Par Bill Van Auken
8 novembre 2011
Le soudain limogeage de l'état major grec mardi soir dans le contexte d'une vague de protestations internationales concernant une proposition de référendum sur le plan de sauvetage de l'UE présente toutes les caractéristiques d'une action prise pour anticiper la menace d'un coup d'Etat militaire
Une mesure d'une telle envergure politique n'aurait pas été prise à la légère. Pour le moins, l'on doit supposer que le premier ministre George Papandreou avait de bonnes raisons de croire que son gouvernement et éventuellement lui-même étaient confrontés à un danger imminent de la part de l'armée du pays.
Le ministre grec de la Défense, Panos Beglitis, un allié politique proche de Papandreou, avait convoqué les quatre officiers les plus haut placés de l'armée grecque - les chefs de l'état-major, armée de terre, marine et armée de l'air - à une réunion hâtive pour annoncer qu'ils étaient démis de leurs postes et remplacés par d'autres membres de la haute hiérarchie militaire.
Le mois dernier, le ministre de la Défense, Beglitis avait été cité par le site Internet EU Observer pour avoir décrit la hiérarchie militaire grecque comme étant « un Etat dans l'Etat ».
Le gouvernement grec devrait rendre public ce qu'il sait sur les complots de cet « Etat dans l'Etat » et qui sont ses alliés. Compte tenu du bilan du parti Pasok de Papandreou, toutefois, ceci est extrêmement improbable. La dernière chose que ce dernier et ses partisans pseudo-gauches veulent, c'est alarmer les travailleurs sur les dangers auxquels ils sont confrontés.
Un certain nombre de quotidiens en Europe ont soulevé la question de savoir si le limogeage de l'état-major visait à éviter un coup d'Etat militaire. Parmi ces quotidiens se trouvaient à la fois le Telegraph et le Daily Mail en Grande-Bretagne. Parmi les articles abordant plus clairement l'affaire figurait celui de Gabor Steingart, rédacteur du principal quotidien économique allemand, Handelsblatt.
Sous le titre « Si j'étais Grec », Steingart reconnaît que le soi-disant plan de sauvetage de l'économie grecque est en réalité un autre renflouement des banques aux dépens des travailleurs grecs qui seront obligés de le payer par le biais de la destruction massive de leurs emplois, des salaires et des conditions sociales. Ces mesures ne feront qu'aggraver la dépression et l'endettement du pays en jetant les bases pour des exigences d'austérité encore plus terribles à l'avenir.
En comparant le plan au traitement de « choc » appliqué dans l'ancienne Union soviétique, Steingart écrit : « Si j'étais Grec, je ferais partie de ceux qui sont alarmés et inquiets. Je me méfierais de cette machine militaire qui avait gouverné le pays jusqu'en 1974 et qui attend son occasion pour se venger. L'expérience d'un grand nombre de pays nous a enseigné : Le Dr Choc est un ennemi de la démocratie. »
La manière dont cette affaire a été dissimulée - ou plutôt censurée dans la presse - dans les médias américains est révélatrice. Ni le New York Times ni le Washington Post, deux publications faisant fonction d'organes de presse « officiels » au sein de l'establishment politique américain n'ont pas imprimé le moindre mot sur cet extraordinaire remaniement du commandement militaire grec.
Mardi, le site internet du Times affichait un article sur la Grèce prédisant que le gouvernement Papandreou était sur le point de chuter. L'évaluation aurait clairement servi à expliquer et à justifier un coup d'Etat ayant eu lieu dans les conditions d'un effondrement politique. Mais, apparemment, ce que les rédacteurs du Times escomptaient ne s'est pas produit. Ceci rappelle la satisfaction prématurée du journal au sujet du renversement de courte durée du président du Venezuela, Hugo Chavez en 2002.
A présent, le silence des médias suggère que les rédacteurs du Times et du Post recherchent désespérément une ligne politique sur ce qu'ils considèrent être un sujet très sensible.
Une chose est sûre, si un coup d'Etat militaire avait été en préparation en Grèce, il n'aurait pu, compte tenu des enjeux, être accompli qu'avec le consentement des principales puissances européennes - l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne - et bien sûr, des Etats-Unis.
Alors que l'histoire de la Grèce abonde d'interventions militaires dans le domaine politique - pas moins de huit coups d'Etat au 20 ème siècle - la dernière junte militaire à avoir saisi le pouvoir le 21 avril 1967 et à avoir régné jusqu'en 1974, portait clairement le cachet «Fabriqué aux Etats-Unis ».
Le soi-disant « coup d'Etat des colonels » fit suite à deux années d'instabilité politique qui avait débuté avec l'éviction par le roi grec Constantin du gouvernement de Georgio Papandreou - le grand-père de l'actuel premier ministre - après qu'il eut lui-même tenté de remplacer le commandement militaire.
Le dirigeant du coup, le colonel Georgios Papadopoulos, était un ancien collaborateur de l'occupation nazie de la Grèce dans les années 1940 et qui avait rejoint l'armée grecque durant la période de l'après-guerre et qui avait bénéficié aux Etats-Unis d'une formation dans le domaine du renseignement. Il devint le principal agent de liaison entre la CIA et le KYP, l'agence de renseignement grecque fondée et financée par les Etats-Unis. Papadopoulos lui-même avait été à la solde de la CIA pendant 15 ans.
Le coup d'Etat avait été organisé conformément aux directives d'un plan d'urgence de l'OTAN connu sous le nom de « Prométhée. » Ce plan aurait été conçu pour prévenir une mainmise communiste grâce à une prise de contrôle de l'armée et l'internement de tous ceux considérés être des éléments subversifs.
La junte imposa la loi martiale en abolissant les droits démocratiques. Elle jeta très vite quelque 10.000 personnes en prison, dont des dirigeants politiques, des syndicalistes, des militants sociaux, des étudiants et d'autres suspectés de s'opposer à son programme contre-révolutionnaire. Des milliers furent torturés. La police de la junte battait les prisonniers politiques avec des tuyaux en caoutchouc, leur administrait des chocs électriques, leur faisait subir des tortures sexuelles et des viols et leur arrachait les ongles. L'un des tortionnaires les plus infâmes de la junte aurait eu sur son bureau une enseigne rouge-blanche et bleue de l'aide américaine et aurait dit à ses victimes, « Derrière moi il y a le gouvernement, derrière le gouvernement il y a l'OTAN, derrière l'OTAN il y a les Etats-Unis. Vous ne pouvez nous combattre, nous sommes des Américains. »
Ces crimes hideux furent perpétrés avec l'aide et l'approbation directes du gouvernement démocrate libéral du président Lyndon B. Johnson.
Durant sa première conférence de presse donnée après sa prise du pouvoir, Papadopoulos avait défendu la répression brutale déclenchée par la junte en disant. « Nous avons à faire à un patient qui se trouve sur la table d'opération. Il ne peut être guéri de sa maladie sans être ligoté à la table d'opération. »
Il n'y a pas de doute qu'un tel raisonnement rencontre beaucoup d'intérêt de nos jours au sein des cercles financiers internationaux où la proposition de Papandreou de soumettre à référendum un plan d'austérité drastique a été dénoncée somme étant « irresponsable », sinon insensé.
Le premier ministre grec a fait cette proposition sur la base de ses propres calculs politiques qui n'ont rien à voir avec la démocratie. Toutefois, l'idée même que la population laborieuse puisse être autorisée à voter sur la possibilité d'accepter des coupes sociales massives pour renflouer les banques a provoqué la colère intense et la consternation de l'aristocratie financière dans tous les pays.
Le caractère brutal de ces mesures et l'énorme inégalité sociale qu'elles renferment ne peuvent pas être appliquée par des moyens démocratiques. Le « patient » doit être « ligoté à la table d'opération. »
En 1974, la dernière fois que l'armée dirigeait la Grèce, durant une période de soulèvement économique et politique qui avait balayé le monde, l'Espagne et le Portugal, deux des autres pays cités comme les prochains dominos susceptibles de s'effondrer dans la crise actuelle de la dette souveraine européenne, étaient également dirigés par des dictatures militaires fascistes. Il en était de même de la plupart des pays d'Amérique latine.
Les événements en Grèce signalent que l'ère des colonels et des généraux est de retour. Dans les conditions de la plus profonde crise du capitalisme mondial depuis la Grande dépression des années 1930, les vieux mécanismes de la démocratie bourgeoise ne sont plus en mesure de contenir plus longtemps les antagonismes de classe et les tensions internationales qui ne cessent de croître.
La menace de la dictature se manifeste d'abord dans les économies capitalistes plus faibles, mais c'est comme une maladie qui se propage des extrémités vers le coeur. Il n'existe pas un pays au monde où les travailleurs peuvent se permettre l'illusion que « cela ne peut pas se produire ici. »
(Article original paru le 3 novembre 2011)