17/12/2025 legrandsoir.info  5min #299234

 Chili : José Antonio Kast, fils d'un ancien membre du parti nazi, élu président

Chili : l'arnaque de la post-dictature consommée

Marcos Roitman Rosenmann

Rien de nouveau. La victoire de José Antonio Kast confirme un processus politique dont la logique ne dépend pas de gagner ou de perdre des élections. Nous sommes en présence d'une dynamique de long terme, dont le début s'ancre dans le coup d'État civilo-militaire qui a renversé le gouvernement de Salvador Allende le 11 septembre 1973. Penser à un Chili plein de vertus, exemplaire et progressiste, en désignant Kast comme le début d'une étape noire d'involution politique, c'est perdre le nord, quand ce n'est pas être complice d'un mensonge construit par les uns et les autres.

Depuis Pinochet, en passant par Aylwin, Frei, Lagos, Bachelet, Piñera, Boric et maintenant Kast, il y a continuité. Un accord de principe. Le modèle n'est pas touché ; il peut y avoir changement d'hégémonie, de nouveaux partis, un discours apocalyptique, mais en aucun cas une rupture. Ni José Antonio Kast ni Jeannette Jara ne représentaient des positions inconciliables. Ils sont les deux faces d'une même pièce. C'est une question de goûts. Certains préféreront peut-être le recto et d'autres le verso, mais la valeur de la pièce n'est pas négociable. Les différences ne se situent pas autour du projet de société.

Les chefs de campagne de Jeannette Jara ont été recrutés dans l'élite politique la plus discréditée de la Concertation. Seulement deux noms, Ricardo Solari et Carlos Ominami. Mal conseillée, elle a envisagé de renoncer à son affiliation communiste si elle gagnait au second tour. D'un autre côté, affirmer que José Antonio Kast revendiquait la figure de Pinochet, c'est oublier que d'anciens présidents, des ministres démocrates-chrétiens, des dirigeants sociaux-démocrates, des universitaires postmodernes, se sentent héritiers de son "œuvre". Si les deux projets de nouvelle Constitution ont échoué, c'est à cause de la persistance des principes de la Constitution de 1980, fondés sur l'idée d'un État subsidiaire, où l'éducation, la santé, le logement, la flore et la faune font partie d'une société de marché ; une marchandise ; un bien disputé, et non un droit du citoyen.

Clients, consommateurs et "autonomisés". Les contradictions sont de second ordre. Elles se réorientent dans les façons d'aborder la gestion publique. Elles diffèrent sur les politiques de sécurité, d'immigration, de délinquance, de famille, de langage inclusif LGTBI+, de politique internationale et de droits de l'homme. On dira que ce n'est pas peu, mais le Chili ne se brise pas, n'est pas dominé par le narcotrafic et la délinquance n'y règne pas en maître.

Le langage apocalyptique, la démagogie et un discours fondé sur le mensonge ont fait de Kast un bon candidat. Sa victoire confirme le succès d'une transition pactée avec le tyran. Penser en marge de l'ordre néolibéral n'a pas de sens. Nous parlons de la refondation de l'État chilien, à laquelle tous ont participé. En plus d'un demi-siècle, aucun gouvernement, y compris la dictature, n'a remis en cause la société de marché. De Patricio Aylwin à Gabriel Boric, la critique du capitalisme a disparu.

Penser qu'aujourd'hui commence un processus d'involution politique au Chili, c'est ne pas comprendre que la société chilienne actuelle s'est constituée sous une architecture négationniste de la démocratie. Pour qu'elle trouve sa place dans le nouvel ordre constitutionnel, elle a été rebaptisée : démocratie tutélaire, surveillée, restreinte et de faible intensité. Nous assistons à l'oligarchisation du pouvoir politique. Au Chili, la démocratie n'a pas sa place dans l'ordre constitutionnel.

La victoire de José Antonio Kast met à nu le succès du projet néolibéral. Quel que soit le gouvernant, le système se perpétue dans le temps. Kast formera son cabinet en faisant appel aux fonctionnaires et figures de la droite traditionnelle, tous pinochetistes. Son parti n'a pas d'enracinement territorial. Obtenir des votes et gagner la présidence n'implique pas d'avoir des cadres politiques ni une capacité de gouvernement.

Une chose similaire est arrivée au Frente Amplio. Gabriel Boric a gagné la présidence avec un discours radical, issu de l'explosion sociale d'octobre 2019, le même qu'il a démantelé et réprimé après avoir signé le pacte pour la paix et une nouvelle Constitution un mois plus tard. Son organigramme ministériel a fini entre les mains de sociaux-démocrates, de "socialistes", de membres de l'ex-Concertation et de la Nouvelle Majorité. Piégé dans ses filets et orphelin de dignité, il quitte la présidence, ayant pour dette d'avoir trahi son projet, afin de "séduire la droite" pour forger un large consensus de gouvernabilité. Rappelons que dans les gouvernements progressistes, il y avait des pinochetistes avoués.

Se déchirer les vêtements et présenter la défaite de Jeannette Jara en affirmant qu'il est temps d'une réflexion profonde et d'appeler à un branle-bas de combat pour défendre la démocratie, c'est retomber dans l'incohérence de ceux qui ont cessé depuis longtemps de lutter pour elle. Sans critique de l'exploitation capitaliste, aucun projet transformateur n'est viable. L'espoir d'un changement social ne suppose pas un horizon démocratique, de justice sociale et d'équité ; il peut l'être en sens inverse. Revendiquer plus de répression et un ordre autoritaire est compatible avec les lois de l'offre et de la demande.

S'il y a une conclusion à tirer des résultats, c'est la force d'un ordre social ancré dans les libertés individuelles, l'initiative privée et la main invisible du marché. Le tournant ou la bataille culturelle a réussi à consolider, parmi les Chiliens, le slogan "sauve qui peut, mais moi d'abord". La grande arnaque, c'est de penser qu'au Chili les gouvernements ont été démocratiques, c'est une garantie de succès. Vive la liberté  ! À bas la démocratie !

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