par Serge Halimi, décembre 2011
Maniant le chantage à la faillite et la peur du chaos, deux anciens banquiers, MM. Lucas Papadémos et Mario Monti, viennent de prendre le pouvoir à Athènes et à Rome. Ce ne sont pas des techniciens apolitiques, mais des hommes de droite, membres de la Commission trilatérale, connue pour avoir dénoncé l'excès de démocratie des sociétés occidentales.
En novembre dernier, le « directoire » franco-allemand de l'Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) la « troïka » ont manifesté leur colère quand le premier ministre grec Georges Papandréou annonça la tenue d'un référendum sur l'austérité dans son pays. Cela remettait en cause, selon eux, un accord intervenu un mois plus tôt, qui prévoyait un nouveau durcissement de la politique économique ayant mis la Grèce à genoux. Convoqué à Cannes entre deux réunions d'un sommet auquel son pays, trop petit, ne participait pas, condamné à faire antichambre, morigéné publiquement par Mme Angela Merkel et M. Nicolas Sarkozy, pourtant coresponsables de l'aggravation de la crise (lire « Sur le toboggan de la crise européenne »), M. Papandréou dut renoncer à son référendum et démissionner. Son successeur, un ancien vice-président de la BCE, a choisi d'élargir aussitôt le gouvernement d'Athènes à une formation d'extrême droite interdite de pouvoir depuis la chute des colonels grecs, en 1974. Sans que la « troïka » ne manifeste une émotion particulière.
Le projet européen devait assurer la prospérité, conforter la démocratie dans les Etats autrefois gouvernés par des juntes militaires (Grèce, Espagne, Portugal) et désamorcer les « nationalismes fauteurs de guerre ». Il réalise tout le contraire : purge renforcée, gouvernements transformés en pantins des salles de marché, réveil des animosités entre peuples du Vieux Continent. « On ne peut pas continuer à être les esclaves de l'Allemagne », s'indigne un jeune Espagnol qui ne veut pas s'exiler à Berlin ou à Hambourg pour trouver du travail. Les Italiens se sont surtout offusqués de l'arrogance du président français et se sont demandé, légitimement, quel talent particulier pouvait la justifier. Certains Grecs dénoncent déjà la prise en main de leur pays par des « forces d'occupation » ; des caricatures représentent même la chancelière allemande en nazie...
Aux peuples que martyrisent les politiques d'austérité, l'histoire de l'Europe offre un large choix d'analogies abusives. Mais, toutes proportions gardées, les derniers événements d'Athènes rappelleraient plutôt l'été 1968 en Tchécoslovaquie, la « normalisation » à Prague et l'éviction du dirigeant communiste Alexandre Dubcek. La « troïka » qui vient de transformer la Grèce en protectorat a joué le rôle autrefois dévolu au pacte de Varsovie ; M. Papandréou, celui d'un Dubcek qui n'aurait jamais osé résister. Avec, dans les deux cas, la mise en oeuvre d'une doctrine de la « souveraineté limitée » dont on concédera volontiers la nature moins meurtrière quand trois agences de notation en dictent les paramètres que lorsque les chars soviétiques franchissaient des frontières.
Après avoir écrasé la Grèce et piétiné l'Italie, l'Union européenne et le FMI tournent à présent leur regard vers la Hongrie et l'Espagne.
Serge Halimi
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