Thomas Fazi - Le 16 mai 2025 - Son blog
Les négociateurs russes et ukrainiens doivent se rencontrer aujourd'hui à Istanbul pour ce qui serait les premiers pourparlers de paix directs en plus de trois ans. Mais ceux-ci sont déjà très mal partis et la principale raison en est que les Ukrainiens (et leurs bailleurs de fonds occidentaux) n'agissent pas de bonne foi. En fait, tous les signes indiquent que les Ukrainiens et les Européens abordent ce dernier cycle de négociations avec le même état d'esprit qui a condamné les efforts précédents, non pas pour parvenir à un règlement, mais pour assurer la poursuite de la guerre.
Zelensky et les gouvernements occidentaux - y compris l'administration Trump - ont critiqué la décision de Poutine de ne pas assister aux pourparlers ni de rencontrer Zelensky en personne, mais d'envoyer une délégation à la place. Zelensky a qualifié cette dernière de « simulacre » et a déclaré que c'était la preuve que la Russie n'était pas vraiment intéressée par la paix. Mais cela n'a guère de sens. Dans de tels cas, il est tout à fait normal que les négociateurs nommés jettent les bases et préparent des projets d'accords, après quoi les dirigeants interviennent pour entamer des discussions sur la base d'un cadre mutuellement accepté.
Après tout, la Russie a clairement indiqué quelles sont les conditions préalables à un accord: la reconnaissance (de facto sinon de jure) des territoires annexés de la Russie - Crimée, Sébastopol, Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporizhzhia - en tant que partie de la Fédération de Russie ; le retrait total de l'Ukraine des territoires contestés; et la renonciation de l'Ukraine aux aspirations d'adhésion à l'OTAN et l'adoption d'un statut neutre et non aligné, couplé à une démilitarisation, en échange de garanties de sécurité occidentales.
Cela n'a guère de sens pour Poutine de rencontrer Zelensky tant que la partie ukrainienne n'a pas accepté cela ; d'autant plus que la Russie, comme on le sait, a le dessus sur le champ de bataille. En effet, lorsque Poutine a appelé à des négociations directes avec l'Ukraine ce week-end, après avoir rejeté de manière prévisible la proposition unilatérale de cessez-le-feu de l'Occident, il ne suggérait clairement pas de rencontrer immédiatement Zelensky en personne. Le président russe ne va certainement pas se laisser entraîner dans une confrontation impromptue devant les médias du monde entier, comme celle qui s'est produite en février à la Maison Blanche entre Zelensky, Trump et Vance.
Zelensky, il faut présumer, comprend très bien tout cela et donc sa demande, agrippée au refus de Poutine de le rencontrer en personne, ne peut être comprise que comme une tentative de saboter les pourparlers avant même qu'ils ne commencent. Il en va de même pour la récente tentative de l'Occident de faire pression sur Poutine pour qu'il conclue un accord de cessez-le-feu de trente jours.
Le 10 mai, Emmanuel Macron, Keir Starmer, Donald Tusk et Friedrich Merz se sont rendus à Kiev, où ils ont lancé un ultimatum à Poutine : accepter un cessez-le-feu inconditionnel ou faire face à des sanctions "massives" imposées conjointement par l'Europe et les États-Unis. Cette position aurait été approuvée même par Donald Trump au téléphone.
Invectives, accusations, ultimatums, menaces, ce n'est guère l'approche de quiconque véritablement intéressé à favoriser le dialogue ou à obtenir un accord de paix. Au contraire, de telles propositions semblent délibérément conçues pour être rejetées par la Russie. Après tout, il ne faut pas être un génie diplomatique pour se rendre compte que Poutine ne laissera pas la Russie être poussée à un cessez-le-feu unilatéral par la partie même qui est en train de perdre la guerre. L'idée n'est pas seulement irréaliste, elle est carrément absurde.
En ce sens, lorsque les dirigeants européens parlent d'imposer une nouvelle série de "sanctions dévastatrices", une idée qui aurait été inspirée par le sénateur républicain Lindsey Graham, un proche allié de Trump, qui a suggéré de frapper les exportations russes de droits de douane de 500% si Poutine n'arrête pas ses attaques contre l'Ukraine, ils ne tentent pas vraiment de faire pression sur la Russie pour qu'elle conclue un accord. Ils font plutôt de leur mieux pour assurer la poursuite de la guerre. En bref, si quelqu'un va être "dévasté" par les nouvelles sanctions, ce sera l'Ukraine ainsi que l'Europe, qui continue de souffrir beaucoup plus que la Russie des sanctions mêmes qu'elle a contribué à imposer.
Cela s'inscrit dans une approche de longue date des gouvernements européens face au conflit, une approche qui, malheureusement, semble maintenant être approuvée même par l'administration Trump, en particulier à la lumière de l'aide militaire américaine nouvellement approuvée pour l'Ukraine.
Thomas Fazi
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.