27/04/2011 cadtm.org  4min #52405

 L'annulation de la dette risque-t-elle d'aggraver la situation financière de la Tunisie ?

Pour un audit de la dette odieuse tunisienne

par Campagne ¿Quien debe a quien ?
 cadtm.org

Ce 14 janvier 2011 le peuple tunisien est parvenu à faire tomber Ben Ali, le dictateur qui l'avait opprimé 23 années durant. Cependant, au jour de sa chute, la Tunisie doit faire face à une dette extérieure publique d'environ 10 milliards d'euros, dont 157 millions ont été contractés auprès de l'État espagnol.

La dette que l'administration espagnole réclame à la Tunisie provient des crédits du Fonds d'Aide au Développement (FAD) disparu depuis peu, octroyés au dictateur jusqu'à sa chute. Depuis que Ben Ali a pris le pouvoir par un coup d'État en 1987, les gouvernements espagnols successifs ont octroyé à la Tunisie 444 millions d'euros sous forme de crédits FAD. Rien qu'au cours de l'année 2008 la Tunisie a contracté des crédits pour un total de 224 millions d'euros (parmi lesquels 78 millions ont déjà été déboursés). Au cours de l'année 2009 (la dernière pour laquelle les données sont disponibles), le gouvernement de Zapatero a concédé un crédit FAD à la Tunisie pour une valeur de 105 millions d'euros. Durant ces deux dernières années Ben Ali fut le principal bénéficiaire étranger de ce genre de crédit de la part du gouvernement espagnol.

Le flux d'argent entré en Tunisie en provenance des créanciers internationaux a servi à enrichir le clan de Ben Ali, dont la fortune est estimée à 3,5 milliards d'euros, et à imposer des plans d'ajustement économiques dans le pays. Ces plans ont bénéficié aux transnationales occidentales, notamment espagnoles, installées là-bas, qui ont jusqu'ici profité d'une dérégulation du marché du travail donnant lieu à une main d'oeuvre bon marché.

La dette contractée par Ben Ali peut être considérée, en grande partie, comme une dette odieuse, puisqu'elle n'a pas profité à la population, mais a au contraire servi à renforcer le régime despotique au détriment de celle-ci, en pleine connaissance de cause des créanciers internationaux. Selon l'argument juridique de la dette odieuse, élaboré par Alexander Sack en 1927, une dette contractée non pas pour les besoins et intérêts du peuple, mais contre son intérêt est « une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l'a contracté ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir ».

La Banque centrale de Tunisie prévoit d'affecter cette année 577 millions d'euros du budget de l'État au paiement du service de la dette publique extérieure, parmi lesquels 410 millions sont prévus d'être déversés ce mois d'avril. Ce paiement représente une nouvelle hémorragie de ressources ; ressources dont la Tunisie a besoin d'urgence pour reconstruire un État réellement libre et démocratique.

Pour toutes ces raisons, en solidarité avec la société civile tunisienne et en coordination avec d'autres campagnes dette du continent européen, nous demandons la suspension immédiate du paiement des crédits espagnols accordés à la Tunisie (avec gel des intérêts), et la réalisation d'un audit de ces crédits. La société civile doit participer intégralement à la réalisation de cet audit, comme cela a été le cas pour l'Équateur en 2007 et 2008 avec la Commission pour l'Audit Intégral du Crédit Public (CAIC). Avec cet audit nous espérons mettre au jour la destination des fonds prêtés, les conditions de ces prêts, ainsi que leurs impacts économiques, sociaux et environnementaux. Le processus de l'audit permettra d'identifier et de répudier la part illégitime de la dette tunisienne, éviter la formation d'un nouveau cycle d'endettement illégitime, et responsabiliser et juger les personnes qui ont pu commettre divers délits économiques, tant du côté des institutions espagnoles que du côté de la structure de pouvoir de Ben Ali.

Près de 50 parlementaires européens ont soutenu l'initiative de l'audit de la dette tunisienne, et le Parlement européen lui-même a émis le 30 mars dernier un communiqué dans lequel il appelait tous les créanciers à analyser, au cas par cas, la possibilité d'annuler la dette des pays méditerranéens qui se sont engagés sur le chemin de la démocratie.

Nous ne pouvons permettre qu'un peuple qui a réussi une révolution historique pour se libérer d'une dictature soit maintenant soumis à la dictature de la dette lui enlevant ainsi toute réelle souveraineté.

Joignez votre signature à la pétition pour l'audit de la dette publique de la Tunisie !

Voir en ligne :  actuable.es

P.-S.

Traduction Julie Marsault

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