wikimedia.org

Depuis le 28 juillet, la liste des violations de droits humains au Venezuela s'agrandit chaque jour un peu plus, tout comme les discours et les mesures d'intimidation visant à maintenir la peur au sein de la population et à encourager l'esprit de délation.

Dans la conclusion de son communiqué en date du 15 août 2024, la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) n'hésite pas à parler de "terrorisme d'État" :

"Les pratiques de terrorisme d'État perpétrées par le régime actuel ne sont pas seulement dirigées contre des secteurs spécifiques mais génèrent un climat de peur et d'intimidation dans toute la population vénézuélienne. Ce sont des pratiques qui nient le droit à la participation politique. Dans un contexte dans lequel tous les organismes de contrôle font partie de l'appareil répressif de l'État et dans laquelle le droit de tutelle n'existe pas. La CIDH fait appel à toute la communauté interaméricaine pour reconnaitre la gravité de cette situation".

Mis à part Cuba, le Nicaragua, la Bolivie et le Honduras, aucun autre pays de la région n'a, à ce jour, reconnu la victoire de Nicolás Maduro dont l'actuel mandat prend fin le 10 janvier prochain.

- David Zana

Image d'en-tête : Manifestations au Venezuela après les élections,  Wikimedia Commons

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newsnet Ndlr 2024-08-28 #14386

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