24/12/2011 3 articles info-palestine.net  6min #61404

La Turquie accuse la France de génocide et renvoie Sarkozy en Algérie

Salem Ferdi - Quotidien d'Oran

Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre turc, ne mâche pas ses mots contre la France après l'adoption par les députés français - peu nombreux au siège de l'Assemblée - d'une proposition réprimant la contestation du génocide arménien.

Sétif, le 8 mai 1945 - La police et l'armée coloniales françaises commettent un épouvantable massacre contre la population algérienne, faisant des dizaines de milliers de victimes

Après avoir fait rappeler l'ambassadeur de Turquie à Paris, le Premier ministre turc a renvoyé la France à sa propre histoire et l'a accusée d'avoir commis un génocide en Algérie. « On estime que 15% de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945. Il s'agit d'un génocide », a déclaré hier vendredi Recep Tayyip Erdogan. Le Premier ministre turc totalement convaincu que le président français Nicolas Sarkozy agit par pulsion électoraliste s'en est pris directement à lui.

Il l'a accusé de « jouer sur la haine du musulman et du Turc ». « Le président français Sarkozy a commencé à rechercher des gains électoraux en utilisant la haine du musulman et du Turc ».

Pour M. Erdogan, ce vote qui a eu lieu dans un pays où vivent cinq millions de musulmans montre « à quel point le racisme, la discrimination et l'islamophobie ont atteint des dimensions dangereuses en France et en Europe ».

Tançant directement Nicolas Sarkozy, le Premier ministre turc lui demande de voir du côté de son père s'il ignore qu'un génocide a eu lieu en Algérie. « Si le président français M. Sarkozy ne sait pas qu'il y a eu un génocide, il peut demander à son père Pal Sarkozy (...) qui a été légionnaire en Algérie dans les années 1940... je suis sûr qu'il (Pal Sarkozy) a beaucoup de choses à dire à son fils sur les massacres commis par les Français en Algérie ».

Ces déclarations fermes du Premier ministre turc interviennent au lendemain de l'annonce d'une révision de la relation avec la France avec une première série de mesures de rétorsion. Outre le départ de l'ambassadeur turc de Paris rappelé en consultation, Ankara a annoncé que les exercices militaires conjoints et toutes les activités militaires avec la France sont annulés.

Les navires de guerre français sont d'ores et déjà indésirables dans les ports turcs.

Juppé tente de sauver la mise

Ce vote, a indiqué Erdogan, « va ouvrir des plaies irréparables et très graves dans les relations bilatérales.... Nous révisons nos relations avec la France ». Le vote dont l'aspect électoraliste est mis en exergue même en France pourrait également avoir des conséquences économiques importantes, la Turquie étant l'un des principaux partenaires économiques et commerciaux de la France hors Union européenne.

Face à une crise prévisible, Paris semble esquisser une sorte de partage des tâches. Une justification du vote de la loi en direction de l'opinion française tandis que le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, tente de jouer au « modérateur ». Après avoir fuité dans la presse qu'il était hostile à l'adoption de la loi, Alain Juppé demande aux Turcs de modérer leur réaction. « Ce que je souhaite, c'est que nos amis turcs ne sur-réagissent pas », a déclaré Alain Juppé.

Hier, il a fait une déclaration de plus où il affiche clairement ses réserves. L'adoption de la loi n'est « pas opportune », a-t-il dit en appelant à « reprendre des relations apaisées. Ce sera difficile, j'en ai conscience, mais le temps fera son œuvre ». Le président français a déclaré pour sa part qu'il respectait les « convictions de nos amis turcs, c'est un grand pays, une grande civilisation, ils doivent respecter les nôtres... La France ne donne de leçons à personne, mais la France n'entend pas en recevoir ». Le problème est qu'elle a bien essayé de donner la « leçon » à la Turquie sans tirer la leçon de sa propre histoire. C'est l'argument d'Erdogan et il semble plus que pertinent.


De la politisation de l'Histoire

M. Saadoune -  Le Quotidien d'Oran

L'Histoire saurait-elle être un objet de droit et doit-elle constituer la base d'une législation ? La controverse, ancienne, est alimentée par la récente initiative des parlementaires français qui viennent de voter une loi pénalisant ceux qui nieraient « le génocide des Arméniens » perpétré par l'armée ottomane en 1915. Ce texte a suscité l'indignation des dirigeants turcs qui y voient, selon Recep Tayyip Erdogan s'exprimant jeudi à Ankara devant un parterre de journalistes, une manœuvre électoraliste du président français Nicolas Sarkozy.

Il faut dire que ces soucis électoralistes démagogiques sont récurrents en France, la fameuse loi sur les « bienfaits du colonialisme » ayant été faite dans le même esprit. Elle avait suscité une réaction vive des historiens français et, bien plus tard, celle des autorités algériennes. A l'évidence, les leçons n'ont pas été tirées. Et la tentative d'imposer une lecture fermée des faits de l'Histoire, qui plus est pour des raisons 100% électoralistes, reste de mise. Elle suscite une colère immense chez les responsables turcs que le ministre français des Affaires étrangères, par conviction ou par nécessité, tente d'apaiser et de calmer.

Le problème est que les politiciens français ne semblent pas comprendre que les hommes politiques turcs, eux aussi, ont une opinion publique et doivent en tenir compte. Et l'affront que vient d'infliger l'Assemblée française aux Turcs est trop important pour être occulté. Sans surprise, l'histoire des « bienfaits » du colonialisme en Algérie est intervenue dans la dispute entre Ankara et Paris. Sur le mode de la réponse du berger à la bergère, le leader turc a accusé la France d'avoir commis un « génocide » en Algérie.

L'appel de Juppé en direction d'Ankara à ne pas « sur-réagir » risque de se perdre dans le sable des passions provoquées par une loi électoraliste. Les lois « mémorielles », décidément en vogue à Paris, sont contestées par nombre d'historiens qui considèrent qu'il s'agit d'une intrusion du politique dans une sphère qui lui est étrangère. Pour les spécialistes, transformer un objet d'études académiques en histoire officielle sacralisée par le droit est une aberration. Il est dérisoire de tenter d'instrumentaliser l'Histoire en l'érigeant en vérité pénalement opposable aux opinions alternatives, aussi iconoclastes qu'elles puissent paraître.

Quelles exactions devraient donc figurer en objet du « code pénal historique » ? Jusqu'à quelle période faudrait-il remonter pour établir le catalogue des atrocités dont la contestation de la réalité serait pénalement punissable ? La démarche est, à tous points de vue, des plus incertaines. La controverse franco-turque est, indubitablement, déterminée par des considérations électoralistes à quelques mois d'élections présidentielles dans un contexte où les populismes - cette affaire en est une illustration - s'affirment dangereusement.

A Paris comme ailleurs, par temps de crise, de montées des tensions sociales et de la misère, la politisation de l'Histoire fait partie de l'arsenal habituel des diversions démagogiques. Mais en dénonçant ouvertement un « génocide » français en Algérie, Erdogan pose une question aux Algériens. Doivent-ils continuer à rester « contraints » dans l'expression sur les questions de l'Histoire ? Doivent-ils reprendre le propos d'Erdogan, voire surenchérir ? Le législateur français, en s'autorisant à légiférer sur la « vérité historique », a sans doute ouvert la boîte de Pandore !

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