Depuis l'avènement de l'autonomie nationale de la Guinée en 1958, la Fédération de Russie, héritière de l'engagement de l'Union soviétique, s'est imposée comme un pilier essentiel dans l'essor économique et l'exploitation minière de cette nation de l'Afrique de l'Ouest.
Edifiée sur les fondations historiques d'une solidarité idéologique et d'une approche pragmatique des affaires économiques, cette collaboration s'est progressivement consolidée au gré des années, sous l'impulsion d'investissements considérables, de la mise en œuvre de projets infrastructurels d'ampleur et d'une extraction minière significative. Aujourd'hui, cette coopération se manifeste comme un partenariat naturel stratégique où se conjuguent harmonieusement des intérêts économiques mutuels et des considérations géopolitiques, avec la présence active d'entités russes telles que RUSAL ou Nordgold, qui sont au premier plan de cette dynamique. Cette deuxième partie d'une série de 5 articles se propose d'analyser en se focalisant sur les secteurs économique et minier - piliers de cette alliance - l'évolution ainsi que les perspectives de ce lien bilatéral tout en soulignant les enjeux et les potentialités qui le définissent.
Une coopération économique ancrée dans l'histoire et tournée vers l'avenir
L'entame de la coopération économique entre la Russie et la Guinée remonte aux aurores de l'ère postcoloniale guinéenne, lorsque l'Union soviétique, précurseur dans la reconnaissance de la souveraineté guinéenne le 2 octobre 1958, a inauguré une ère de relations bilatérales privilégiées. Cette reconnaissance prompte a été consolidée deux jours plus tard par l'établissement de liens diplomatiques formels et l'implantation de la première ambassade soviétique en Afrique de l'Ouest sur le sol guinéen. L'année suivante, les deux nations ont ratifié des accords de coopération économique et technique, engendrant un vaste programme de développement des infrastructures, de renforcement des compétences professionnelles et d'initiatives d'exploration géologique.
Au fil des décennies, l'Union soviétique a joué un rôle déterminant dans l'établissement des fondations de l'économie guinéenne, à travers des projets phares tels que la création de l'Institut Polytechnique de Conakry en 1964 - devenu par la suite l'Université Gamal Abdel Nasser en 1970 - et l'inauguration d'installations de recherche avancée en microbiologie en 1977 à Kindia et en océanographie et physique solaire en 1983, le premier du genre en Afrique. Ces investissements ont non seulement propulsé les capacités scientifiques et éducatives de la Guinée, mais ont également posé les jalons d'une économie nationale robuste et pérenne.
Après une période de retrait dans les années 1990, consécutive à l'éclatement de l'Union soviétique, la Russie a marqué son retour en Guinée au début du XXIe siècle, avec une recrudescence des échanges économiques, notamment stimulés par le sommet Russie-Afrique d'abord de Sotchi en octobre 2019, ensuite de Saint-Pétersbourg en juillet 2023. Cette année-là, les exportations guinéennes vers la Russie ont grimpé à 9 milliards d'euros, enregistrant une croissance de 24,7% par rapport à l'année antérieure, dominées par l'oxyde d'aluminium. L'essor économique est soutenu par des investissements stratégiques russes dans des domaines clés tels que l'énergie, la santé, l'éducation et les infrastructures.
La dimension humanitaire de cette coopération s'illustre par l'allocation par la Russie de 2 millions de dollars au Programme Alimentaire Mondial de l'ONU pour la Guinée en 2023, ainsi que par la mise en œuvre de projets visant le développement de l'aquaculture et l'autonomisation économique des femmes guinéennes, financés par le fonds fiduciaire Russie-ONU. Ces initiatives témoignent d'un engagement russe en faveur d'une croissance inclusive et durable.
Néanmoins, cette collaboration bilatérale fait face à des défis, notamment les répercussions des sanctions internationales antithétiques contre la Russie. Les exportations de bauxite guinéenne ont été temporairement entravées par l' arrêt de la raffinerie d'alumine de Nikolaev en Ukraine - qui traitait une partie de la production guinéenne - mais ont repris avec vigueur, démontrant la résilience et la capacité d'adaptation de cette relation économique, qui continue de se diversifier malgré un climat géopolitique complexe.
Le secteur minier, pilier de la présence russe en Guinée
Au cœur des relations bilatérales russo-guinéennes, le secteur minier se distingue comme un vecteur de coopération stratégique, la Guinée étant dotée d'immenses réserves de bauxite, estimées à plus de 40 milliards de tonnes, ainsi que d'autres minéraux précieux tels que l'or et le diamant. Depuis 1958, l'empreinte des entreprises russes dans l'exploitation de ces ressources est indéniable et fait de ce secteur un pilier économique pour les deux nations.
L'odyssée minière russo-guinéenne a débuté avec l'Union soviétique, qui a initié des projets d'exploration géologique en 1959. En 2001, le complexe d'extraction de bauxite de Kindia - la Compagnie des Bauxites de Kindia (CBK) - a vu le jour grâce à l'assistance russe, symbolisant la collaboration historique entre les deux nations. Géant russe de l'aluminium, RUSAL dirige la CBK depuis sa création et exploite également le complexe de bauxite-alumine de Friguia depuis 2002 - malgré l'attitude peu honorable de privatisation en 2006 par des élites locales de l'époque - et a investi substantiellement dans l'économie guinéenne tout en contribuant à l'emploi de milliers de personnes. C'est dans cette perspective qu'en 2023, l'entreprise a été distinguée pour ses performances et son impact social qui inclue des initiatives en matière de santé - construction d'un centre épidémiologique à Kindia en 2015 pour lutter contre Ebola et d'un centre multifonctionnel en 2020 pour faire face à la COVID-19 - et d'accès à l'eau potable.
Nordgold, autre acteur russe, opère dans l'extraction aurifère en Guinée, renforçant la présence russe dans le secteur. La société Rosgeo, spécialiste de l'exploration géologique, bien qu'active ailleurs en Afrique, détient un potentiel futur pour la découverte de nouveaux gisements en Guinée.
Au-delà de l'extraction, RUSAL investit dans l'éducation et la santé, offrant des bourses d'études et construisant des infrastructures médicales, témoignant de son rôle social étendu. Cependant, le secteur fait face à des défis, notamment des sanctions internationales et les rivalités géopolitiques.
On peut dire que la coopération économique et minière entre la Russie et la Guinée est un exemple d'alliance pérenne, où passé et présent se conjuguent pour esquisser un avenir prometteur, dans un contexte mondial où les ressources guinéennes et l'influence russe pourraient redéfinir les équilibres régionaux.
Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l'intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine