La semaine dernière je vous ai exposé les difficultés de méthode que rencontre la science historique "trans-événementielle" pour tracer des trajectoires interprétatives, donc pour se rendre du moins réflexive, sinon méditative ; et je vous ai expliqué que l'ambition de rendre intelligible le génocide arménien, par exemple, exige une plongée dans les secrets anthropologiques du genre simiohumain. Comment accéderons-nous à la profondeur qui nous éclairerait sur l'inconscient meurtrier des sacrifices religieux, comment analyserons-nous le monstre céleste qu'adorent les chrétiens, alors que l'autel de leur dieu leur présente à chaque messe un document saignant? La question est de savoir si la science de la mémoire du sacré est condamnée à demeurer un récit superficiel et lénifiant ou si elle peut explorer les origines zoologiques du divin.
Afin de nous éclairer davantage sur les difficultés que rencontrent les historiens pour raconter et pour expliquer tout ensemble tant de crimes pieux et de massacres rédempteurs, j'en viens à la narration d'un désastre diplomatique, afin d'observer la face politique de la loi du 23 décembre 2011 non seulement telle qu'elle se présente aux yeux des chancelleries actuelles, qui ne disposent pas encore d'un regard sur les entrailles de la foi, mais également à la lumière des paramètres sotériologiques et sanglants tapis dans l'inconscient de l'histoire du temporel.
Car le rejet en commission sénatoriale du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale le 23 déc. 2011 était un fruit prématuré de la rigueur du raisonnement juridique de M. Badinter, qui avait démontré l'inconstitutionnalité de la loi dans le Monde daté du 14 janvier 2012 ; mais cette aventure législative - en suspens jusqu'au 23 janvier 2012 ouvre une voie nouvelle à la réflexion anthropologique sur les fondements simio-humains de la géopolitique que je poursuis sur ce site depuis 2001.
Car il est possible que le Sénat passera outre à l'avis compétent de sa commission de spécialistes du droit international, parce qu'il n'est pas sûr qu'il refusera de faire tomber dans son escarcelle les suffrages massifs d'un demi-million d'Arméniens devenus français depuis un siècle et dont de grands noms ont enrichi notre culture. Mais quand bien même il refuserait un cadeau politique au prix d'un contresens juridique, il sera démontré que la question de fond n'aura pas été posée ; car chacun sait qu'aucun esprit sérieux ne niera l'existence d'un massacre dont le caractère criminel a été reconnu en 1919 - et en cours martiale - par la justice ottomane elle-même, puis par le traité de Lausanne de 1923 entre la France et la Turquie. De plus, si un citoyen français était poursuivi sur notre territoire au nom d'une loi inutile et absurde, comme il sera démontré ci-dessous, il soulèverait la question préalable de l'inconstitutionnalité d'une législation dont j'ai amplement démontré l'inanité la semaine dernière.
La vraie question est donc celle du statut anthropologique d'une science historique dont les professionnels ignorent de l'esprit magique et la sorcellerie qui l'inspire, ce qui renvoie Clio à une pesée nouvelle de la condition humaine. Car la démagogie électorale s'est donné une arme nouvelle, celle de jeter à la figure d'un Etat étranger une loi dont l'effet totémique sera semblable à celui du sorcier qui vous jetait un sort.
1 - Les masques sacrés de la République
2 - Un " sport législatif "
3 - Une incurie diplomatique incroyable
4 - Le naufrage de la science juridique
5 - Les geôles de l'Eglise de la Liberté
6 - Le révisionnisme diplomatique
7 - H istoire d'un coup de feu
8 - M. Juppé et le nucléaire
9 - La France et la communauté juive au sein de la République
10 - Et la Constitution ?
11 - Le Michel Ange de la démagogie