K. Selim - Le Qutodien d'Oran
A moins d'un miracle de dernière minute, Troy Davis est à cette heure-ci un pauvre noir mort.
Le Comité des grâces de l'Etat de Géorgie (Etats-Unis) a été totalement insensible aux failles criantes du dossier et notamment le fait que sept des neufs témoins qui le mettaient en cause dans l'assassinat d'un policier se sont rétractés. C'est énorme. Et cela aurait normalement suffi à relancer l'affaire. Il n'en a rien été.
C'est pour cela qu'on ne peut même pas écrire que Troy Davis est un citoyen américain de plein exercice. Il est noir et pauvre. S'il avait été un Américain à part entière, il aurait bénéficié des droits minimaux que la Constitution et les lois accordent aux vrais citoyens de ce pays. Dans un système où l'expression de « justice de classe » n'est pas un vain mot et où l'argent crée une inégalité manifeste devant la justice, comme on a pu le constater lors d'une récente affaire new-yorkaise, les droits minimaux de Troy Davis sont ignorés. Quand un comité des grâces, ultime recours avant la mort, n'est pas troublé par le fait que sept témoins à charge sur neuf se soient rétractés, on est au-delà de l'aveuglement. On ne peut pas s'empêcher d'y voir de l'acharnement. Quitte à donner de la justice américaine une image des plus sinistres.
Car, il faut encore le rappeler, si l'affaire scandalise au plus haut point les organisations de défense des droits de l'Homme dans le monde entier, cela ne rentre pas principalement dans la vieille bataille qu'elles mènent contre le principe même de la peine de mort. Ce qui est en jeu dans cette affaire, c'est la très grande probabilité que c'est un innocent qui a été exécuté par injection létale. Dans le système judiciaire américain - et dans tout système judiciaire éthique -, le doute profite systématiquement à l'accusé. Dans le cas d'espèce, Troy Davis, 42 ans, qui clame son innocence depuis maintenant vingt ans, aurait normalement bénéficié du fait qu'on ne condamne pas une personne dont la culpabilité n'est pas établie au-delà d'un doute raisonnable. Or, les sept témoins qui se sont rétractés sous serment ont mis en cause des pressions de la police et ont dit qu'ils avaient eu peur de contredire la version officielle.
Même une démocratie n'échappe pas aux pratiques des régimes policiers quand l'acharnement et les manipulations des appareils sécuritaires finissent par l'emporter sur le droit et la vérité. C'est d'autant plus évident que les jurés qui ont condamné Troy Davis affirment que leur jugement aurait été différent s'ils avaient eu connaissance de ces éléments.
L'indignation exprimée par les organisations de défense des droits de l'Homme devant cette affaire Davis est d'autant plus forte qu'il est une victime, une de plus, des méthodes douteuses utilisées par la police américaine. Pourquoi Cyrus Vance Jr, procureur de New York, a-t-il décidé de ne pas poursuivre l'ex- patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn, accusé du crime grave de viol et d'agression sexuelle ? Car officiellement, il n'était pas certain d'obtenir sa condamnation à l'unanimité au-delà d'un « doute raisonnable ». Pourquoi un Troy Davis, dont des jurés qui l'ont condamné disent qu'ils ne l'auraient pas fait s'ils avaient entre les mains les éléments actuellement disponibles, ne peut pas bénéficier du « doute raisonnable » sur sa culpabilité ?
La réponse coule de source. Au centre autoproclamé de la Civilisation, c'est la loi des Peco qui prévaut toujours et la justice est celle des riches. Les Etats-Unis, qui se posent en défenseurs suprêmes des droits de l'Homme, entre Abou Ghraïb et Guantanamo, exposent au monde l'authentique nature de leur système judiciaire. La vie et la parole d'un noir pauvre y sont sans valeur.
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