Par Ibrahim Al-Madhoun, le 21 octobre 2024
La mort de Yahya Sinwar, cerveau de l'opération Al-Aqsa Flood, a laissé le Hamas face à un avenir incertain. Pourtant, son héritage de résistance inébranlable continue d'inspirer la stratégie du mouvement, alors qu'Israël mord à l'hameçon en ouvrant de multiples fronts.
La mort de Yahya Sinwar, le puissant et intelligent dirigeant du Hamas et "artisan" de l'opération Al-Aqsa Flood, qui a péri en combattant les forces d'invasion israéliennes sur le front de Rafah, marque un moment décisif dans l'histoire de l'occupation israélienne de la Palestine. En tant que l'un des principaux chefs militaires et stratégiques du mouvement, Sinwar était depuis longtemps une cible privilégiée des forces d'occupation israéliennes.
Pendant des années, il a été la personnalité la plus recherchée par Israël, en raison de son rôle crucial dans le développement des capacités de la résistance et dans l'orchestration d'opérations stratégiques, notamment l'opération Al-Aqsa Flood, qui a entraîné la mort de près de 1 500 soldats et colons israéliens et la capture de plus de 200 autres, dont la majorité est toujours détenue par les Brigades Qassam.
Après le dernier combat héroïque de Sinwar sur le champ de bataille de Gaza, le Hamas est confronté à des défis sans précédent en matière de leadership et de viabilité. Les assassinats ciblés de hauts dirigeants par l'occupation israélienne - Ismail Haniyeh à Téhéran, Saleh al-Arouri à Beyrouth et maintenant, accidentellement, Yahya Sinwar à Gaza - ont créé un vide qui menace le mouvement tant en interne qu'à l'étranger. En outre, les liens de longue date du Hamas avec l'Iran, qui s'étaient relâchés à cause de la guerre en Syrie, se sont également renforcés sous la direction de Sinwar.
Combler le vide laissé par Sinwar
Pour faire face à cette crise, le Hamas dispose de plusieurs options. La première consiste à choisir un nouveau dirigeant parmi ses figures de proue. Khalil Al-Hayya, Khaled Meshaal et Zaher Jabareen figurent parmi les candidats les plus sérieux. Des rapports ont également fait état du frère cadet de Sinwar, Muhammad Sinwar, haut commandant des Brigades Qassam. Toutefois, les médias israéliens estiment qu'il n'est pas pressenti pour devenir le chef du politburo, mais qu'il pourrait prendre la tête du mouvement dans la bande de Gaza.
Hayya, l'adjoint de Sinwar à Gaza, est un candidat sérieux à la direction. Il bénéficie d'un soutien considérable au sein du Hamas, dirige le Bureau des relations arabes et islamiques et entretient des liens solides avec l'Iran et l'Égypte.
Meshaal, membre fondateur du politburo et survivant d'une tentative d'assassinat ordonnée par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, jouit également de relations internationales et d'une influence politique considérables. Bien qu'il ait précédemment annoncé qu'il ne reprendrait pas la direction du parti, de plus en plus de voix s'élèvent pour demander sa reconduction dans le contexte de la crise actuelle. Toutefois, les relations futures avec la Syrie et l'Iran pourraient être remises en question en raison de son scepticisme à l'égard de l'opposition syrienne et du soutien qu'il lui apporte.
Zaher Jabareen, membre fondateur de la branche armée et dirigeant du Hamas en Cisjordanie occupée, est un autre personnage clé. Fort d'une longue histoire de lutte, il est considéré comme un élément influent au sein du mouvement. Ce n'est pas anodin, car le soutien de la résistance en Cisjordanie est depuis longtemps un objectif de la République islamique d'Iran dans le cadre de son soutien à la lutte de libération palestinienne.
Le leadership collectif, une stratégie possible
Une autre option pour le Hamas consiste à adopter un modèle de direction collective, en évitant de concentrer le pouvoir sur une seule personne afin de minimiser les risques face aux menaces d'assassinat permanentes. Cette structure plus souple pourrait contribuer à répartir le fardeau de la direction, compliquant ainsi la tâche d'Israël qui cherche à décapiter le mouvement, comme l'a récemment expérimenté le Hezbollah libanais.
Une troisième piste consiste à s'appuyer sur les institutions internes du mouvement, telles que le Conseil de la Choura. Actuellement dirigé par Abu Omar Hassan Darwish, le Conseil de la Shura pourrait proposer un modèle de leadership stable et institutionnalisé qui mettrait également l'accent sur la prise de décision collective.
Malgré les difficultés, le Hamas dispose d'une structure organisationnelle solide et d'institutions capables de prendre les décisions appropriées en l'absence d'un dirigeant aussi incontournable et expérimenté que Sinwar.
Le parcours de Yahya al-Sinwar au sein du Hamas a commencé au milieu des années 1980, lorsqu'il a mis en place l'aile sécurité du mouvement, appelée "Majd", sous la supervision du défunt fondateur, le cheikh Ahmad Yassine. On raconte que Sinwar a rencontré le cheikh Yassine, lui demandant le soutien du mouvement pour faire face à l'occupation israélienne, et qu'il lui a dit : "Nous la combattrons, même avec de la terre".
Ce dévouement inébranlable à la résistance a fait de lui un proche confident du chef spirituel du mouvement, et il s'est mis à créer le noyau de l'aile militaire du mouvement, devenues les Brigades Qassam.
En 1988, coïncidant avec le déclenchement de la première Intifada, Sinwar a été arrêté et condamné à la prison à vie, mais malgré sa détention, il a joué un rôle actif en démasquant des agents infiltrés. Sinwar a passé plus de 22 ans dans les prisons israéliennes, avant d'être libéré en 2011 dans le cadre d'un échange de prisonniers connu sous le nom de "Loyalty of the Free", qui a inclus la libération du soldat israélien Gilad Shalit en échange de plus d'un millier de prisonniers palestiniens.
Le leadership stratégique de Sinwar
Après sa libération, Sinwar a assumé de nouvelles responsabilités au sein du mouvement, la plus importante étant de promouvoir les Brigades Qassam au sein du Comité exécutif du mouvement Hamas, c'est-à-dire au poste correspondant à celui du ministre de la Défense au sein du Hamas.
Cette étape a été déterminante, car Sinwar a commencé à jeter les bases d'une stratégie globale visant à développer les capacités militaires du mouvement. Il a travaillé au développement du réseau de tunnels, devenu l'une des armes stratégiques de la résistance, ainsi que du système de missiles et d'armement, qui s'est avéré efficace pour affronter les forces d'invasion israéliennes.
Sinwar a également contribué à la création de la force Nukhba ["élite"], conçue pour les opérations offensives derrière les lignes ennemies. L'une de ses réalisations les plus importantes au cours de cette période a été la supervision des opérations "au-delà des lignes ennemies" pendant la guerre de 2014, qui a duré 51 jours.
La Nukhba a été en mesure de mener des dizaines d'opérations réussies à l'intérieur des territoires occupés, qui ont permis de neutraliser plus de 100 soldats israéliens et d'en capturer deux, toujours détenus par les Brigades Qassam à ce jour.
En 2017 et en 2021, Yahya Sinwar a été élu à la tête du Hamas dans la bande de Gaza et a travaillé sur trois axes stratégiques principaux : le renforcement des capacités militaires du mouvement, la recherche d'une réconciliation palestinienne interne et le renforcement des relations avec l'Égypte et d'autres puissances régionales.
Sinwar a réussi à améliorer les relations avec l'Égypte, notamment sur la question de la gestion des checkpoints et de l'allègement du blocus imposé à la bande de Gaza. En 2018, il a mené les marches non armées du "Grand retour", qui avait pour objectif de faire connaître les souffrances des Palestiniens assiégés et de revendiquer pacifiquement leur droit au retour.
Plus proche de l'Axe de la résistance
Malgré la répression israélienne brutale de ces marches, Sinwar a pu réaliser quelques percées, comme l'ouverture permanente du checkpoint de Rafah et l'allègement partiel du blocus, qui ont ainsi contribué à l'amélioration des conditions de vie à Gaza.
Pendant la période où il a dirigé l'aile militaire du Hamas, Sinwar s'est attaché à renforcer les relations avec l'Axe de la résistance, en particulier avec le Hezbollah et l'Iran. Ces contacts se sont traduits par un soutien militaire et logistique important pour les Brigades Qassam, leur permettant de développer leurs capacités sur le plan qualitatif.
L'opération Al-Aqsa Flood a été la plus grande offensive militaire de l'histoire du "conflit israélo-arabe". Les autorités israéliennes pensaient que le Hamas avait capitulé sous la pression du blocus, mais Sinwar planifiait méticuleusement cette attaque depuis des années. Les Brigades Qassam ont infligé de lourdes pertes à Israël, détruisant la division militaire de Gaza, tuant et capturant de nombreuses personnes, stupéfiant les colons et les fonctionnaires.
Sinwar, réputé pour sa grande maîtrise de l'évasion et de la planification à long terme, a réussi à tromper les services de renseignement israéliens pendant des années, car toutes leurs tentatives pour l'atteindre ont échoué. Même lorsqu'il est mort en martyr, l'occupation ignorait sa présence dans le secteur de Tal al-Sultan, où il a été tué alors qu'il dirigeait une opération sur le terrain.
La fin d'une époque, l'amorce d'une autre
Parmi les récits contradictoires entourant ses derniers instants,
"le fait qu'il ait été tué en treillis et en gilet pare-balles après avoir tiré et lancé des grenades sur des soldats israéliens, allant même jusqu'à s'en prendre à un drone [israélien] avec un bâton en bois lancé avec son seul bras valide dans un dernier geste de défi, distingue Sinwar de ses prédécesseurs assassinés alors qu'ils étaient en fuite", observe le Guardian.
Le Wall Street Journal titre quant à lui : "Dans la mort, le chef du Hamas pourrait avoir gagné un soutien plus large que de son vivant", soulignant la posture délicate des gouvernements soutenus par les États-Unis dans toute l'Asie occidentale, alors que les citoyens et les autorités religieuses reconnaissent ouvertement le sacrifice de Sinwar pour la cause palestinienne.
Le martyre de Yahya Sinwar est sans aucun doute un coup dur pour le Hamas, mais il marque aussi la fin honorable d'un dirigeant devenu synonyme de détermination, de dévouement et de résilience. Sous la direction de Sinwar, le Hamas s'est imposé comme un acteur central de la lutte palestinienne, a développé ses capacités militaires de manière exponentielle, et redonné à la cause nationale palestinienne une place de choix sur la scène internationale.
La mort de Sinwar n'est pas seulement la fin du parcours d'un commandant visionnaire, mais l'amorce d'un nouveau chapitre pour le Hamas et l'ensemble de la résistance palestinienne. Alors que le peuple palestinien est confronté à une lutte existentielle et que l'agression israélienne se propage sur les fronts régionaux, le Hamas est redevenu un partenaire incontournable de l'Axe de la résistance en Asie de l'Ouest.
Le mouvement est désormais confronté au défi crucial de maintenir sa cohésion, de résister aux offensives d'Israël et de protéger son peuple contre une campagne génocidaire qui ne cesse de grossir.