18/05/2025 ssofidelis.substack.com  9min #278373

 Ukraine - Échec des négociations et autres sujets

Partie d'échecs diplomatique avec le pion ukrainien

De gauche à droite, le président ukrainien Zelensky, le président français Macron, le Premier ministre britannique Starmer et le chancelier allemand Merz au téléphone avec le président américain Trump durant le sommet de la Communauté politique européenne à Tirana, en Albanie, vendredi. (© Simon Dawson / No 10 Downing Street / Flickr / CC BY-NC-ND 2.0)

Par  Patrick Lawrence pour Consortium News, le 16 mai 2025

Comme on pouvait s'y attendre, les pourparlers d'Istanbul n'ont pas donné grand-chose cette semaine. Les délégations ukrainienne et russe se sont réunies dans le but officiel d'explorer les possibilités d'un règlement négocié de la guerre par procuration provoquée par les États-Unis il y a trois ans.

Les participants eux-mêmes ne s'attendaient pas à ce que leurs discussions aboutissent à quoi que ce soit d'utile.

Après moins de deux heures de négociation, les deux parties ont seulement convenu de poursuivre les discussions sur des questions secondaires : un échange de prisonniers et un cessez-le-feu de 30 jours - un cessez-le-feu que Kiev et ses soutiens occidentaux ont refusé pendant des années, mais qu'ils sont désormais prêts à mettre en œuvre à tout prix.

Il n'y a pas eu de discussion sur un accord de fin à la guerre, ni d'accord final autre que celui de poursuivre les négociations. Et la rencontre n'a pas été sans moments d'acrimonie.

Des pourparlers pour négocier d'autres pourparlers, c'est peu, mais ce n'est pas rien. Les deux parties se sont rencontrées pour la première fois depuis mars 2022, lorsqu'un mois après le début de la guerre, elles se sont réunies à Istanbul et ont négocié un projet de document qui aurait mis fin aux combats - jusqu'à ce que Boris Johnson, alors Premier ministre britannique, soit venu saboter l'accord afin de poursuivre la guerre.

On ne peut feindre la surprise ou la déception. Il était évident, durant une semaine de gesticulations incessantes, que le régime de Kiev et les puissances européennes qui se sont récemment chargées de le manipuler n'ont pas la moindre envie d'entamer des négociations substantielles avec la Fédération de Russie.

Non, pour les Britanniques, les Français, les Allemands et leur mandataire à Kiev, l'impératif avant la rencontre d'Istanbul vendredi était avant tout de se montrer sincèrement attachés aux négociations autour d'une table en acajou, tout en entravant les prémices d'un règlement diplomatique.

Dans ce domaine, les Européens ont échoué, du moins pour l'instant.

Trump prend le relais

Le président Donald Trump les a en effet écartés lorsqu'il a répondu, de manière positive et énergique, à l'offre inattendue du président Vladimir Poutine d'ouvrir des pourparlers. Trump a insisté, en majuscules comme à son habitude, pour que Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, oublie le cessez-le-feu et ouvre des négociations "IMMÉDIATEMENT !"

Les Britanniques, les Français et les Allemands, qui ont pris le relais de Zelensky depuis l'arrivée au pouvoir de Trump en janvier, semblent avoir été écartés. Mais les pourparlers de vendredi ont peu de chances de marquer la fin de leurs efforts pour faire perdurer la guerre et empêcher tout accord, même s'ils prétendent exactement le contraire.

Le Premier ministre britannique Keir Starmer, le président français Emmanuel Macron et l'Allemand Friedrich Merz ont donné le coup d'envoi le week-end dernier en se rendant à Kiev pour un sommet organisé à la hâte avec Zelensky. À leur arrivée, les dirigeants britannique, français et allemand ont lancé un ultimatum : Moscou doit accepter un cessez-le-feu de 30 jours avant le lundi 12 mai, sinon les Européens imposeront une série de nouvelles sanctions punitives à la Russie.

Ce fut le lever de rideau d'une pièce de théâtre bien médiocre. Comme l'a fait remarquer John Whitbeck, avocat international résidant à Paris sur son blog privé, Moscou ne pouvait que refuser cette offre donnant l'impression que les Européens font tout pour la paix, mais que les Russes restent déterminés à faire la guerre.

C'est alors que le spectacle a commencé. Poutine, dans une réponse quasi immédiate donnée tard dans la nuit depuis le Kremlin, a accordé à l'ultimatum Starmer-Macron-Merz toute l'attention qu'il méritait - c'est-à-dire aucune - et a pris les Européens et Kiev à contre-pied en proposant que Kiev et Moscou entament des négociations à Istanbul le jeudi.

À ce stade - la chronologie a été largement rapportée -, Zelensky a poursuivi son manège. La proposition russe n'était que du vent : voici son coup d'envoi. (Vous voyez ce que je veux dire par "amusement" ?) "Bon, j'accepte les pourparlers à Istanbul, mais j'insiste pour un sommet avec Poutine en personne". Poutine a également ignoré cette demande, comme s'y attendaient Zelensky et ses commanditaires. D'abord un cessez-le-feu, encore une idée que Kiev et ses commanditaires ont jetée aux orties.

C'est l'intervention de Trump qui a mis fin aux lubies européennes. Après les déclarations du président américain à la presse et sur les réseaux sociaux, l'acteur ukrainien devenu président a finalement accepté d'envoyer une délégation de responsables de Kiev, conduite par le ministre de la Défense Rustem Umerov, pour rencontrer une délégation russe dirigée par Vladimir Medinsky, un éminent conseiller du président russe.

Vendredi en fin d'après-midi, les délégations russe et ukrainienne ont toutes deux annoncé avoir convenu de reprendre les pourparlers, mais pour l'instant uniquement sur la question du cessez-le-feu. "Nous sommes prêts à poursuivre le dialogue", a déclaré M. Medinsky lors d'une conférence de presse après la réunion.

On peut toutefois en dire un peu plus sur cette rencontre. Dans un article publié vendredi soir,  The Telegraph  ssofidelis.substack.com cite Medinsky qui aurait déclaré aux Ukrainiens assis de l'autre côté de la table de négociation en forme de U :

"Nous ne voulons pas la guerre, mais nous sommes prêts à nous battre pendant un an, deux ans, trois ans, aussi longtemps qu'il le faudra. Nous avons combattu la Suède pendant 21 ans. Combien de temps êtes-vous prêts à vous battre ?"

Medinsky faisait référence à ce que les Russes appellent la Grande Guerre du Nord, que la Russie a menée contre l'Empire suédois durant le règne de Pierre le Grand, de 1700 à 1721.

Et voilà, après une série de manœuvres dignes d'un feuilleton à Londres, Paris, Berlin et Kiev, la porte est enfin entrebâillée.

N'oublions pas les accords de Minsk

Mon analyse des événements de la semaine me ramène aux protocoles de Minsk, que Moscou a négociés il y a dix ans avec Kiev, Paris et Berlin.

Signés en septembre 2014 et février 2015, ces protocoles engageaient l'Ukraine à adopter une nouvelle constitution accordant une autonomie considérable aux provinces russophones de l'est du pays. Kiev et Moscou les ont signés, la France et l'Allemagne se portant cosignataires pour soutenir le premier.

Kiev a ignoré les accords de Minsk dès le premier jour. Et, comme cela a été largement rapporté à l'époque, les Français et les Allemands ont par la suite reconnu qu'ils n'avaient cosigné ces accords que pour laisser à l'Ukraine le temps de se réarmer afin de pouvoir continuer à attaquer les provinces orientales et préparer la guerre qui a finalement éclaté il y a trois ans.

Ce bref résumé historique permet de mieux comprendre les événements de cette semaine et ce qui les a précédés.

Poutine a été échaudé par les accords de Minsk, qu'il avait personnellement négociés. Je ne sais pas quand le président russe a décidé qu'il ne pouvait plus faire confiance aux puissances européennes, mais il est certain que depuis la débâcle de Minsk, il ne leur fait plus aucun crédit.

Après Istanbul, il semble désormais que la meilleure chance d'un règlement du conflit ukrainien réside dans la perspective d'un sommet Trump-Poutine. Si celui-ci venait à se concrétiser, la crise ukrainienne serait alors considérée, à juste titre, comme un volet du projet de Trump visant à rétablir les relations avec Moscou.

Et les Européens, qui ont poussé le continent à soutenir le régime de Kiev et la guerre, seraient neutralisés, pour ne pas dire humiliés.

Deux mises en garde s'imposent ici. Premièrement, comme suggéré précédemment, il n'est pas du tout certain qu'on ait entendu le dernier mot du triumvirat européen qui a occupé le devant de la scène pendant quelques jours cette semaine. Starmer, Macron et Merz, ce dernier venant d'être nommé nouveau chancelier allemand, sont fortement investis dans le projet ukrainien et la russophobie qui l'alimente.

Deuxièmement, comme Poutine et d'autres responsables russes l'ont clairement indiqué à maintes reprises, et de manière très explicite cette semaine, les négociations de fond pour un règlement de la crise ukrainienne doivent commencer par la reconnaissance mutuelle des "causes profondes", pour reprendre l'expression privilégiée actuellement par le Kremlin.

Voilà pourquoi Moscou a proposé Istanbul comme lieu de ces nouvelles discussions. Le projet que Boris Johnson a fait capoter il y a trois ans répondait à ces préoccupations.

"Nous considérons ces pourparlers comme le prolongement du processus de paix d'Istanbul, qui a malheureusement été interrompu par la partie ukrainienne il y a trois ans", a déclaré Medinsky  lors d'une conférence de presse à son départ d'Istanbul jeudi. "L'objectif des négociations directes avec la partie ukrainienne est en fin de compte d'assurer une paix durable en s'attaquant aux causes profondes du conflit".

Cette phrase est trop omniprésente dans le discours russe pour être ignorée. La question est maintenant de savoir si Donald Trump, lors d'un éventuel sommet avec Vladimir Poutine, sera en mesure de répondre aux préoccupations de la Russie.

S'il y parvient, il modifiera fondamentalement les relations entre les puissances occidentales et la Russie pour le mieux, réalisant ainsi un triomphe diplomatique. S'il échoue, il est peu probable qu'il obtienne davantage que ce que les négociateurs ont accompli à Istanbul cette semaine.

Traduit par  Spirit of Free Speech

* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, conférencier et auteur. Son dernier ouvrage,  Journalists and Their Shadows, est disponible chez Clarity Press ou  via Amazon. Parmi ses autres livres, citons Time No Longer: Americans After the American Century. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré.

 consortiumnews.com

 ssofidelis.substack.com