25/01/2025 palestine-solidarite.fr  8min #267115

 Le cessez-le-feu ne met pas fin à la guerre

Israël resserre l'étau sur Jénine et l'ensemble de la Cisjordanie

Des véhicules militaires israéliens gardent une route où un bulldozer militaire opère dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, le 22 janvier 2025. [AP Photo/Majdi Mohammed]

Par Thomas Scripps

À travers 50 millions de tonnes de décombres, les Gazaouis retrouvent 200 cadavres

Israël profite de la première phase du cessez-le-feu à Gaza pour intensifier sa guerre en Cisjordanie.

Avec  le feu vert de l'administration Trump, les soldats et les forces de sécurité des Forces de défense israéliennes (FDI) ont lancé une vaste opération centrée sur Jénine qui, selon le ministre des Affaires étrangères Israël Katz, « marquera un changement dans la stratégie de sécurité des FDI en Judée et Samarie [le nom biblique utilisé par les sionistes d'extrême droite pour désigner la Cisjordanie] ».

Exprimant clairement les intentions du gouvernement, le ministre fasciste des Finances Bezalel Smotrich a déclaré : « Après Gaza et le Liban, aujourd'hui, avec l'aide de Dieu, nous avons commencé à changer le concept de sécurité en Judée et en Samarie. »

Plusieurs reportages suggèrent que Smotrich a obtenu l'engagement d'inclure la « sécurité » en Cisjordanie parmi les objectifs de guerre officiels d'Israël en échange de son soutien à l'accord de cessez-le-feu à Gaza.

Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, a lancé un avertissement sans détour : « Alors que le cessez-le-feu tant attendu se mettait en place à Gaza, la machine de mort israélienne a intensifié ses tirs en Cisjordanie [...] »

« Si Israël n'est pas contraint de s'arrêter, le génocide des Palestiniens ne se limitera pas à Gaza. Je vous le dis. »

Cette crainte a été relayée par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, qui a assorti d'une observation son optimisme infondé quant au cessez-le-feu : « L'autre possibilité est qu'Israël, enhardi par les succès militaires qu'il a remportés, pense que c'est le moment de procéder à l'annexion de la Cisjordanie et de maintenir Gaza dans une sorte de situation d'incertitude. »

Au moins 10 Palestiniens ont été tués à Jénine et 40, blessés. Les chiffres pourraient être bien plus élevés, les ambulances n'ayant pas pu atteindre les blessés. Nebal Farsakh, porte-parole du Croissant-Rouge palestinien, a déclaré aux journalistes : « Personne ne peut briser le siège du camp de réfugiés et de la zone environnante. » L'organisation s'est déclarée « profondément préoccupée » par le bien-être des habitants de Jénine.

Répétant les tactiques utilisées lors de leur guerre criminelle de génocide à Gaza, les forces israéliennes ont encerclé l'hôpital gouvernemental Khalil Suleiman. Wissam Bakr, responsable de l'établissement, a déclaré aux journalistes : « La situation actuelle est terrible. Les forces israéliennes ont détruit les routes devant l'hôpital. Elles ont placé les décombres des rues détruites devant les sorties de l'hôpital pour empêcher les ambulances d'entrer ou de sortir. »

Deux infirmières et trois médecins ont été abattus sur la route principale menant au bâtiment mardi, a-t-il expliqué, ajoutant que 600 membres du personnel et patients s'abritaient maintenant du mieux qu'ils pouvaient à l'intérieur de l'hôpital.

Le récit de Bakr a été confirmé par Adel Besher, qui a déclaré à Al Jazeera : « J'ai dormi [...] dans la cour de l'hôpital. Même si ma maison se trouve à 200 mètres d'ici, je n'ai pas pu l'atteindre.

« Il y a eu de nombreux blessés. Quatre membres de l'hôpital al-Amal ont été blessés, dont des médecins, des infirmières et des patients. Il y avait également trois ou quatre personnes blessées près de ma maison et personne n'a pu les secourir. »

Il a ajouté que « les forces israéliennes ont tiré sur tous ceux qui s'approchaient d'elles. Deux personnes ont été blessées en essayant de les secourir ».

Selon l'agence de presse Wafa, les habitants de plusieurs quartiers de Jénine ont reçu l'ordre de quitter leurs maisons et la ville par haut-parleur. Il est difficile de compter le nombre exact d'habitants dans les conditions du siège. Des dizaines de personnes ont été arrêtées et détenues.

Roland Friedrich, directeur des affaires de l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine) pour la Cisjordanie, a décrit le camp comme étant « presque inhabitable, avec quelque 2000 familles déplacées depuis la mi-décembre. L'UNRWA n'a pas été en mesure de fournir des services complets au camp pendant cette période ». Il a ajouté que l'opération « utilisant des armes et des méthodes de guerre avancées, y compris des frappes aériennes [...] devrait durer des jours ».

Friedrich a noté que l'opération israélienne « fait suite à plus d'un mois d'affrontements armés à l'intérieur du camp de Jénine entre les FSP [Forces de l'État palestinien, commandées par l'Autorité palestinienne] et des Palestiniens armés ».

Selon Middle East Eye, « les forces de sécurité de l'Autorité palestinienne ont pris d'assaut l'hôpital al-Razi à Jénine mercredi et ont arrêté un homme blessé qui serait membre du bataillon de Jénine et recherché par l'armée israélienne.

« Le raid de l'Autorité palestinienne semblait être la première fois que les forces palestiniennes participaient publiquement à un assaut militaire israélien en Cisjordanie. »

On craint que le sort de Jénine n'attende d'autres villes de Cisjordanie, les forces israéliennes ayant massivement augmenté le nombre de points de contrôle et de barrières militaires - près de 900 sur l'ensemble du territoire - qui interdisent l'entrée et la sortie des principaux centres de population. Le camp de réfugiés d'Aida a été pris d'assaut mercredi, et des raids ont été menés à Tulkarem et dans les villes autour de Ramallah et d'el-Bireh.

Aseel Baidoun, membre de Medical Aid for Palestinians, basé à Ramallah, a déclaré au Guardian : « Depuis deux jours, nous subissons un confinement militaire de grande ampleur. L'armée israélienne a installé des centaines de nouveaux points de contrôle qui rendent les déplacements entre les villes presque impossibles [...]

« C'est une prison à ciel ouvert ; nous avons l'impression de ne pas pouvoir nous déplacer. Si vous voulez aller de Ramallah à Jéricho, c'est impossible, et il est presque impossible d'atteindre les villages voisins. Il n'y a pas seulement des restrictions de circulation, mais aussi des attaques insensées de la part des colons. »

Des dizaines de colons masqués ont attaqué les villages de Jinsafut et al-Funduq près de Jérusalem lundi soir, apportant du matériel pour incendier des bâtiments et des voitures, et attaquant trois maisons, une crèche et un atelier de menuiserie. Ils ont également jeté des pierres et tiré des coups de feu. Des attaques similaires ont eu lieu depuis dans les villages de Sinjil, Ein Siniya, Turmus Aya et Khirbet Aqwiwis. Au moins 21 Palestiniens ont été blessés et hospitalisés, dont des personnes âgées et trois enfants.

Pendant ce temps, les habitants de la bande de Gaza continuent de fouiller dans les 50 millions de tonnes de décombres qui sont tout ce qui reste de leurs villes rasées. 80 % des bâtiments du nord de Gaza ont été détruits, laissant 300.000 personnes sans abri.

Les proches et les agences civiles sont à la recherche d'environ 10.000 corps ensevelis sous les décombres. Plus de 200 ont été retrouvés depuis l'entrée en vigueur du cessez-le-feu il y a quatre jours. Souvent, on ne trouve que des ossements.

Le travail est lent, en partie parce que les FDI ont tué une centaine de membres du personnel de l'agence de défense civile et détruit un grand nombre de ses véhicules. Le travail se fait également sous le feu de l'ennemi. Mercredi, Akram Atef Zanoun, 28 ans, a été tué par balle et quatre autres personnes ont été blessées par un quadrirotor israélien alors qu'elles enlevaient les décombres de leurs maisons, pour la plupart détruites, dans le camp de Shaboura, à Rafah.

Le passage sans encombre de 2400 camions d'aide à Gaza depuis la signature du cessez-le-feu, soit une augmentation considérable, confirme qu'Israël a délibérément restreint l'acheminement de ces fournitures vitales - utilisant la famine et la maladie comme arme de guerre - pendant plus d'un an.

Le docteur britannique James Smith, qui s'est porté volontaire à l'hôpital Al-Aqsa de Gaza, a déclaré à Al Jazeera : « L'une des choses les plus importantes à retenir est qu'un génocide ne prend pas fin avec un cessez-le-feu, en particulier un cessez-le-feu aussi fragile que celui-ci. »

« Il se poursuit simplement par d'autres moyens », a-t-il ajouté en évoquant le système de santé en ruine de la bande de Gaza.

Un correspondant de l'agence de presse, Hind Khoudary, a déclaré : « Vous ne pouvez pas imaginer à quel point les infrastructures de la bande de Gaza sont détruites. Les eaux usées remplissent les rues.

« Dans certains endroits, il y a un manque d'eau. Les usines de dessalement ne fonctionnent plus. L'infrastructure s'est complètement effondrée. »

L'échéance imminente de l'interdiction de l'UNRWA par Israël menace de plonger la région plus profondément dans la catastrophe, alors que plus de deux millions de Gazaouis dépendent de l'agence, auxquels s'ajoutent des centaines de milliers de Palestiniens en Cisjordanie.

Un rapport de l'Institut de recherche sur la paix d'Oslo, intitulé « Consequences of the Israeli UNRWA Ban » (Conséquences de l'interdiction de l'UNRWA par Israël), met en garde contre l'impact désastreux qu'aurait l'interdiction de l'organisation. Jorgen Jensehaugen, co-auteur du rapport, a expliqué que « dans moins d'une semaine, son effondrement dans les zones contrôlées par Israël pourrait paralyser l'opération humanitaire à Gaza ».

(Article paru en anglais le 22 janvier 2025)

Source : WSWS
 wsws.org

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