21/06/2025 reseauinternational.net  7min #281857

Opération Ajax (août 1953) : quand l'Occident se préoccupait de démocratie en Iran

par Antoine Marcival

Pour toute personne saine d'esprit, la folie de l'entité sioniste génocidaire et judéo-suprémaciste ne peut plus désormais faire de doute. Depuis plus de cent ans, les populations de Palestine subissent les monstruosités de cette «secte de la mort» constituée de colons fanatisés. La démence des judéo-suprémacistes a cependant franchi un cap supplémentaire le 13 juin 2025 avec l'envoi sans aucun préavis de missiles sur l'Iran. Devant cet énième acte de barbarie, les journalistes français se sont empressés de faire ce pour quoi ils sont le plus doués : non pas remuer la queue (encore que...), mais trouver toutes les justifications possibles aux exactions barbares de l'entité génocidaire israélienne. Insistant notamment sur l'éventualité qu'en étant bombardée et en risquant des millions de victimes, la population de Téhéran puisse bientôt connaître les joies de la «démocratie» à l'occidentale. «Renverser le régime des mollahs, le pari très risqué de Benyamin Netanyahou» titre entre autres et non sans complaisance le journal l'Express le 17 juin 2025. Le fait est que les Iraniens connaissent déjà la haute valeur que les Occidentaux confèrent aux principes démocratiques : le 19 août 1953, le Premier ministre légitime Mohammad Mossadegh, qui avait lancé deux ans auparavant la nationalisation de l'industrie pétrolière iranienne, est destitué après un coup d'État de la CIA avec l'appui de la Grande-Bretagne.

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Cet article reprend l'entrée no 18 de l'essai Index obscurus : deux siècles et demi de complots 1788-2022, publié aux  éditions JC Godefroy en janvier 2024. Ce livre s'attache à démontrer combien l'utilisation péjorative du terme «complotiste» n'a pas de sens : les complots, très souvent par le biais d'attentats sous fausse bannière, pullulent dans l'histoire humaine, et particulièrement dans l'histoire occidentale moderne.

Dans les derniers mois de l'année 1925, la dynastie Kadjar - à la tête de l'Iran depuis 1789 - est déposée et remplacée par la dynastie Pahlavi, du nom que prit son fondateur Reza Khan à partir de 1925 : Reza Pahlavan. L'Anglo-Persian Oil Company (APOC), à capitaux britanniques, exploite à cette époque une bonne partie du pétrole iranien. Souhaitant restaurer la souveraineté économique de l'Iran (nom international officiel de la Perse depuis 1935), Reza Pahlavan renégocie les concessions pétrolières de l'APOC en 1933 et passe des accords commerciaux et industriels avec l'Allemagne nazie. Si l'Iran se déclare neutre lorsque la Seconde Guerre mondiale débute, les Britanniques et les Soviétiques envahissent le pays et obligent Reza Pahlavan à renoncer au pouvoir le 16 septembre 1941 au profit de son fils Mohammad Reza. Les concessions pétrolières de l'AIOC (Anglo-Iranian Oil Company, le nouveau nom de l'APOC en 1935) sont révisées à l'avantage de celle-ci.

La question de l'exploitation du pétrole reste brûlante dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Elle va notamment opposer le Premier ministre Haj Ali Razmara et Mohammad Mossadegh, alors président du Comité parlementaire sur les questions pétrolières, favorable à la nationalisation de l'AIOC. Tandis que Razmara est assassiné le 7 mars 1951 par un membre du groupe fondamentaliste Fedayins de l'Islam, le parlement vote la nationalisation une semaine plus tard, le 15 mars 1951. Le 29 avril, Mossadegh - perçu comme «l'homme de la nationalisation» - est placé à la tête du gouvernement par le shah Mohammad Reza. La Grande-Bretagne est quant à elle furieuse, tenant la nationalisation pour une «spoliation». Elle fait placer un navire de guerre au large de la ville d'Abadan dans le golfe Persique en guise de menace. Des sanctions économiques sont prises contre l'Iran et l'accès aux devises du pays déposées dans des banques britanniques est bloqué. Au cours de l'année 1952, la Grande-Bretagne organise un blocus du pétrole iranien. Le pétrolier italien Rose Mary est intercepté par la Royal Navy au mois de juillet, celle-ci faisant valoir que le pétrole iranien contenu dans les cuves du bateau est du «pétrole volé». La Grande-Bretagne organise en outre un boycott des pays occidentaux concernant l'envoi d'ingénieurs susceptibles de remplacer ses ingénieurs au sein de l'ex-AIOC. Le 12 juillet 1952, Mossadegh démissionne. Il est remplacé par Ahmad Ghavam, prêt à négocier avec les Britanniques. Mais Ghavam ne tient que trois jours et doit démissionner à son tour le 19 juillet à la suite de la répression d'une manifestation géante qui fait 36 morts. Le 20 juillet, Mossadegh est de nouveau Premier ministre. Le blocus et le boycott britannique ont cependant anéanti la production pétrolière iranienne et la situation sociale dans le pays est tendue. Mais des risques existent également que l'Iran finisse par se tourner vers l'URSS, d'autant que Mossadegh est soutenu, à l'intérieur du pays, par le parti communiste Tudeh.

Pour la CIA et son agent Donald Wilber, c'est le moment de monter une opération secrète destinée à faire tomber le «monsieur Nationalisation» Mossadegh : ce sera l'opération Ajax. Kermit Roosevelt, petit-fils de l'ancien président Roosevelt, est désigné pour organiser le complot sur place. Un grand nombre de journalistes et de politiciens iraniens sont soudoyés qui, le moment voulu, devront soutenir le coup d'État destiné à remplacer Mossadegh par le général Fazlollah Zahedi. Des Iraniens travaillant pour la CIA organisent de fausses agressions contre des leaders religieux en se faisant passer pour des communistes afin de dresser la communauté islamique contre le gouvernement. Par l'intermédiaire de la princesse Ashraf, la CIA et le MI6 obtiennent la promesse du shah Mohammad Reza de signer le document qui permettra d'imposer la démission de Mossadegh. Ce sera chose faite le 13 août 1953. Acculé, Mossadegh fait la sourde oreille lorsque l'URSS s'offre de fournir une aide économique au pays et de rapatrier les onze tonnes d'or emportées par les troupes soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale.

La phase décisive de l'opération Ajax est lancée le 15 août ; elle ne se déroule cependant pas comme prévu. Alors que le commandant Nematollah Nassiri vient signifier à Mossadegh son arrestation aux alentours de minuit, c'est finalement l'officier militaire qui est arrêté en tant que putschiste. Le Shah fuit l'Iran dès le lendemain tandis que le général Zahedi est contraint de se cacher. Le parti Tudeh réclame la fin de la royauté et la proclamation de la république. L'agent Donald Wilber organise alors une pseudo-manifestation communiste sur l'avenue Laleh-Zar, considérée comme les «Champs-Élysées» de Téhéran. Les faux manifestants, composés de truands et de mercenaires, s'en prennent aux vitrines des magasins, aux passants, tirent en direction des mosquées, le tout en hurlant le slogan : «Nous aimons Mossadegh et le communisme  !» Une autre pseudo-manifestation est organisée, censée prouver le soutien de la population envers le Shah. Elle est composée de hooligans et de membres des Zurkhanehs, gymnases où se pratique le Pahlevani, une forme de lutte iranienne. C'est l'ambassadeur américain lui-même, Loy Henderson, qui fournit les rials destinés à payer les faux manifestants. Plusieurs manifestations de cette sorte ont lieu dans tout le pays.

Le 18 août, le ministre des Affaires étrangères Hossein Fatemi organise une contre-manifestation favorable à la république et réclamant des mesures sociales inspirées du communisme. Mais Mossadegh tergiverse. Il craint d'être tenu pour prosoviétique par les Occidentaux et il décide de faire disperser les manifestants. Le 19 août, des manifestants prétendument pro-Shah prennent d'assaut un certain nombre de bâtiments publics. Un groupe qui se dirige vers l'assemblée est visé par des tirs de soldats sur ordre du général Zahedi. Il s'agit de laisser croire que Mossadegh réprime les manifestations dans le sang. Des affrontements entre partisans de Zahedi et fidèles à Mossadegh ont lieu autour de la résidence de ce dernier. Devant la situation, le chef du parti communiste Tudeh demande à Mossadegh de fournir des armes à la population, mais Mossadegh persiste dans l'attitude résolument hostile qu'il a adoptée depuis le début des événements face aux communistes et à une éventuelle révolte populaire. Il s'enfuit, mais est arrêté le lendemain. Le général Zahedi se proclame Premier ministre dans la foulée.

Le 22 août, le Shah rentre d'exil. Mossadegh est condamné à trois ans de prison puis est assigné à résidence. Son ministre Fatemi est quant à lui condamné à mort. Si la nationalisation de l'AIOC n'est pas remise en cause, la commercialisation du pétrole à l'étranger reviendra à un consortium anglo-américain. L'opération Ajax peut dès lors être considérée comme un succès pour l'Occident. Ce même Occident qui ne manquera pas de culot par la suite - et n'en manque toujours pas - pour prétendre que les pays à majorité musulmane sont fondamentalement hostiles aux systèmes politiques démocratiques et laïques. On voit ce qu'il en est et en quoi les prétendus champions de la démocratie occidentaux furent très tôt d'hypocrites manipulateurs, uniquement préoccupés par leurs intérêts matériels.

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