Par Peter Schwarz
3 juin 2011
Après l'effondrement, il y a deux décennies, des régimes staliniens en Europe de l'Est et en Union soviétique, les médias n'ont cessé de proclamer « la faillite du socialisme. » Les difficultés économiques auxquelles ces sociétés étaient confrontées avant leur effondrement étaient citées comme la preuve qu'une économie rationnellement planifiée était impossible sur la base de rapports de propriété socialisés.
En réalité, personne n'a cherché à examiner la vraie cause du déclin de ces pays : le règne de bureaucraties corrompues qui ont dilapidé la propriété publique dans le but de préserver leurs propres privilèges tout en opprimant la classe ouvrière et en recherchant l'intégration dans le marché mondial capitaliste.
Si l'on analyse la crise actuelle des Etats capitalistes européens au moyen des mêmes critères que ceux appliqués à l'Europe de l'Est stalinienne, l'on doit conclure que le capitalisme a failli, et ce de manière encore plus spectaculaire. Ce qui se passe actuellement en Grèce - et d'une manière semblable au Portugal, en Irlande et en Espagne - est un effondrement historique. Même Marx n'aurait pu envisager un réquisitoire aussi choquant du fonctionnement du « libre marché. » Le pays a d'abord été ruiné par les mesures d'austérité et est maintenant donné en pâture aux requins de la finance internationale alors même qu'il court à la débâcle totale.
Les programmes de rigueur imposés sur ordre de l'Union européenne (UE) et du Fonds monétaire international (FMI) par le gouvernement social-démocrate PASOK de George Papandreou ont décimé le niveau de vie de vastes couches de la population et détruit de nombreux emplois. Comme l'on pouvait s'y attendre, de telles mesures ont plongé l'économie grecque dans une récession profonde et exacerbé le déficit budgétaire et la crise de l'endettement - un cercle vicieux sans issue.
L'UE et le FMI réagissent à la crise grecque augmentant la dose du même traitement, obligeant ainsi le gouvernement grec à organiser une vente au rabais des actifs de l'Etat. Des immeubles publics et des entreprises publiques telles les chemins de fer, la poste, les télécommunications, l'eau, les ports, les aéroports, les routes et les loteries seront toutes placées sous le contrôle d'une société holding et bradées au plus offrant. Les conséquences de telles mesures de privatisation sont bien connues : suppression d'emplois, hausse des prix, dégradation des services et flambée des profits pour les nouveaux propriétaires tandis que l'Etat perd une importante part de ses recettes.
Le gouvernement Papandreou a aussi annoncé une nouvelle série de coupes budgétaires. Dans la fonction publique, un poste vacant sur dix sera pourvu au lieu d'un sur cinq comme précédemment. Des départements entiers de la fonction publique seront fermés et les investissements publics réduits drastiquement. Le résultat sera une nouvelle aggravation de la récession.
Ceux qui réclament avec insistance davantage de rigueur sont précisément les gouvernements qui ont profité le plus de l'introduction de l'euro - en premier lieu, le gouvernement allemand. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a menacé de stopper toute aide à la Grèce si les réductions promises dans les dépenses publiques ne sont pas catégoriquement imposées. Le résultat d'une telle action serait la faillite immédiate du pays.
Schäuble est soutenu par la presse à sensation allemande et une brochette de ministres. Tous incitent à la haine contre ces « Grecs minables » qui « vivent au-dessus de leurs moyens. » Tous exigent que ce ne soit pas avec « notre » argent que l'on rembourse « leurs » dettes.
La question n'est toutefois pas le « vous » et le « nous », ni les « Allemands » contre les « Grecs. » La crise grecque n'est pas une question nationale mais bien plutôt une question de classes sociales. Ces mêmes intérêts financiers qui cherchent à soutirer le dernier centime à la population grecque se trouvent également derrière les attaques contre les salaires et les prestations sociales en Allemagne, en France, en Angleterre et partout en Europe. Les mesures d'austérité grecques font partie d'une massive offensive contre-révolutionnaire destinée à éliminer tout programme social bénéficiant à la classe ouvrière.
L'argent est anonyme. Il est difficile de retracer exactement comment les fonds sont détournés de la classe ouvrière grecque pour arriver dans les poches des riches et des ultra-riches. Mais, il ne fait pas de doute que c'est ce qui se passe.
Selon le dernier rapport sur les richesses dans le monde (Global Wealth Report), compilé par le Boston Consulting Group, les actifs dans le monde détenus par des investisseurs privés en liquides, sous forme d'actions, de valeurs et de fonds ont augmenté l'année dernière de 8 pour cent pour passer à 122 mille milliards de dollars. C'est une hausse de plus de 20 mille milliards de dollars par rapport au record d'avant la crise financière, il y a deux ans et demi.
Ainsi, alors que des millions de travailleurs sont en train d'endurer les conséquences de la crise financière internationale, ceux qui sont responsables de cette crise se portent mieux que jamais. Le nombre de ménages dans le monde qui possèdent plus d'un million de dollars a augmenté l'année dernière de 1,5 millions pour totaliser 12,5 millions. Bien qu'ils représentent moins d'un pour cent de la population mondiale, ils possèdent 35 pour cent des actifs mondiaux.
La plus forte concentration de richesse se trouve dans le pays le plus endetté du monde, les Etats-Unis. Alors que la classe ouvrière américaine est confrontée à une attaque sans précédent contre son niveau de vie, le capital investi par les Américains les plus riches a augmenté de 10 pour cent l'année dernière pour passer à 38,2 mille milliards de dollars. Dans ce contexte, le chef de file européen est le Royaume Uni (7,9 mille milliards de dollars) où le gouvernement a introduit un programme d'austérité de plus de 100 milliards de livres sterling. Vient ensuite l'Allemagne avec 7,4 mille milliards de dollars. Ce dernier montant correspond à 17 fois le montant total de la dette publique de la Grèce.
La redistribution des avoirs s'accompagne d'une intensification des antagonismes nationaux. L'euro menace de devenir une victime du conflit concernant la dette grecque et qui à son tour remet en cause l'existence même de l'Union européenne. L'Europe menace de retomber dans les Etats rivaux et les blocs de pouvoir qui ont déclenché deux guerres mondiales au siècle dernier.
L'intensification du nationalisme est la conséquence de conflits d'intérêts entre les puissances européennes qui s'efforcent de faire en sorte que ce soit leurs voisins qui portent le poids de la crise. Dans le même temps, le nationalisme est délibérément attisé par la classe dirigeante pour diviser la classe ouvrière. Dans la mesure où les Grecs, les Allemands, les immigrés et/ou les Musulmans sont désignés comme boucs émissaires de la crise, l'élite dirigeante est en mesure de brouiller les pistes et de bloquer la solidarité par-delà les frontières.
La classe ouvrière doit relever le défi et affronter ces menaces. L'indignation, la colère et la résistance ne manquent pas parmi les travailleurs partout en Europe. Toutes ces caractéristiques sont manifestes dans les nombreuses grèves et protestations en Grèce et lors des récentes manifestations en Espagne. Ce qui fait défaut c'est une perspective et une direction politiques.
Les anciennes organisations ouvrières - les partis réformistes et les syndicats - ont depuis longtemps changé de camp. Les partis sociaux-démocrates acceptent les dictats du capital financier et sont un facteur essentiel de l'imposition des mesures d'austérité à l'encontre de la classe ouvrière - comme c'est le cas en Grèce, en Espagne et au Portugal. Les syndicats considèrent les programmes d'austérité comme inévitables, et sabordent toute résistance en rejetant fermement toute solidarité internationale. Ils organisent tout au plus des protestations nationales inoffensives pour laisser s'exprimer la colère et empêcher que l'opposition ne devienne incontrôlable.
A cela s'ajoute les nombreux groupes jadis de gauche qui lient les travailleurs aux vieux partis et syndicats en faillite en affirmant que l'unique possibilité est de faire pression sur eux pour leur faire prendre une autre voie. C'est une illusion et un mensonge.
Il n'existe pas de solution à la crise actuelle dans le cadre de l'Etat-nation et du capitalisme. Le « sauvetage » de l'euro par le biais de plans d'austérité drastiques, ou bien son effondrement suite à la faillite d'un certain nombre d'Etats auraient tous deux des conséquences désastreuses pour la classe ouvrière. Tant que les banques et les grands groupes restent entre les mains de propriétaires privés et servent leurs intérêts, les gouvernements continueront à attaquer les emplois, les salaires et les droits sociaux et démocratiques des travailleurs.
La résistance requiert une approche coordonnée et transfrontalière fondée sur un programme socialiste. La classe ouvrière n'est pas responsable de la crise capitaliste et doit catégoriquement rejeter toutes les tentatives de lui faire payer la note. Les différents gouvernements bourgeois de droite et de « gauche » prévalant en Europe doivent être remplacés par des gouvernements ouvriers qui placent les intérêts de la société au-dessus des intérêts de profit du patronat. L'Union européenne, instrument des grandes entreprises et des banques, doit être remplacée par les Etats socialistes unis d'Europe.
C'est le programme pour lequel luttent le Comité international de la Quatrième Internationale et ses sections européennes.
(Article original paru le 2 juin 2011)