Journal dde.crisis de Philippe Grasset
4 octobre 2024 (13H30) - Le réseau que tout bon esprit se doit plutôt trois fois qu'une de considérer comme fort suspect, 'SputnikNews', avait réuni, dans son émission 'Fault Lines' de mercredi, plusieurs journalistes et experts, - y compris des non-Russes, c'est dire, - avec, comme sujet, la riposte iranienne de la nuit précédente. La signification même de cette attaque a été fixée par le journaliste Esteban Carrillo, basé à Beyrouth. Pour lui, c'est la fin d'un mythe, celui de l'invincibilité du système 'Iron Dome' ('Dome de Fer') assurant une protection quasi-totale, - certains parlaient de 132%, - du ciel israélien.
Cette considération qui nous a paru assez considérable pour en faire le thème central de notre texte nous a conduit à oser le terrible néologisme de "vincibilité", - je veux dire : l'horrible néologisme pour désigner le contraire d'"invincibilité". Carrillo, lui, a gardé des expressions classiques :
« Un "nouveau jour" [traduction plus catholique : un "jour historique" ?] pour le monde alors que le mythe de l'invincibilité israélienne est brisé.» Bien que les dégâts causés par son attaque aient été relativement minimes, l'Iran a porté un coup psychologique important en pénétrant facilement le système de défense israélien 'Iron Dome', selon [le journaliste Esteban Carrillo, de Beyrouth...]
» Les responsables n'ont fait état d'aucun décès israélien après la frappe de représailles de l'Iran contre le pays mardi, mais l'ancienne projection de puissance et de dissuasion de l'allié des États-Unis dans la région pourrait s'avérer être la victime la plus importante des événements de la journée, [dit encore Carrillo]. »
Autopsie d'un "jour historique"
Carrillo poursuit son propos en exposant les divers événements qui ont précédé l'attaque iranienne, notamment la patience et la maîtrise de l'Iran selon lui, qui a voulu éviter jusqu'où il était possible les conditions de l'affrontement. Carrillo tient essentiellement à son image symbolique d'un "jour historique", ou "jour qui voit le début d'une nouvelle époque" tandis que d'autres estimaient trois jours auparavant que le "jour historique" était celui de la liquidation de Nasrallah.
Carrillo a insisté sur la précision des frappes, notamment sur deux bases aériennes (Nevatim et Tel Nof - avec des surprises découvertes Israeli ‘Cover-Up’ Exposed? '20 Jets Destroyed' Claim As Satellite Image Shows Damaged Nevatim Base ) et contre le bâtiment abritant le Mossad. Il n'a pas trop insisté sur les dégâts, qui semblaient minimes lorsqu'il a participé au débat, mais qui ont enflé fortement dans la perception appuyée sur tel ou tel document depuis et qui ont engendré une affolante cascade de mesures de sécurité, - ce qui semblerait confirmer que des F-35 auraient été touchés, cela amenant une crise nerveuse nucléaire de la part des bureaucratie américanistes regroupées autour de ce bijou de la guerre aérienne. Les autorités israéliennes ont fini par reconnaître aimablement que ces bases avaient été effectivement touchées, d'une façon qui sembla tout à coup assez sérieuse.
« "Ce n'est pas comme l'armée de l'air israélienne lorsqu'elle entre au Liban, lorsqu'elle va à Gaza ou en Syrie [et] qu'elle laisse des centaines ou des dizaines de civils tués à chaque fois qu'elle largue des bombes", a noté l'analyste. "Les Iraniens ont ciblé exactement ce qu'ils voulaient cibler... plusieurs bases aériennes, y compris celle d'où, apparemment, l'attaque qui a tué le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah [a été lancée]. La base d'où les avions ont décollé pour cela, lorsqu'ils ont largué environ 100 bombes lourdes au milieu de Beyrouth".« "Vraiment, c'est un jour historique", a déclaré Carrillo. "C'est un jour historique pour Israël. C'est un jour historique pour l'Iran, pour les États-Unis, pour l'axe de la résistance, pour le monde entier. Et je pense qu'il est également très important de souligner ce que les responsables iraniens ont dit après coup... C'est le droit légitime de l'Iran à se défendre, comme ils prétendent qu'Israël l'a quand ils détruisent le Liban, quand ils détruisent Gaza". »
L'affirmation initiale des Israéliens selon laquelle le Dome avait abattu plus de 90% des missiles iraniens est tournée en ridicule de diverses façons au niveau de la communication qui commande la perception générale, notamment par ces longues vidéos montrant la succession des explosions de missiles iraniens touchant le sol, donc non-interceptés. Évidemment, l'introduction de missiles hypersoniques dans l'arsenal iranien a joué un rôle très important dans cette percée, à la fois opérationnelle, psychologique et symbolique.
« "Ils n'ont pas la main gagnante, a déclaré Carrillo. Le matin, ils ont en fait commencé à essayer de pénétrer au Liban. Ils ont essayé de pénétrer sur le territoire libanais, les troupes israéliennes.» "Ils se font abattre, a-t-il affirmé. Ils sont pris en embuscade. Ils sont renvoyés la queue entre les jambes parce qu'ils n'ont pas la main gagnante". L'Iran a donc averti hier soir Israël :"Ne vous y trompez pas. Ne pensez pas que vous pouvez, à ce stade, nous frapper à nouveau. Si vous le faites, si vous venez et que vous frappez l'Iran, ils disent, vous allez faire face à notre colère. Vous allez rapidement vous effondrer. Ce sera votre fin.
» "Comment allons-nous maintenant approvisionner Israël dans une autre guerre ?" a demandé l'animateur Jamarl Thomas, suggérant que les États-Unis sont mis à rude épreuve en fournissant des armes dans des conflits à travers le monde. "Contre quoi, trois États ? Quatre États ? Gaza, la Syrie, le Liban et l'Iran ? Et les Houthis. Cinq États. Comment allons-nous fournir des armes pour cette guerre plus vaste alors que la guerre en Ukraine se poursuit également à un rythme soutenu ?" »
Divers autres facteurs et éléments sont alignés, tous allant dans le sens d'une appréciation très pessimiste de la situation pour Israël (situation économique catastrophique, hémorragie de migration, avec le départ d'Israël de plus de 500 000 personnes depuis janvier dernier, etc.), jusqu'à retourner un argument jusqu'alors favorable à Netanyahou ("L'administration Biden est complètement paralysée, elle ne peut rien faire pour contraindre Netanyahou à arrêter sa guerre") pour en faire son contraire et alimenter une polémique sans fin :
« Pendant ce temps, le plus important allié d'Israël se retrouve coincé par la prochaine élection présidentielle alors que le président américain Joe Biden travaille fébrilement pour empêcher le déclenchement d'une guerre régionale qui pourrait ruiner les chances des démocrates en novembre... La combinaison de facteurs politiques et matériels a frustré la capacité d'Israël à répondre au danger sur plusieurs fronts. »
On ajoutera d'autre part l'hypothèse développée par Mercouris selon laquelle si l'attaque iranienne a eu les résultats impressionnants que certains lui prêtent, en fonction des capacités assez limités de l'Iran pour la reconnaissance et le ciblage, c'est qu'un troisième acteur est entré en jeu. Cet acteur ne peut être, selon mes visions intuitives rejoignant ses appréciations très logiques, que l'ombre de la Russie, projetant ainsi un développement très préoccupant pour Israël.
Note de PhG-2 : « Il faut ajouter, tout à fait entre nous, que certaines autres rumeurs ont laissé croire que les Russes avaient été troublés par certains tirs de missiles israéliens près, ou plus près encore, de leurs bases en Syrie ; ce qui dénote un déplacement assez vif du jugement des gens de Moscou vis-à-vis de cette question des hostilités, en plus des formidables démonstrations d'amitié stratégique qu'ils font depuis des semaines et plus encore ces derniers jours à l'intention des Iraniens... Enfin, moi j'dis ça, j'ai rien dit... »
Le "manteau magique" n'est plus magique
C'est à la lumière de ces diverses considérations qui ont fait passer la perception de la situation d'un jour très-pessimiste (pour les adversaires et critiques d'Israël) à son double complètement très-optimiste qu'il faut lire l'article repris ci-dessous. Il s 'agit d'un article d'Alexandre Douguine, écrit avant l'attaque iranienne (traduction le 2 octobre), qui va effectivement dans le sens le plus pessimiste en présentant une armée israélienne complètement inarrêtable, au grand désarroi d'un Axe de la Résistance qui est complètement ridiculisé, et cette armée victorieuse comme toujours dans le cas publicitaire d'Israël, victorieuse comme l'éclair (comme devrait l'être la Russie face à l'Ukraine ?). On peut sans aucun doute accepter la plupart des éléments de l'analyse de Douguine, notamment lorsqu'il est fait directement allusion à la dimension apocalyptique de l'armée d'Israël qu'on retrouve dans divers travaux à partir des considérations très-érudites de Alastair Crooke. On a vu que c'est en effet sur le concept eschatologique que les Israéliens au pouvoir conçoivent la bataille en cours, - mais c'est un tout autre débat que celui qui est offert ici.
Mais l'analyse de Douguine bute brusquement, si l'on tient compte de l'importance qu'il doit donner, et qu'il donne sans aucun doute, à la matérialité militaire et à sa valeur symbolique, et par conséquent à l'importance déjà-vu du 'Dôme de fer' ; nous parlons bien de l'importance symbolique, absolument essentielle... Greg Stocker, ancien Ranger, US Army, devenu analyste politique, interviewé par Danny Haiphong, parlant du « manteau magique » qu'est le Dôme, qui n'est plus magique, et c'est comme si Cendrillon perdait tout, son carrosse, ses habits de princesse, etc. :
« Ils ont installé un blackout total de sécurité opérationnel médiatique car c'est embarrassant pour eux et c'est aussi incroyablement démoralisant parce que le dôme de fer est comme le manteau magique qui défend Israël et donne à tout le monde la tranquillité d'esprit... Alors, s'il peut être pénétré même s'il y a pas eu beaucoup de victimes même s'il n'y a pas eu beaucoup de dégâts c'est plus significatif que l'attaque d'avril où les Iraniens ont tiré plus de munitions mais plus ont été interceptés ; et ce soir ils ont tiré moins de munitions et beaucoup plus ont traversé le Dôme... Ont-ils utilisé des munitions différentes, ont-ils des capacités qu'Israël ne connaît pas... Il y a beaucoup de questions sans réponse et c'est très inconfortable d'où le blackout médiatique... ».
Parce qu'il n'est pas spécialiste de la chose militaire et ne va pas imaginer que cette chose dépend comme le reste des promesses grotesques et jamais tenues de la technologie militaire, Douguine ignore que cette importance, cette invulnérabilité affirmée, cet absolutisme de l'efficacité, est un mythe et rien qu'un mythe comme on l'a vu mardi soir Viral: Netanyahu 'Trembles In Fear' After Iran Missiles Strike Tel Aviv, Other Israeli Areas qui a même secoué le Premier ministre Netanyahou... Ainsi qu'on le sait, le mythe était admis et pieusement respecté par tous lundi soir, il était l'objet de railleries et de moqueries le mercredi matin, et alors tout le raisonnement de Douguine se heurtait à ce fait capital...
« D'une part, les sunnites ne peuvent pas se ranger du côté d'Israël, car cela reviendrait à trahir complètement les notions les plus élémentaires de solidarité islamique. D'autre part, l'efficacité militaire et la dureté de la politique sioniste d'extrême droite d'Israël les placent dans une position extrêmement difficile, car la manière de contrer Israël n'est pas claire. D'autant plus que les missiles israéliens peuvent frapper où ils veulent, tandis que les missiles et les drones des adversaires de l'Etat hébreu sont efficacement interceptés par le système de défense antimissile Iron Dome (Dôme de Fer) aux frontières d'Israël. »
La guerre en clips-pub
Certes, ce passage en revue hautement critique du texte d'un homme que j'estime très fortement du point de vue intellectuel et éthique, et que j'estime toujours à cet égard, n'est certainement pas pour mon plus grand plaisir. D'autre part, son erreur met en évidence l'extrême fragilité de la valeur des facteurs technologiques de l'armement selon l'usage qu'on en fait. L'ennemi le plus redoutable de la technologie des armements est certainement la communication, et la façon stupéfiante que l'on a de parler de 'game-changer', d'"arme absolue", de "révolution dans l'art de la guerre" et toutes ces sortes de choses. Bien entendu, les mythes enfantés par ces méthodes ont la même fragilité faussaire, la même vulnérabilité de la corruption du sens, - bref, toutes les caractéristiques de la modernité transposées au niveau de l'élaboration d'un faux-semblant de ce concept antique superbe (le Mythe) devenu une marchandise périssable et puante comme la modernité elle-même.
Manifestement, Douguine s'est laissé emporté, comme bien d'autre d'ailleurs, par l'habituelle présentation hyperbolique de l'armée israélienne, qu'il a offert en comparaison avec la supposée "lenteur" russe, et l'audace de Netanyahou par rapport à la prudence de Poutine. Cela n'a évidemment rien à voir avec un acte d'allégeance à Israël, - chose risible pour le Russe Douguine et d'ailleurs évidente dans son texte, - mais tout à voir avec un message adressé à Poutine. On pourrait déjà commencer à faire les comptes en attendant la phase suivante, pour constater que les Israéliens font toujours la même chose, comme le rappelle Mercouris ad nauseam : un début tonitruant bercé par une fantastique campagne publicitaire de communication jusqu'aux premiers déboires annonçant les grandes difficultés à venir. Mercouris remarque aussi combien ce début de guerre ressemble aux débuts de l''Opération Militaire Spéciale' de 2022 des Russes, avec notamment la poussée de l'Accident américaniste-occidentaliste, avec les habituelles embrouilles, tromperies et mensonges partagés avec ses proxies, ici pour ce qui concerne les Ukrainiens, là pour ce qui concerne les Israéliens.
Pendant ce temps, les Russes commencent à se demander ce qu'ils peuvent prendre encore qui puisse les intéresser en Ukraine tandis que Zelenski Chute d'Ugledar : le plan d'exil de Zelensky .