21/01/2011 info-palestine.net  7min #48072

 Profil bas pour le « clan des Tunisiens »

La brutale vérité sur la Tunisie

Du sang, des larmes, mais pas de démocratie. Une crise sanglante ne fait pas nécessairement présager l'avènement de la démocratie.

Robert Fisk - The Independent

Bernard Kouchner, Rama Yade (à l'époque soit-disant "secrétaire aux droits de l'homme"), Zébulon 1° et Ben Ali, à l'époque bénie des affaires en tout genre avec la dictature...

Est-ce la fin de l'époque des dictateurs dans le monde arabe ? Certes, ils tremblent dans leurs bottes au Moyen-Orient, les cheiks bien nantis et les émirs et les rois, dont un très âgé en Arabie saoudite et un jeune en Jordanie, et les présidents - un autre très âgé en Egypte et un jeune en Syrie - car ce qui s'est passé en Tunisie n'était pas censé se produire.

Émeutes à cause des prix alimentaires en Algérie... Manifestations contre la hausse des prix à Amman. Sans parler des dizaines de morts en Tunisie, dont le despote a cherché refuge à Riyad - exactement dans la même ville où un nommé Idi Amin [Dada] a une fois trouvé refuge.

Si cela peut arriver dans la destination de vacances qu'est la Tunisie, cela peut arriver n'importe où, n'est-ce pas ? [La Tunisie] a été félicitée par l'Occident pour sa « stabilité » à l'époque où Zine el-Abidine Ben Ali la dirigeait. Les Français, les Allemands et les Britanniques, osons le dire, ont toujours fait l'éloge du dictateur - un « ami » de l'Europe civilisée - qui gardait une main de fer sur tous ces islamistes.

Les Tunisiens n'oublieront pas cette petite histoire, même si nous aimerions qu'ils l'oublient. Les Arabes avaient l'habitude de dire que les deux tiers de la totalité de la population tunisienne - sept millions sur 10 millions, soit pratiquement la population adulte - travaillait d'une façon ou d'une autre pour la police secrète de M. Ben Ali.

Ils doivent avoir été dans la rue aussi, alors, pour protester contre l'homme que nous avons tant aimé jusqu'à la semaine dernière. Mais ne vous excitez pas trop. Oui, les jeunes Tunisiens ont utilisé l'Internet pour se rallier entre eux - et en Algérie, aussi - et la jeunesse en explosion démographique (née dans les années 80 et 90, sans emplois après l'université) est dans la rue.

Mais un gouvernement « d'unité » doit être formé par Mohamed Ghannouchi, un satrape de M. Ben Ali durant près de 20 ans, une paire de bras sans danger qui aura nos intérêts particuliers à coeur plutôt que ceux de son peuple.

Car je crains que cela ne soit la même vieille histoire. Oui, nous aimerions avoir une démocratie en Tunisie - mais pas trop de démocratie. Rappelez-vous combien nous voulions la démocratie en Algérie dans les années 90 ? Puis, quand il est apparu que les islamistes pouvaient gagner le deuxième tour de scrutin, nous avons appuyé son gouvernement, soutenu par l'armée, pour qu'il suspende les élections et écrase les islamistes, générant une guerre civile dans laquelle il y a eu 150 000 morts.

Non, dans le monde arabe, nous voulons l'ordre et la stabilité. Même dans l'Egypte corrompue du corrompu Hosni Moubarak, c'est ce que nous voulons. Et nous y parviendrons.

La vérité, bien sûr, est que le monde arabe est tellement désorganisé, sclérosé, corrompu, humilié et sans pitié - et n'oubliez pas que M. Ben Ali a été jusqu'à qualifier les manifestants tunisiens de « terroristes » la semaine dernière - et donc totalement incapable de tout progrès social ou politique, que les chances qu'une série de démocraties émerge du chaos au Moyen-Orient se situent autour de 0%.

Le travail des potentats arabes sera ce qu'il a toujours été - c'est-à-dire « gérer » leurs peuples, les contrôler, maintenir le couvercle, aimer l'Occident et haïr l'Iran.

En effet, que faisait Hillary Clinton la semaine dernière alors que la Tunisie brûlait ? Elle expliquait aux princes corrompus du Golfe que leur travail consistait à soutenir les sanctions contre l'Iran, pour faire face à la République islamique, pour se préparer à une nouvelle guerre contre un Etat musulman après les deux guerres catastrophiques que les États-Unis et le Royaume-Uni ont déjà infligées à la région.

Le monde musulman - du moins, la partie de celui-ci située entre l'Inde et la Méditerranée - est un endroit rien de moins que désolé. L'Irak a une sorte de gouvernement qui est à présent un satellite de l'Iran, Hamid Karzaï n'est rien de plus que le maire de Kaboul, le Pakistan est au bord d'une catastrophe sans fin, l'Égypte vient de sortir d'une autre élection complètement trafiquée.

Et le Liban... Eh bien, le pauvre vieux Liban n'a même plus de gouvernement. Le sud-Soudan - si les élections sont justes - sera peut-être une petits chandelle, mais ne parions pas trop sur lui.

C'est le même vieux problème pour nous en Occident. Nous avons à la bouche le mot « démocratie » et nous sommes tous pour des élections justes - à condition qu'au moment du vote les Arabes choisissent ceux pour qui nous voulons qu'ils votent.

En Algérie il y a 20 ans, ils n'ont pas joué le jeu. En « Palestine » non plus. Et au Liban, en raison de l'accord dit de Doha, ils ne l'ont pas fait non plus. Alors nous les sanctionnons, les menaçons et les mettons en garde à propos de l'Iran et attendons d'eux qu'ils se taisent quand Israël vole encore plus de terres palestiniennes pour ses colonies en Cisjordanie.

Il y a une ironie terrible que ce soit le vol par la police d'un étal de fruits d'un ex-étudiant - et son suicide qui a suivi - qui ait déclenché tout cela, M. Ben Ali faisant une tentative infructueuse de gagner le soutien du public en visitant le jeune qui se mourait à l'hôpital.

Pendant des années, ce pauvre [Ben Ali] avait parlé d'une « libéralisation lente » de son pays. Mais tous les dictateurs savent qu'ils se retrouvent plus en danger quand ils commencent à libérer de leurs chaînes leurs compatriotes emprisonnés.

Et les Arabes se comportent en conséquence. A peine Ben Ali s'est-il envolé en exil que les journaux arabes qui lui avaient caressé le poil, ciré les chaussures et reçu son argent pendant tant d'années, ont été jusqu'à vilipender l'homme. « Anarchie », « corruption », « règne autoritaire », « un manque total de droits de l'homme », disent à présent les journalistes. Rarement les mots du poète libanais Khalil Gibran n'ont retenti de façon si douloureusement percutante : « Pitié pour les pays qui se félicitent de leur nouveau maître avec fanfares, puis lui font ses adieux sous les huées, pour seulement en accueillir un nouveau avec des trompettes. » Mohamed Ghannouchi, peut-être ?

Bien sûr, tout le monde veut désormais réduire les prix - ou promettre de le faire. L'huile pour la cuisine et le pain sont les aliments de base des peuples. Ainsi, les prix vont baisser en Tunisie, en l'Algérie et en Egypte. Mais pourquoi devaient-ils être si élevés auparavant ?

L'Algérie devrait être aussi riche que l'Arabie saoudite - elle a le pétrole et le gaz - mais elle possède l'un des pires taux de chômage au Moyen-Orient, sans sécurité sociale, sans retraite, sans rien pour son peuple parce que ses généraux ont détourné la richesse de leur pays loin en Suisse.

Et la brutalité policière... Les chambres de torture vont continuer. Nous allons maintenir nos bonnes relations avec les dictateurs. Nous allons continuer à les armer et leur dire de rechercher la paix avec Israël.

Et ils feront ce que nous voulons. Ben Ali a fui. Nous cherchons maintenant un dictateur un peu plus souple en Tunisie - un « homme fort et bienveillant » comme les agences de presse aiment bien nommer ces affreux individus.

Et le spectacle continuera - comme il l'a fait hier en Tunisie - jusqu'à ce que « la stabilité » ait été restaurée.

Non, tout compte fait, je ne pense pas que l'âge des dictateurs arabes soit terminé. Nous verrons...

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