Par Craig Murray, le 16 janvier 2025
Le génocide du peuple palestinien a commencé il y a 76 ans. Ce qui pourrait être en train de s'achever n'est qu'une phase particulièrement intense du génocide.
Gaza est détruite. 92 % de ses habitations ont disparu. Le traitement de l'eau et l'assainissement, la production d'électricité, la transformation des denrées alimentaires, l'agriculture et la pêche sont désormais incapables de maintenir la vie. Ses hôpitaux, ses centres de santé, ses universités, ses collèges et ses écoles sont tous détruits, tout comme ses édifices municipaux, son système de traitement des déchets, son réseau routier, ses canalisations, ses théâtres, ses centres culturels, ses cinémas et ses cafés.
1,8 million de personnes ont froid et meurent de faim, de malnutrition, trempées, mal vêtues, vivant sous des tentes et déféquant dans des tranchées. Des dizaines de milliers de personnes mourront dans ces conditions, quelle que soit la rapidité de l'aide - et vous pouvez être certains à 100 % que l'obstructionnisme israélien l'empêchera d'arriver rapidement.
Mais même s'ils peuvent être sauvés physiquement, la culture et le corps social sont irrémédiablement endommagés. Les dégâts psychologiques sont immenses. Les structures de retour à la normale qui pourraient permettre la guérison sont inexistantes.
Personne ne connaît vraiment le nombre réel de personnes tuées jusqu'à présent par le génocide. Les autorités sanitaires palestiniennes, dirigées par les représentants élus du Hamas, ont eu le scrupule de ne communiquer que les chiffres des morts officiellement attestés après récupération et identification des corps.
Compte tenu de la destruction quasi totale des bâtiments de Gaza, de l'absence de matériel de secours et de répit pour la recherche des corps, je soupçonne que le bilan officiel de 46 707 morts à la date d'hier soir (et les Israéliens ont déjà tué plus de 80 personnes aujourd'hui) pourrait s'avérer bien en deçà de la vérité, qui pourrait atteindre le double, voire plus, en raison des cadavres non comptabilisés.
C'est sans compter sur l'étude de The Lancet qui suggère que 50 % des victimes pourraient être décédées des suites de leurs blessures. Les mutilés à vie sont aussi nombreux que les morts.
À long terme, les pires conséquences pourraient même ne pas toucher la Palestine. En soutenant Israël qui commet un génocide, le monde occidental a abandonné toute prétention à vouloir préserver le cadre juridique international développé après la Seconde Guerre mondiale. Des horreurs de guerre inouïes pourraient être déclenchées en conséquence au cours de la prochaine décennie.
Les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni ont ignoré leurs propres hauts fonctionnaires et conseillers juridiques pour enfreindre les règles en matière de droits de l'homme que ces pays avaient imposées à leur politique étrangère, en particulier concernant l'approvisionnement en armes.
En Pologne, en France et dans plusieurs autres pays de l'OTAN, les gouvernements ont ouvertement renié leur devoir d'appliquer les mandats de la Cour pénale internationale.
Au Royaume-Uni, en Allemagne, aux États-Unis, en France et dans l'ensemble du monde occidental, on a assisté à un recul massif des droits à la liberté d'expression et de réunion, chèrement acquis, dans le but explicite de faire barrage à la critique d'Israël et au soutien à la Palestine.
On a assisté à une répression concertée sur les réseaux sociaux dans la même optique, sur toutes les grandes plateformes en ligne, ainsi qu'à la fermeture de Tik Tok aux États-Unis, officiellement en raison de son incapacité à réprimer les discours critiques à l'égard d'Israël.
Le soutien unanime des médias grand public à Israël et la place minime, voire inexistante, laissée aux opinions divergentes font désormais partie intégrante du paysage politique et passent inaperçus. Mais ce phénomène doit être relayé.
Dans son discours de clôture, la seule chose utile que M. Biden ait dite est une observation pertinente sur le devenir oligarchique des États-Unis. Le monde entier devient profondément oligarchique, avec une augmentation vertigineuse de l'écart entre les riches et les pauvres au cours des vingt dernières années.
L'impunité d'Israël et le déclin du droit international en sont une conséquence directe. Une vérité particulière concerne presque tous les pays occidentaux et, fait intéressant, rassemble à la fois le monde arabe et le monde occidental.
Cette vérité est la suivante. Les richissimes élites oligarchiques qui contrôlent les médias et la politique sont extrêmement favorables à Israël. Ce qui n'est pas le cas de la population.
Le fossé entre le soutien à Israël des super riches et des puissants et l'opinion de la majorité des gens ordinaires mérite vraiment une étude sérieuse. Que la propagande pro-israélienne des grands médias n'ait pas suffi à convaincre les peuples du monde de soutenir le génocide, en dehors des cas particuliers de l'Allemagne et des sionistes religieux américains, voilà qui est particulièrement intéressant.
Que se passe-t-il maintenant ? J'étais à Beyrouth quand la ville a été bombardée dans les heures qui ont précédé l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, et je m'attends à ce qu'Israël bombarde massivement les villages de tentes de Gaza au cours des trois prochains jours.
J'ai également vu Israël rompre le cessez-le-feu tous les jours au Liban, et je m'attends à ce qu'il en fasse autant à Gaza.
Tant que les États-Unis et Israël qualifieront le Hamas d'organisation terroriste, ils revendiqueront le droit de bombarder et de tuer à tout moment dans le cadre d'une "opération antiterroriste", indépendamment de tout accord de cessez-le-feu. C'est leur positionnement officiel, tout comme ils le font au sujet du Hezbollah et de l'accord de cessez-le-feu avec le Liban.
Les Israéliens n'ont pas commencé à tuer des Palestiniens le 8 octobre 2023 et ils ne cesseront pas de les tuer maintenant.
Je m'attends à ce que l'accord de cessez-le-feu se poursuive comme prévu, avec des attaques "antiterroristes" israéliennes occasionnelles à Gaza. Les échanges de prisonniers auront lieu. Les Israéliens ne cesseront de retarder et de revenir sur les dispositions relatives à l'accès à l'aide humanitaire et au retrait des troupes. Les Palestiniens de Gaza mourront en grand nombre de maladie, de faim et d'insalubrité.
De même que le cessez-le-feu au Liban a vu Israël envahir immédiatement le sud de la Syrie, Israël va maintenant intensifier ses activités en Cisjordanie, en réprimant la résistance avec les représentants de l'"Autorité palestinienne" et en confisquant constamment des terres aux Palestiniens.
Le cessez-le-feu à Gaza, je n'en doute pas, doit être attribué à Trump qui a dit "stop" à Netanyahu. Comme je l'ai constamment répété, les tentatives de Biden de freiner Netanyahu ont été un pur et simple stratagème et Biden s'est résolument engagé en faveur du génocide.
Trump n'est pas du tout évident à cerner. Lorsqu'il a été élu en 2016, j'ai cru qu'il était moins belliciste en matière de politique étrangère qu'Hillary Clinton. Si Clinton avait été élue, par exemple, je suis sûr qu'elle aurait immédiatement saccagé la Syrie, qui aurait été détruite comme la Libye - ce qu'a finalement obtenu Biden.
Donald Trump 2è mouture semblait être un personnage nettement plus agressif que Donald Trump n°1, surtout concernant le Moyen-Orient. Pourtant, Trump n°2 a signifié à Netanyahu de cesser le génocide - confirmant incidemment que c'est ce qu'aurait pu faire Biden s'il l'avait voulu.
Car Biden, lui, a voulu le génocide.
Le mythe du soutien occidental au droit international et aux droits de l'homme est mort à Gaza, en même temps que le mythe du soutien occidental à la "solution à deux États". Il n'y a jamais eu de solution viable à deux États et ce sont les États qui prétendaient le plus bruyamment la soutenir qui ont refusé avec véhémence de reconnaître l'État palestinien.
La "solution à deux États" n'a jamais été qu'une façade pour le sionisme. Gaza étant désormais complètement détruite et sa population ruinée, et la Cisjordanie quasiment dépouillée, la prétention d'une "solution à deux États" doit être définitivement abandonnée.
Israël a perdu toute autorité morale pour continuer à exister. Il a prouvé qu'il était une entité génocidaire animée par l'ethno-suprémacisme. (Un peuple qui se considère comme une race supérieure ou bénéficiant de faveurs divines est un ethno-suprémaciste, que sa revendication d'homogénéité ethnique soit fondée ou non).
Dans les 48 heures qui ont suivi l'attaque du Hamas, le 7 octobre, j'ai écrit mon premier article sur le sujet. Souvent, rétrospectivement, nos réactions à un incident majeur sont trop empreintes de l'émotion du moment, mais en réalité, je suis aussi fier de cet article que de tout ce que j'ai jamais écrit auparavant.
"Les guerres asymétriques ont tendance à être ignobles. Les peuples opprimés et colonisés n'ont pas le luxe d'aligner des soldats en uniformes bien repassés et en bottes cirées pour affronter l'armée adverse à armes égales."Un peuple colonisé et opprimé a tendance, s'il en a l'occasion, à reproduire les atrocités perpétrées par son oppresseur.
"Cela nourrit toujours la propagande de l'impérialisme. Un paroxysme de Résistance de la part des opprimés finit toujours par être dépeint par l'impérialiste comme une preuve de la bestialité du peuple colonisé et justifie en soi la « mission civilisatrice » du colonisateur".
Ce qui ne veut pas dire que j'apprécie la violence, bien au contraire. En fait, je me réjouis que les prisonniers israéliens et palestiniens soient libérés dans le cadre d'un accord de cessez-le-feu.
Si la Résistance palestinienne a tout à fait le droit de faire prisonniers autant de membres et de réservistes de l'armée israélienne qu'elle peut, je ne peux approuver la pratique illégale qui consiste à emprisonner des enfants et tous ceux qui ne sont pas des combattants - et oui, je sais que les Israéliens le font à une bien plus grande échelle.
Se comporter mieux que les Israéliens devrait être un guide permanent dans la vie.
Mais, dans les faits, les États coloniaux et racistes ne peuvent pas toujours gagner. Les colons blancs des États-Unis, du Canada et de l'Australie sont parvenus à soumettre de manière permanente les populations locales et à les faire quasiment disparaître. Ces dernières semaines, j'ai parlé à de merveilleux intellectuels arabes qui eux ont tous tendance à penser que la défaite finale d'Israël est inévitable parce que l'État colonial ne sera jamais accepté par les populations arabes. J'aimerais être aussi confiant.
Là où je suis tout à fait d'accord avec eux, c'est que l'abolition de l'État terroriste d'Israël doit être l'objectif, et non un compromis avec ce dernier.
Le statut de paria d'Israël est désormais assuré pour la prochaine génération, le pays est profondément divisé en interne et il dépend d'un État parrain, les États-Unis, qui est en train de perdre sa puissance relative et son hégémonie. Pourtant, aujourd'hui, Israël est en pleine expansion. Il occupe nettement plus de territoire qu'il y a deux ans et a pris le contrôle, en Syrie et au Liban, de sources d'eau vitales pour la région. Israël exerce actuellement un contrôle militaire total sur plus de 30 % de l'eau douce de la Syrie.
Trump soutient vraisemblablement l'annexion par Israël de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est, de Gaza et d'autres territoires encore. Mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'il soutient soit l'expulsion de leurs populations, soit un État d'apartheid. Il peut percevoir ces lourdes ingérences de l'État comme une entrave à la liberté des entreprises de gagner de l'argent, voire comme un acte non souhaitable en soi.
Mais il est impossible de savoir avec certitude ce que Trump considère comme étant une finalité. À partir de cette hypothèse, on peut dire que son influence est, jusqu'à présent, plus bénigne que ce que l'on craignait.
Tout ceci n'est qu'un château de cartes. À ce jour, l'Arabie saoudite, l'Égypte, le Qatar, la Syrie, la Jordanie et le Liban ont tous des dirigeants qui sont, grosso modo, pro-américains et pro-israéliens. En sera-t-il encore ainsi dans dix ans ? Car Israël dépend de cela pour exister.
Israël compte aussi sur le soutien des gouvernements occidentaux. Or, dans l'ensemble du monde occidental, les systèmes électoraux et les partis qui maintiennent le consensus néolibéral et ne donnent aux électeurs aucun choix réel lors des élections sur des questions allant de la politique économique au soutien d'Israël, sont en train de se désagréger.
Ceci mérite un article à part entière, mais au Royaume-Uni, en France, en Allemagne et dans d'innombrables autres États, un changement tectonique est en train de se produire, les électeurs exigeant de sortir du carcan du dogme politique établi.
Jusqu'à présent, la droite populiste a été la plus prompte à tirer parti de ce changement, et a bien sûr bénéficié de la coopération des grands médias. Mais cet engouement indique l'imminence d'un changement radical dans les orientations politiques intérieures de l'Occident.
Cela coïncide avec les désillusions de l'Europe de l'Est à l'égard de l'UE et de l'OTAN et les tentatives désespérées des puissances de l'OTAN de renverser la démocratie en Géorgie, en Roumanie et en Moldavie.
À terme, la Chine s'intéressera plus activement au Moyen-Orient. Une fois la guerre en Ukraine terminée, la Russie se tournera sans doute de nouveau vers la Méditerranée.
Le contexte est évolutif. Je ne sais pas s'il faudra s'étonner si Trump déclenche des attaques américaines contre l'Iran ou s'il initie un redémarrage des négociations nucléaires et de la levée des sanctions. Cette dernière hypothèse me semble la plus probable.
Aujourd'hui, on peut au moins espérer que les effroyables tueries et mutilations à Gaza diminuent. Saisissons ce moment de répit et profitons un peu du soleil sur nos visages. Ensuite, nous poursuivrons la lutte contre le mal.