middleeasteye.net Depuis un mois, les civils palestiniens du nord de Gaza sont confrontés à trois choix amers : être tués par les bombardements israéliens, mourir de faim ou être déplacés de force dans un périlleux voyage vers le sud.
« Beaucoup des 400.000 Palestiniens vivant dans le Nord disent qu'ils ne veulent pas fuir vers le sud. » ( source)
Ce plan fait partie d'un plan militaire que des experts juridiques ont décrit à Middle East Eye comme « génocidaire » car son but est de déplacer de manière permanente la population du nord de Gaza, alors que les colons prévoient de coloniser l'enclave palestinienne après la guerre.
Les médias israéliens, les analystes et les responsables militaires - ainsi que les Palestiniens de Gaza - affirment que la campagne actuelle correspond au « Plan des généraux », également connu sous le nom de Plan Eiland.
Proposé et promu par un groupe de réservistes de l'armée israélienne, le plan consiste à déplacer de force toute la population du nord de Gaza, puis à assiéger la zone, notamment en empêchant l'entrée de fournitures humanitaires, afin d'affamer tous ceux qui restent.
Le plan a pour objectif déclaré de vaincre le Hamas dans le nord, mais il considère les civils qui choisissent de rester comme des cibles militaires légitimes.
Ceux qui partent vers le sud doivent traverser une barrière militaire connue sous le nom de corridor de Netzarim, une bande de terre de 6 km mise en place par l'armée israélienne au cours des premiers mois du conflit pour diviser le nord et le sud de Gaza. Les médias israéliens ont rapporté en février qu'une route fortifiée était en cours de construction dans le corridor ; elle encerclera le nord de la bande de Gaza et empêchera tout passage futur du sud au nord.
« Imposer un siège, empêcher tout accès à la nourriture, à l'eau, aux médicaments et aux abris, tout cela dans le but de forcer une population à partir, est un nettoyage ethnique classique et un crime grave au regard du droit international. C'est à la fois un crime de guerre et un crime contre l'humanité », a déclaré à MEE Balakrishnan Rajagopal, professeur de droit au MIT (Institut de Technologie du Massachusets) et rapporteur spécial de l'ONU sur le droit au logement.
« Le déplacement forcé dans le nord de Gaza dans des conditions de siège avec l'intention d'éliminer leur présence est un génocide, car il vise à la destruction d'un peuple », a-t-il ajouté. « Israël porte également la responsabilité en tant qu'État de toutes ces graves violations du droit international ».
Israël a imposé un black-out au nord de Gaza, empêchant les habitants de contacter le monde extérieur et de partager des informations sur ce qu'ils endurent.
Malgré cela, des rapports horribles de famine, de bombardements et de déplacements continuent d'émerger.
Quel est le « plan des généraux » d'Israël et quelles conséquences cela aura-t-il sur la guerre contre Gaza ?
L'avocat israélien des droits de l'homme Michael Sfard a déclaré que la campagne dans le nord de Gaza pourrait équivaloir à un transfert forcé de civils d'une vaste zone.
Malgré les ordres d'expulsion émis sous prétexte que le nord de Gaza va devenir une zone de guerre, il n'y a aucune garantie que les personnes déplacées seront autorisées à revenir une fois les combats terminés, a-t-il noté.
La déportation ou le transfert forcé d'une population dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre des civils est un crime contre l'humanité en vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Le fait que l'armée et le gouvernement israéliens n'aient pas fourni d'assurances que le transfert forcé soit une mesure temporaire est une source d'inquiétude, a déclaré Sfard.
« Cela indique que l'intention est de déplacer définitivement ces personnes et de nettoyer ethniquement cette zone. En termes juridiques, il s'agit d'une violation frontale des principes les plus fondamentaux des lois de la guerre », a-t-il déclaré à MEE.
« Un avertissement aux civils n'exempte pas les forces combattantes de l'interdiction de cibler les civils, de l'interdiction d'utiliser la famine comme moyen de guerre et de l'interdiction d'utiliser des tirs aveugles », a-t-il ajouté.
« Imaginez si le Hezbollah publiait une déclaration disant que d'ici dimanche 20 heures tous les résidents de Tel-Aviv doivent partir, et qu'après cette date limite, la ville serait bombardée. Personne au monde ne se poserait la question de savoir si c'est légal ou non. »
« Crime aggravé »
La plupart des 1,1 million d'habitants du nord de Gaza ont été contraints de partir vers le sud en raison des ordres d'expulsion israéliens lorsque la guerre a éclaté il y a un an.
Les 400.000 personnes restantes, qui ont à nouveau reçu l'ordre de partir, sont considérées comme les plus vulnérables, notamment les malades, les blessés et les personnes âgées, ainsi que ceux qui craignent d'être déplacés définitivement ou de mourir s'ils partent.
Depuis le 5 octobre, ils sont soumis à un siège brutal qui interdit l'entrée de toute aide humanitaire. Les frappes israéliennes sur la zone ont tué au moins 1.500 Palestiniens depuis le début du siège.
Plus de 43.200 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes dans toute la bande de Gaza au cours de l'année écoulée, la majorité étant des femmes et des enfants.
La semaine dernière, lors d'une frappe aérienne, les forces israéliennes ont tué près de 100 Palestiniens, dont 25 enfants, lors d'un raid visant un immeuble de cinq étages à Beit Lahia où des personnes déplacées s'étaient réfugiées.
Les équipes de défense civile et les ambulanciers paramédicaux ont été empêchés par les forces israéliennes de secourir les blessés, et tous les hôpitaux du nord ont été contraints de cesser leurs activités en raison des attaques israéliennes incessantes et de la détention de leur personnel.
Joyce Msuya, la cheffe des secours de l'ONU, a averti la semaine dernière que toute la population du nord de Gaza était confrontée à un risque de mort imminente.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a également déclaré que la campagne israélienne dans le nord pourrait détruire la population palestinienne de cette région, en particulier autour de Jabalia, Beit Lahia et Beit Hanoun.
« Les Palestiniens de Gaza ont déjà été victimes de déplacements multiples, à cause de la Nakba, et ont maintenant été déplacés à plusieurs reprises depuis octobre 2023 en raison des attaques israéliennes et des ordres d'évacuation », a déclaré Rajagopal.
« Les soumettre à de nouveaux déplacements est un crime aggravé ».
Les correspondants de Middle East Eye à Gaza ont révélé une image horrible de soldats israéliens forçant des civils non armés et affamés dans le nord à quitter leurs maisons ou leurs abris pour déplacés sous la menace des armes.
Les bâtiments qui ont servi de refuge aux civils, notamment les écoles de l'ONU, sont ensuite bombardés, rasés ou incendiés par les forces israéliennes, ce qui les empêche de revenir.
Les hommes palestiniens sont ensuite séparés des femmes et des enfants et interrogés. Beaucoup d'entre eux sont ensuite enlevés vers des lieux inconnus où ils risquent d'être torturés ou tués.
Les hommes, femmes et enfants restants sont contraints de se diriger vers le sud, dans un voyage que certains ont décrit à MEE comme une marche de la mort, où les Palestiniens marchent sous le feu des soldats israéliens et des quadricoptères télécommandés.
« Perversion du droit »
Janina Dill, professeur de droit à l'université d'Oxford, a déclaré que le plan des généraux soulève un certain nombre de défis au regard du droit international humanitaire, également connu sous le nom de droit des conflits armés.
« Oui, Israël peut - dans certaines circonstances, il doit même - avertir la population civile des attaques ou des opérations militaires qui l'affecteront », a-t-elle déclaré.
« Cependant, les civils qui ne peuvent ou ne veulent pas tenir compte d'un tel avertissement ou d'un tel ordre d'évacuation restent des civils méritant toute la protection du droit international. Ils ne peuvent pas être affamés ou attaqués parce qu'ils n'ont pas fui. »
Selon Dill, même si l'armée israélienne prétend que les civils qui choisissent de ne pas évacuer agissent comme des boucliers humains pour les combattants du Hamas, « le simple fait de ne pas fuir ne nous permet pas de déduire que les civils protègent délibérément les militants ».
« Ne pas fuir son domicile ne compte pas comme une participation directe aux hostilités », a-t-elle déclaré.
« C'est vraiment une perversion du droit de suggérer qu'ils perdent leur protection parce qu'ils se mettent en travers du chemin des hostilités. »
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR