par Frédéric Lemaire, le 4 novembre 2011
Une semaine après les négociations du sommet européen sur un nouveau « plan d'aide » à la Grèce, le Premier ministre grec Georges Papandréou annonçait mardi 1er novembre la tenue probable d'un référendum sur l'adoption du plan européen. Au moment où nous écrivons, rien n'est confirmé et il est possible que le projet soit abandonné (ou que des élections anticipées le remplacent). Mais la levée de boucliers médiatiques contre le projet de consultation du peuple grec laisse pour le moins songeur sur les rapports entre médias et démocratie.
Ainsi, un référendum fut annoncé. Acrimed n'a pas pour vocation à entrer dans un débat de longue haleine sur l'opportunité de la tenue d'un tel référendum, voire sur l'opportunisme d'une telle annonce. Mais on peut s'interroger sur le rôle que s'assigne la presse écrite [1], quand la plupart des titres préfèrent dénoncer une « prise d'otage » par le Premier ministre grec d'un accord censé « sauver l'euro » (voire « sauver l'Europe »). Le débat démocratique serait-il mis entre parenthèse face à l'exigence de « rassurer les marchés » ?
En octobre 2011 déjà, un vote du Parlement slovaque menaçait le processus de mise en place du Fonds européen de solidarité financière (FESF). « La Slovaquie menace de bloquer le sauvetage de l'euro », titrait ainsi une dépêche AFP recyclée sur le site de liberation.fr. Mais cette fois-ci, la « menace » est d'une toute autre ampleur : un référendum sera peut-être organisé dans un pays qui a déjà largement fait les frais de la « solidarité » européenne...
Face à ce danger éminent, c'est la mobilisation générale dans la presse. « Le chaos . L'annonce surprise d'un référendum en Grèce sur le plan de sauvetage de Bruxelles sème la panique dans l'UE et menace la zone euro » explique ainsi Libération en « Une » de son édition du 2 novembre.
Pour Le Parisien le référendum grec est « un coup de poker qui risque d'avoir de lourdes répercussions sur la zone euro et sur la France. »
Une analyse partagée par Le Figaro qui titre en Une : « Papandréou l'homme qui met l'euro en péril » et dont l'édito évoque un « dangereux poker grec ».
France Soir plaide pour une explication psychiatrique « Crise grecque une histoire de fous ! » avant de développer sur l'étendue de l'ingratitude grecque : « L'Europe a effacé 100 milliards d'euro de la dette grecque. Mais le ministre Papandréou fait la fine bouche : il soumet ce "cadeau" à un référendum provoquant la panique et la colère dans toute l'Europe ». Sont-ce des manières, que de soumettre un tel « cadeau » à un référendum ?
A moins que son journal préféré ne figure pas dans la liste des grands médias, le lecteur retiendra donc que les réactions à l'initiative du Premier ministre grec sont de deux ordres : panique, et colère. Mais de qui ?
La panique, c'est celle des marchés. Explicitée en Une des quotidiens économiques : « Le coup de théâtre grec fait plonger les marchés », pour les Echos, et « Krach ! » en lettres cyrilliques, pour la Tribune.
Quant à la colère, c'est celle des dirigeants européens, assimilée « aux européens », voire à « l'Europe », comme dans la Une de La Croix : « La Grèce fait chanceler l'Europe » ; « La décision de Georges Papandréou d'organiser un référendum sur le plan de sauvetage conclu jeudi jette le doute sur la capacité des européens à sortir de la crise. »
Les marchés, et les dirigeants européens semblent seuls à même de juger de l'opportunité de l'initiative du Premier ministre grec. Qu'en est-il des salariés grecs, et européens ? A se demander si ce sont vraiment leurs affaires...
Le Monde, qui semble partager la colère des dirigeants européens, s'interroge sur un autre sujet : celle de la présence de la Grèce dans l'euro. « Ce n'est pas ainsi que l'Europe doit fonctionner », explique le quotidien vespéral, qui soupçonne le Premier ministre de vouloir faire un « pari fou » : celui de vouloir renégocier le plan sous la menace d'un « non » qu'il sait acquis. « Imagine-t-on d'ailleurs un peuple acceptant, unanime, une purge aussi violente que celle proposée. » Imagine-t-on Le Monde se poser la question de la légitimité démocratique d'une purge aussi violente que celle qui est proposée ? Apparemment, la réponse est non.
La liberté de la presse, dit-on, est celle d'un contre-pouvoir démocratique. La preuve ? Ce sont les médias eux-mêmes qui le disent !... Quoique la plupart d'entre eux s'abstiennent de le démontrer quand le pouvoir politique omet de tenir compte du référendum de 2005 ou quand le gouvernement grec envisage de recourir à un référendum ou à des élections. Les prétendus garants de la démocratie se comportent alors en vigoureux protecteurs des oligarchies...
Frédéric Lemaire (avec Henri, Mathias et Olivier Pr.)
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Notes[1] Les mêmes remarques peuvent valoir pour les médias audiovisuels.
[:mmd]
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