12/02/2010 blog.emceebeulogue.fr  25 min #36205

Haïti, frappé par un énorme séisme, attend le jour pour compter ses morts

Haiti: l'aile brisée

 Haiti: The Broken Wing

par MediaLens / February 3rd, 2010

publié par Dissident Voice

Ce billet de Medias Lens analyse la couverture médiatique sur le tremblement de terre à Haïti - en s'intéressant plus particulièrement à ce qui a été massivement occulté dans les médias traditionnels, à savoir: la part de l'intervention humaine et les lourdes responsabilités qui incombent à ceux qui se sont acharnés à détruire le pays, ainsi qu'à leurs complices - les médias - dans le drame qu'a provoqué cette catastrophe naturelle.

NB: "Media Lens" étant un groupe britannique, la plupart des organes de presse cités sont, donc, également britanniques. Une analyse similaire aurait pu - dû - être effectuée en France ou aux Etats-Unis. Ou ailleurs.

Haiti: l'aile brisée

Il est important que les médias aient accordé une couverture médiatique d'une si grande ampleur après le tremblement de terre du 13 janvier à Haïti. La médiatisation a permis à des gens du monde entier de se mobiliser après la catastrophe en donnant de leur temps, de leur énergie et de l'argent.

La semaine dernière, sur le site Democracy Now!, le cinéaste Michael Moore racontait que près de 12.000 adhérents du syndicat national des personnels infirmiers aux US (le National Nurses Union) avaient signé un texte où ils s'engageaient à partir immédiatement pour Haïti. Moore explique que la présidente du syndicat avait contacté l'administration Obama. Mais elle a été rembarrée. Au début, elle n'a reçu aucune réponse. Puis, ils l'ont dirigée vers une personne subalterne qui n'avait aucun pouvoir d'exécution.

"Et finalement", dit Moore, "elle m'a contacté, me demandant: "Savez-vous comment entrer en contact avec Obama? Je lui ai répondu: 'eh bien, c'est terrible si vous n'avez trouvé que moi pour le joindre. Je veux dire, vous êtes le syndicat des personnels infirmiers le plus important ... Je ne vois pas ce que je peux faire pour vous. Je veux bien moi aussi essayer de les joindre" mais, à ce jour, rien n'a bougé. Et c'est désespérant."

Le courage et la compassion de milliers de personnes prêtes à se rendre dans une zone de catastrophe chaotique qui comporte des risques de répliques sismiques sont très réels. La compassion naît de la reconnaissance que "leurs" souffrances" ne sont pas différentes de "mes" souffrances. C'est le coeur qui réagit alors. C'est une réaction imperceptible qui a pourtant le pouvoir de soulager une grande partie des malheurs de la planète. C'est le seul contre-pouvoir face à la brutalité et la rapacité inhérentes à l'égotisme des êtres humains prêts à sacrifier tout le monde et tout pour "moi".

Mais si cette compassion doit réellement changer les choses, elle ne peut le faire que si elle est complémentaire d'une analyse rationnelle. En l'absence de cette analyse, la compassion est semblable à l'oiseau à l'aile brisée qui bat en cercles vains, et qui ne peut plus quitter le sol.

Allier compassion et raison conduit à se demander pourquoi 80 % des dix millions d'habitants d'Haïti vivent dans une pauvreté sordide. Pourquoi moins de 45% des Haïtiens ont accès à de l'eau potable. Pourquoi l'espérance de vie n'est que de 53 ans. Pourquoi 76% de tous les enfants d'Haïti de moins de 5 ans sont en dessous du poids normal, ou souffrent de retard de croissance, 63% des Haïtiens étant sous alimentés. Pourquoi seul un sur 10.000 Haïtiens a la possibilité de consulter un médecin.

En septembre 2008, Dan Beeton, du centre de recherche en économie et en politique basé aux US (Center for Economic and Policy Research) nous a expliqué:

"Les reportages des médias sur les inondations et les autres catastrophes naturelles qui se sont produites à Haïti ne parlent pas de la contribution humaine à ces catastrophes. Pour le cas d'Haïti, c'est la pauvreté endémique, le manque d'infrastructures, le manque de soins médicaux appropriés et le manque de services sociaux qui ont fait qu'autant de personnes se sont retrouvées dans des baraques et des logements de fortune, et la majorité de la population dans la misère. Mais la misère à Haïti est l'héritage de l'appauvrissement qui a pour origine les siècles de pillage économique du pays par la France, les US et la dette ignoble due à des créanciers comme la banque interaméricaine de développement (BID) - l'Inter-American Development Bank - et la Banque Mondiale. Haïti n'a jamais été autorisé à conduire une stratégie de développement économique de sa propre initiative et les dernières décennies des politiques imposées par le Fonds Monétaire International ont rendu le pays encore plus pauvre qu'avant.

John Pilger, qui a constaté ce qui se passait sur le terrain,  explique pourquoi les occidentaux s'intéressent à ce pays:

"La dernière fois que je suis allé à Haïti, j'ai vu des gamines très jeunes courbées devant des machines qui font un bruit épouvantable à l'usine de baseball de Port-au-Prince. Beaucoup d'entre elles avaient les yeux gonflés et les bras lacérés. Quand j'ai voulu prendre des photos, ils m'ont mis à la porte. C'est à Haïti que l'Amérique fait fabriquer les équipements pour son sacro-saint sport national, pour trois fois rien. C'est à Haïti que les chefs d'entreprise de Walt Disney font fabriquer les pyjamas Mickey Mouse, pour trois fois rien. Les US contrôlent la bauxite, le sucre et le sisal d'Haïti. La culture du riz a été remplacée par du riz importé des Etats-Unis, poussant les populations à migrer vers les villes et à s'installer dans des habitations en carton pâte. Année après année, Haïti a été envahi par les Marines US, connus pour les atrocités dont ils se sont fait les spécialistes des Philippines à l'Afghanistan".

Dans le Guardian, Peter Hallward analyse la politique récente des Etats-Unis en Haïti:

"Depuis que les US ont envahi et occupé le pays en 1915, toute tentative politique sérieuse de permettre au peuple haïtien de passer (selon les termes de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide) 'de la misère noire à une pauvreté digne' est stoppée net délibérément et violemment par les US et certains de ses alliés.

Le double jeu des Etats-Unis

Aristide a pris ses fonctions en février 1991, devenant ainsi pendant une courte période le premier président élu de l'histoire d'Haïti avant d'être renversé, le 30 septembre 1991, par un coup d'état militaire soutenu pas les US. Le "Council on Hemispheric Affairs" (Conseil des affaires hémisphériques), une ONG de Washington, écrivait après le coup d'état:

" Sous Aristide, pour la première fois de l'histoire tourmentée de la République, Haïti semblait prêt à se libérer des structures despotiques qui avaient réprimé toutes les tentatives précédentes d'expression démocratique et d'autodétermination". Sa victoire "représentait plus de dix ans d'engagement civique et d'éducation de sa part"", dans "un exemple parfait de démocratie participative" (...).

Le rééquilibrage du budget et la "réduction d'une bureaucratie envahissante" qu'avait accomplis Aristide ont conduit à une "réussite étonnante" qui a mis les décideurs de la maison Blanche "extrêmement mal à l'aise".

Cette réflexion d'un responsable US "avec une très grande expérience d'Haïti" résume la réalité qui se cache derrière la rhétorique des Etats-Unis.

Aristide, prêtre des bidonvilles, militant de base, adepte de la théologie de la libération, "représente tout ce que contre quoi la CIA, le Département de la Défense et le FBI estiment s'être efforcés de protéger le pays ces cinquante dernière années".

A la suite du renversement d'Aristide, également avec le soutien des Etats-Unis, au moins un millier de personnes sont mortes au cours des deux premières semaines du coup d'état et des centaines d'autres au mois de décembre suivant. Les forces paramilitaires étaient dirigées par Emmanuel Constant et Raoul Cedras, d'anciens employés de la CIA.

Aristide avait été poussé à l"'exil entre 1991 et 1994.

Noam Chomsky résume ainsi la situation:

"Eh bien, au cours de ces opérations, les généraux haïtiens avaient reçu les instructions (de Washington): "voilà, vous assassinez les dirigeants des organisations populaires, vous intimidez toute la population et vous éliminez tous ceux qui pourraient chercher à se mettre en travers une fois que vous serez partis"' ... et c'est exactement ce que Cedras et les autres ont fait - et, bien entendu, ils ont bénéficié d'une amnistie totale quand il ont fini par accepter de se retirer.

En 1994, les Etats-Unis ramenaient Aristide en compagnie de 20.000 soldats. Cette manoeuvre était présentée comme la noble défense de la démocratie, mais en réalité, les Etats-Unis jouaient un double jeu.

Comme l'a fait remarquer Chomsky, Aristide n'avait eu l'autorisation de rentrer qu'une fois que les dirigeants du coup d'état avaient éliminé une grande partie du mouvement populaire qui l'avait porté au pouvoir. Son retour était lié à deux conditions: qu'il accepte l'occupation militaire américaine et les mesures néolibérales impitoyables de Washington.

Les plans pour l'économie avaient été consignés dans un document qui avait été soumis au  Club de Paris des créanciers internationaux (chargé de renégocier la dette publique, NDT), qui dépend de la Banque Mondiale. Axel Peuker, l'agent de la Banque Mondiale chargé des affaires d'Haïti, avait dit que ce plan servait "la classe d'affaires ouverte et éclairée " et les investisseurs étrangers.

En 2004, les Etats-Unis avaient fomenté un nouveau coup d'état en supprimant, pendant les quatre années précédentes, pratiquement toutes les aides internationales afin de rendre inévitable la chute du gouvernement. Aristide était contraint par les forces militaires US de quitter Haïti.

Barbara Lee, élue au Congrès américain avait interpellé le gouvernement américain:

"Il apparaît que les Etats-Unis soutiennent et encouragent le renversement violent du gouvernement d'Aristide. Sauf votre respect, cela s'appelle un 'changement de régime'".

En compulsant, le 3 février, la base de données de Lexis Nexis (société américaine qui offre un accès à ses archives d'articles de journaux, magazines, etc. NDT), nous avons recherché tous les articles parus depuis un mois comportant le mot "Haïti".

Nous avons obtenu 2.256 résultats (certains articles de presse en ligne ne sont pas répertoriés par Lexis Nexis). Quant à notre recherche d'articles contenant "Aristide", elle donnait 136 réponses.

Ces chiffres montrent comment l'aile brisée de l'analyse faite par les médias cloue au sol la compassion populaire dans un mouvement circulaire incessant, impuissant à mettre un terme à la souffrance du peuple d'Haïti.

Performances des médias

Sur les 47 articles où le nom d'Aristide était mentionné parmi les 2.256 sur Haïti, 9 environ évoquaient la responsabilité des Etats-Unis dans sa destitution.

Nous avons trouvé 7 autres articles sur internet - en particulier, deux excellents articles de  Mark Weisbrot et un de Hugh O'Shaugnessey dans le Guardian - qui n'avaient pas été relevés par Lexis Nexis.

Hallward en parlait brièvement dans son article du Guardian, mentionné plus haut.

Seumas Milne  a écrit dans le Guardian que le défi qu'Aristide avait lancé à l'oligarchie d'Haïti et à ses sponsors internationaux "avait conduit à deux coups d'état soutenus par l'étranger et deux invasions des US, la suspension des aides et des prêts, et pour finir, l'exil en 2004".

Isabel Hilton  a écrit dans l'Independent:

"Le président Clinton avait négocié le retour d'Aristide en 1994, selon certaines sources, à la condition qu'il accepte le plan des Etats-Unis pour le développement économique d'Haïti.

Quand Aristide a remporté les élections pour la seconde fois, en 2001, il a à nouveau été renversé en 2004, cette fois forcé par le gouvernement de George W Bush à s'exiler en Afrique, où il est toujours."

Mark Steel, Patrick Cockburn et Andrew Buncombe ont écrit des articles similaires dans l'Independent.

Buncombe, lui, a publié deux articles ( ici et  ici) où il parle du rôle des Etats-Unis dans le renversement d'Aristide.

Ces rares et brèves évocations du rôle des Etats-Unis dans l'élimination d'Aristide, limitées à deux journaux nationaux - le Guardian et l'Independent - représentent la majeure partie des commentaires honnêtes destinés au grand public sur cette affaire. Parallèlement, une avalanche d'articles des principaux organes de presse écrite et audio-visuelle décrivaient les Etats-Unis comme les sauveurs high-tech d'Haïti.

Plus choquant encore: pas un des journalistes des médias cités ci-dessus n'a signalé le rôle qu'ont joué les médias pour étouffer la vérité sur le rôle des Etats-Unis à Haïti. Apparemment, les journalistes ne trouvent pas ce silence problématique.

S'il est important que les journalistes mettent les responsables politiques face à leurs responsabilités, pourquoi donc n'en va-t-il pas de même pour leur propre profession? La sensibilisation de l'opinion publique et l'indignation ont véritablement le pouvoir de faire obstacle aux pratiques criminelles des gouvernements.

Mais si les médias ne lui disent pas ce qui se passe et pourquoi, la population n'a pas les informations qui lui permettraient de s'indigner ou de résister.

Toutefois, il nous semble évident qu'il y eu une nette amélioration dans les performances des médias par rapport à l'analyse que nous avions effectuée en 2004.

A l'époque, le rôle des Etats-Unis avait été complètement occulté.

La raison en est peut-être simplement que le sort d'Aristide importe moins aujourd'hui. Ou bien, il est possible, comme nous le pensons, que c'est bien la preuve que les médias traditionnels commencent à améliorer leurs performances à cause de la concurrence avec les médias alternatifs en ligne. Tous les indicateurs étant à la baisse, en particulier les rentrées publicitaires, et leur lectorat se tournant massivement vers les sites web non commerciaux, il est possible que les médias progressistes traditionnels soient forcés aujourd'hui de rivaliser avec les médias en ligne en publiant des infos plus honnêtes et plus radicales. Si c'est le cas, c'est un signe extrêmement encourageant pour tous ceux qui veulent vivre dans un monde plus pacifique et plus rationnel.

Démons et dignité perdue

Le reste des performances récentes des médias correspond aux reportages plus anciens. En 2004, au moment où le régime démocratique était renversé, le Times disait:

"M. Aristide, ancien prêtre catholique, avait remporté en 1990 les premières élections libres d'Haïti, promettant de mettre fin à l'engrenage de corruption, de pauvreté et de démagogie dans lequel était pris le pays. Destitué à la suite d'un coup d'état, l'année suivante, il avait été ramené au pouvoir avec l'aide de 20.000 soldats américains en 1994".

Il n'y avait aucune allusion au soutien des Etats-Unis à des tueurs en série qui s'en étaient pris à un gouvernement démocratique et avaient assassiné ses partisans.

Le Guardian pensait également que c'étaient les Etats-Unis qui avaient ramené Aristide au pouvoir:

"Dans une certaine mesure, l'histoire s'est répétée quand les Etats-Unis sont à nouveau intervenus en 1994 pour ramener Aristide au pouvoir. Bill Clinton avait fait cesser l'afflux de boat people haïtiens qui posaient des problèmes politiques en Floride. Puis, il est allé de l'avant. Bien que les Etats-Unis aient injecté 900 millions de dollars au cours de ces dix dernières années, la cohérence et la clairvoyance ont fait défaut".

La BBC, Channel 4 et d'autres medias développaient les mêmes théories:

Après le tremblement de terre du 12 janvier, Charles Bremner  écrivait dans le Times:

"Ruiné, stérile, mal géré et ravagé par la nature et la violence des hommes, ce pays situé à la pointe occidentale de l'île Hispaniola est le parfait exemple d'un pays qui souffre de dysfonctionnement. "Alors que le reste des pays des Amériques sont sortis de la pauvreté au cours de ces dernières décennies, Haïti a sombré dans une misère encore plus grande, dépendant de la charité des pays étrangers et d'une force de l'ONU pour empêcher les 8 millions d'habitants de mourir à cause de la famine ou des conflits".

Et la raison de tout cela? Bremner citait Joel Dreyfuss, un journaliste originaire d'Haïti, qui disait: "certains pays n'ont simplement pas de chance. Haïti est un de ces endroits où les catastrophes se produisent les unes après les autres".

La légende de la photo illustrant l'article de Vanessa Buschschluter sur le site de la BBC indiquait: "l'administration Clinton est intervenue pour ramener Aristide au pouvoir", ajoutant: " les troupes US sont parties au bout de deux ans - trop tôt, selon certains spécialistes, pour assurer la stabilité des institutions démocratiques d'Haïti". Dans l'Observer, Regine Chassagne n'a rien trouvé de mieux que de déplorer "les siècles d'indifférence de l'occident".

Ce qui est tragi-comique, c'est que les médias ont préféré s'intéresser au passé colonial il y a deux cents ans plutôt qu'à l'anéantissement de la démocratie de ces dix dernières années.

Ben Macintyre écrit dans le Times:

"Mais pour de nombreux Haïtiens, la responsabilité remonte à plus loin - la colonisation des Haïtiens, les esclavagistes et les pillards de l'empire qui ont criblé leur pays de dettes et ruiné son économie. Tout cela, c'est la France qui en est responsable, il y a deux cents ans de cela".

Quant au rôle des Etats-Unis:

"quand Hillary Clinton, la secrétaire d'état américaine, a promis la présence des Etats-Unis à Haïti pour aujourd'hui, demain et la période à venir, elle répondait au souci principal d'une relation qui oscillait largement entre intervention et abandon".

Jon Henley  a publié dans le Guardian un article intitulé "Haiti: la longue descente aux enfers".

Nous avons écrit à Jon Henley le 26 janvier:

Salut, Jon,

Dans votre article du 15 janvier du Guardian, vous évoquiez l'histoire d'Haïti sans mentionner une seule fois le rôle des Etats-Unis.

Egalement dans le Guardian, Peter Hallward  écrivait le 13 janvier:

"A partir du moment où les Etats-Unis ont envahi et occupé le pays en 1915, toute tentative politique sérieuse de permettre à la population d'Haïti de passer (selon l'expression du président Jean-Bertrand Aristide) "de la misère noire à une pauvreté digne" a été violemment et délibérément stoppée net par le gouvernement US et certains de ses alliés".

En 2004, Jeffrey Sachs, professeur d'économie à Columbia University, écrivait dans "The Nation":

"Une fois de plus, Haïti est en flammes. Pratiquement personne, pourtant, ne réalise que le chaos d'aujourd'hui a été créé à Washington - délibérément, cyniquement, et avec ténacité. L'histoire nous le dira."

(Jeffrey Sachs, "Attiser les flammes du chaos politique à Haiti" - 'Fanning the flames of political chaos in Haiti', The Nation, 28 février 2004).

Pourquoi n'avoir pas cité ces propos?

Cordialement,

David Edwards

Henley nous a répondu le 27 janvier:

Salut, David, Evidemment, si je n'ai "pas mentionné une seule fois le rôle des US " (ce qui est faux, d'ailleurs, car j'ai bien parlé de l'occupation) c'est que je suis un adepte des bienfaits de longue date de l'impérialisme US culturel et commercial.

Content?

Plus sérieusement, l'article était consacré à l'héritage colonial et postcolonial d'Haïti, la dette invraisemblable que le pays remboursait encore en 1947 et l'influence de ses propres dirigeants corrompus et despotiques. J'avais cinq heures pour écrire un article et je n'avais plus ni le temps ni assez de place pour parler de l'époque Aristide, que beaucoup de lecteurs connaissent déjà et qui, de toute façon, ne faisait qu'enfoncer le clou sur les problèmes préexistants à Haïti.

Je suis désolé si cela signifie qu'il ne répondait pas à vos critères de qualité. Mais beaucoup de lecteurs m'ont fait savoir qu'ils avaient apprécié d'être éclairés sur une époque ancienne de l'histoire troublée d'Haïti dont ils ignoraient tout.

Cordialement,

Jh Je suppose que vous avez tout ce qu'il faut pour vous appuyer sur l'article du Professeur Sachs, ce que je n'avais pas, hélas, au moment où je rédigeais le mien.

Si les medias ont eu peu de temps ou de place pour développer une réflexion sur la destruction récente du système démocratique à Haïti, il y a eu plein de place pour spéculer sur les causes mystérieuses des souffrances d'Haïti: "Pourquoi Dieu permet-il les catastrophes naturelles?"  se demandait le philosophe David Bain sur le site de la BBC.

L'archevêque de York, John Sentamu, a déclaré judicieusement qu'il n'avait "rien à dire pour expliquer ces horreurs", tandis que le chanoine Giles Fraser préférait répondre "non pas par des arguments subtils, mais par des prières".

Pat Robertson, le télévangéliste américain, a dit des Haïtiens:

" Ils étaient sous la botte des Français, vous savez, Napoléon III et les autres. Et ils se sont réunis et ont signé un pacte avec la diable ... depuis, ils sont maudits par une chose ou l'autre."

Pour d'autres, les problèmes que rencontre Haïti semblent provenir de l'anarchie inhérente aux Haïtiens - "le "pillage" est un thème scandaleux qu'on retrouve systématiquement dans les médias quand ils parlent des efforts des survivants à vouloir tout simplement sauver leur peau.

 Matt Frei, le correspondant bien nourri de la BBC à Washington, disait, en direct du pays sinistré, que "le pillage est la seule industrie" et "la dignité passée d'Haïti n'est plus qu'un vieux souvenir"

D'autres commentateurs ont été fascinés par le courage et la dignité d'un peuple tragiquement habitué à lutter contre des calamités terribles.

Parler de trahisons coloniales, de pactes avec le diable et de perte de dignité, tout cela, c'est parfait. Ce sont des sujets gênants, certes, mais pas pour ceux qui se sont octroyé le pouvoir de récompenser et de punir. Les expressions de compassion devant des images déchirantes aux infos du soir sont également parfaites - si elles sont importantes et admirables, elles ne constituent pas une menace pour les forces politiques et économiques qui écrasent le peuple haïtien.

Plus que d'eau, de médicaments, de nourriture et d'essence, c'est de vérité dont a besoin le peuple haïtien. Il veut des dons d'honnêteté de la part de journalistes prêts à braver l'injonction auto-imposée concernant les responsabilités de leur corporation. Il leur faut des journalistes qui sont prêts à rompre le silence, à désavouer le principe selon lequel seuls les gouvernements seraient responsables des malheurs de ce monde.

(NB: les mots en caractères gras sont de mon fait)

Media Lens est un groupe britannique de surveillance des medias dirigé par David Edwards and et Cromwell. Le premier livre de Media Lens s'intitule: "Guardians of Power: The Myth Of The Liberal Media (Pluto Books, London, 2006).

Leur  site.

Note perso:

"Mais si cette compassion doit réellement changer les choses, elle ne peut le faire que si elle est alliée à une analyse rationnelle".

En effet, il ne suffit pas uniquement de s'émouvoir de la détresse des gens en donnant de l'argent, de son temps, ou simplement en se répandant en condoléances.

Il s'agit de rechercher la raison pour laquelle des populations se retrouvent dans cette situation et de se préoccuper de changer les choses en profondeur.

La compassion n'a qu'un temps: une autre catastrophe mobilisera notre sympathie pour d'autres êtres humains dans la détresse.

Qu'en est-il aujourd'hui des victimes du tsunami? Que sont devenus les fonds envoyés en Thaïlande et ailleurs? L'aide spontanée envoyée depuis les quatre coins du monde a-t-elle réellement servi à ceux qui en avaient besoin? Les gouvernements ont-ils pris des mesures pour que cette catastrophe ne se reproduise plus et pour protéger les plus démunis? Que sont devenues ces populations misérables et sans abri pour lesquelles nous ressentions tant de commisération?

Que savons-nous aujourd'hui? Rien.

C'est pourtant cela qu'il faut savoir. Quatre ans après l'ouragan Katrina,  le bilan est sinistre. Et les prédateurs en ont profité pour rendre les pauvres encore plus pauvres et plus désarmés. Ce sera le cas à Haïti, n'en doutons pas.

Qui s'en soucie? Une catastrophe chasse l'autre.

Et les responsables resteront impunis encore longtemps. A moins qu'ils ne soient pas inquiétés et qu'ils poursuivent tranquillement leurs méfaits. Ce qui est plus vraisemblable.

A quoi donc nous sert-il d'avoir du coeur si, parallèlement, nous ne nous posons pas les bonnes questions et ne réfléchissons pas tous ensemble pour que les choses changent vraiment?

C'est aux rapaces qu'il faut briser les ailes.

Epilogue (temporaire)

Photo: fmsc.org

Eh, oui, le genre de photo qui fait fondre.

Photo prise  ici

Mais que se cache-t-il derrière ce cliché?

Voyons:

Haiti - Still Starving 23 Days Later, par Bill Quigley

Publié par  Countercurrents, le 5 février, 2010

Extraits:

"Ils ont toujours faim, 23 jours plus tard"

On peut se promener dans de nombreuses rues de Port au Prince sans trouver aucun indice qui laisserait penser que la communauté internationale a fourni des aides.

23 jours après le tremblement de terre qui a fait 200.000 morts, un million de personnes n'ont toujours pas reçu d'aide alimentaire internationale.

Le 4 février, le Programme alimentaire mondial (PAM) annonçait qu'ils avaient distribué un peu de nourriture, principalement des sacs de riz de 25kg, à un peu plus d'un million de personnes. L'ONU reconnaissait qu'il leur fallait encore toucher un million de personnes.

Les sacs de riz sont censés fournir une ration de nourriture pour une famille pendant deux semaines. La distribution de haricots et d'huile est programmée pour plus tard.

L'Associated Press raconte que des gens manifestent en petit nombre brandissant des pancartes sur lesquelles est inscrit:"aidez-nous, nous avons faim".

Plus d'un million d'Haïtiens ont été déplacés. Environ 10.000 familles sont installées sous des tentes, les autres vivent sous des draps, des couvertures ou des bâches.

Haiti et les Nations Unies estiment à 250.000 les enfants de moins de 7 ans qui vivent dans un logement provisoire.

Même ceux qui ont les moyens d'acheter de la nourriture ont du mal. Un sac de riz de 25Kg coûte 40 % plus cher qu'avant le tremblement de terre (de $30 à $42 US dollars).

Le Programme alimentaire mondial indique que les prix augmentent toujours et que ceux qui sont en dehors de la zone sinistrée ont du mal à trouver les produits alimentaires de base.

23 jours plus tard.

Note:

Eh, oui, mais ça se passe sans doute loin des caméras, tout ça. Non?

La "communauté internationale" qui s'est tant mobilisée pour qu'on envoie des sous! Même les pitres Bush et Clinton en ont demandé. Ils sont où, les sous, aujourd'hui?

Elles sont où les tentes des grandes marques que probablement des petits Haïtiens (ou d'autres damnés de la terre) en bas âge ont fabriquées de leurs petites mains pour que nous, occidentaux, puissions faire du trekking, ou autre sport chic et choc?

Et qu'est-ce qu'il fait notre ministre des affaires étranges?

Et Petitom, il en dit quoi de tout ça? Lui et ses complices qui ont contribué à maintenir ce pays (et d'autres) dans la misère.

La page est tournée, sans doute. Le pognon est rentré où il fallait.

Les banques se frottent les mains et les entreprises de construction évaluent les dégâts.

Les affaires reprennent. Et quand le bâtiment va ...

Ils n'ont pas de pain? Qu'on leur donne de la brioche!

Et puis,  A propos du rapport Debray sur Haïti, un excellent compte-rendu historique .

Commentaires [1]. Le dimanche 7 février 2010, 12:46 par Jean Claude Goujat

Merci pour cette mine d'informations qu'il faut que nous utilisions tous dans les débats sur Haïti.

En voici une petite:la France avait demandé à Haïti en 1825 la somme colossale de 150 millions de francs or soit l'équivalent de 21 milliards de $ de 2005!

Aristide et son gouvernement en avait demandé le remboursement peut après son élection.Ce qui était tout à fait normal.

Les USA sont responsables mais on peut considérer qu'ils ont des complices de ce coté ci de l'Atlantique!

[2]. Le dimanche 7 février 2010, 16:51 par  emcee

tout à fait. La France a toujours approuvé les exactions des US vis-à-vis d'Haïti, quand elle n'y a pas participé.

[3]. Le dimanche 7 février 2010, 16:58 par  birahima2

figurez-vous que moi j'ai eu le malheur de faire Aristide et exil en Afrique sur google...

je vous parle même pas de ce que ça a donné

[4]. Le dimanche 7 février 2010, 18:50 par  emcee

M'étonne pas [5]. Le dimanche 7 février 2010, 19:25 par Christine

"Pourquoi le taux de mortalité n'est que de 53 ans "=> l'espérance de vie ?

"Tous les indicateurs étant à la baise" => mouarf

[6]. Le dimanche 7 février 2010, 21:13 par  emcee

merci, Christine! manque de vigilance de ma part.

Et mauvaise traduction, en effet: je trouvais la formulation bizarre, mais j'ai eu la flemme de chercher mieux.

Quant à la deuxième phrase: et si cela avait été volontaire? [7]. Le lundi 8 février 2010, 15:57 par yelrah

Ben après y a bien deux s pour la forme ..

[8]. Le mardi 9 février 2010, 09:22 par  emcee

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