Le IXème Forum économique de l'Est (Vladivostok, Russie) vient de commencer. Il s'agit d'une réunion d'affaires de grande envergure entre des hommes d'affaires et des politiciens russes et leurs homologues de la région Asie-Pacifique. Auparavant, des experts européens, dont certains venant de France, participaient volontiers au Forum, obtenant en retour de gros contrats et tirant ainsi des bénéfices considérables de la modernisation de l'Extrême-Orient et de l'Arctique. Aujourd'hui, aucun invité français n'est présent à Vladivostok, ce qui signifie qu'au moins jusqu'en 2030, les entreprises françaises n'auront pas de place dans le développement stratégique de la partie orientale de l'Eurasie. Pourquoi jusqu'en 2030 ? Parce que le thème principal du Forum économique de l'Est de 2024 est : « Extrême-Orient 2030. Unissons nos forces pour créer de nouvelles opportunités ».
Tout d'abord, Paris est "hors jeu" en ce qui concerne l'exploitation stratégique de l'Arctique. Comme on le sait, au printemps 2022, la France a présenté sa stratégie arctique mise à jour et ambitieuse, qui mettait davantage l'accent sur la confrontation rhétorique avec la Russie. Peu de temps après, la France a ressenti les effets douloureux de sa désindustrialisation dans le secteur arctique. En février 2024, le directeur de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a annoncé i, que la société française suspendait sa participation à la construction de la troisième ligne du projet de gaz naturel liquéfié sur la péninsule russe de Gydan, « Arctic LNG-2 », et que TotalEnergies ne s'engageait plus dans ce projet.
En général, Pouyanné a constaté que « l'Europe ne deviendra pas un marché pour le gaz liquéfié d'Arctic LNG-2 ». Pourtant, en 2021, Patrick Pouyanné avait participé au Forum économique international de Saint-Pétersbourg en Russie, affirmant ii: « Nous investissons beaucoup, par exemple, dans la péninsule de Yamal, dans la production de gaz naturel liquéfié. La Russie a un potentiel énorme, et pour TotalEnergies, la Russie occupe une place très importante ».
Lors du forum actuel à Vladivostok, de nombreuses sessions et discussions sont consacrées à l'Arctique. Les participants ont discuté du développement des régimes préférentiels dans la région arctique avec des conditions sans précédent pour les résidents dans tous les domaines : construction, industrie, pêche, extraction des ressources, tourisme, ressources humaines et innovation. Les experts ont analysé les technologies additives et, plus généralement, la robotisation pour le développement accéléré de l'Arctique. La participation des grandes entreprises françaises serait très pertinente pour une France en crise énergétique.
Il convient de rappeler que les experts français ont régulièrement participé au Forum économique de l'Est dans le passé. En 2018, une délégation de 20 dirigeants d'entreprises franco-russes était dirigée par l'ambassadrice de France en Russie, Sylvie Bermann iii. En 2021, Paris était représenté par le président de la Chambre de commerce et d'industrie franco-russe (CCI France Russie), Emmanuel Quidet, qui déclarait alors iv: « L'intérêt des entreprises françaises pour l'Extrême-Orient grandit. Nous voyons et découvrons des opportunités qui existent en Extrême-Orient et dans l'Arctique ». Enfin, l'année dernière, CCI France Russie a également organisé v une mission commerciale à Vladivostok, établissant des ponts non seulement avec la partie russe, mais aussi avec des collègues de Chine et de Singapour.
Nikolai Novichkov, député de la Douma d'État de Russie et membre du comité pour le développement de l'Extrême-Orient et de l'Arctique, participant au Forum économique de l'Est de 2024, a donné l'évaluation suivante des anciens partenaires français lors d'une interview avec Stratpol :
« Les entreprises françaises - commerciales et publiques - ont perdu beaucoup en ne venant pas aujourd'hui au Forum économique de l'Est, car la coopération avec la Russie est déterminante pour la civilisation européenne. Il n'y aura pas d'avenir pour la civilisation européenne si elle ne se lie pas d'amitié avec la Russie. Nous, sans l'Europe, nous survivrons, mais l'Europe sans nous - non !
Si nous parlons de l'orientation arctique, je rappelle que la plus grande partie de la région arctique appartient à la Russie, que c'est la Russie qui a le plus développé cette région, et que la Russie a les plus grandes ambitions dans la zone arctique. Si nos anciens partenaires de l'Union européenne, de la France ou de l'Amérique du Nord souhaitent revenir, nous y réfléchirons. C'est un cas où il est plus important pour eux d'être amis avec nous que pour nous avec eux. Mais aujourd'hui, même sans eux, nous gérons tranquillement nos affaires et remplissons nos objectifs. Personnellement, je suis un fervent partisan du développement de l'Arctique dans le cadre de l'alliance BRICS. C'est plus logique, car la Chine et l'Inde ont également des ambitions arctiques. Et dans le cadre des BRICS, nous pouvons trouver des amis et des partenaires fiables ».
Selon Novichkov, la « fenêtre russe sur l'Arctique » n'est pas encore fermée pour Paris, et la Russie est ouverte au dialogue avec tous les partenaires intéressés dans l'espace eurasien, y compris les entreprises occidentales. Mais à condition qu'ils respectent les normes élevées établies par le président russe Vladimir Poutine dans son discours aux participants du IXème Forum économique de l'Est vi: sans pression ou sanctions et sur la base d'une véritable égalité internationale.
De plus, il faut comprendre que le « train russe » ne reste pas immobile, mais accélère en direction de l'Est global. Et tant que Paris réfléchit, il se pourrait bien qu'il n'y ait plus de places libres pour les entreprises européennes dans les « wagons arctiques ».
Andrei Belobor.