17/01/2012 arretsurimages.net  9min #62280

 Standard & Poor's sanctionne la rigueur européenne

« les agences de notation sont sous-informées. »

Standard & Poor's, Moody's, Fitch : dans les coulisses

Il faut se faire une raison: notre triple A, ce trésor national, ne passera pas l'hiver et c'est une question de jours maintenant. Depuis que l'agence de notation financière Standard & Poor's a annoncé qu'elle menaçait de dégrader la note de quinze Etats de l'Union Européenne dont celle de la France, on ne se fait plus guère d'illusion. Quel est le rôle joué par les agences de notation dans cette tempête qui secoue la zone euro ? C'est le sujet de notre émission avec deux invités: Norbert Gaillard, économiste, consultant indépendant et auteur d'un ouvrage sur les agences de notation dans la collection Repères (La découverte) ; Pascal Canfin, député européen d'Europe-Ecologie-Les-Verts et l'un des négociateurs de la directive européenne qui va encadrer les agences de notation.

L'émission est présentée par Anne-Sophie Jacques et Daniel Schneidermann, préparée par Dan Israel et
Marion Mousseau, et déco-réalisée par François Rose.

La vidéo dure 1 heure et 17 minutes.

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Commençons cette émission par l'abaissement de la note de Norbert Gaillard qui  avait prédit la perte du triple A pour le vendredi 16 décembre. Raté ! Pourquoi ce plantage ? "Les agences essayent depuis quelques mois de limiter l'impact des dégradations de note", explique Gaillard. Voilà pourquoi les dégradations de la note des Etats-Unis et de celle de la Belgique ont eu lieu un vendredi. Il pensait donc que la dégradation de la note de la France interviendrait le vendredi avant le début des vacances. "Je pense que ce sera début janvier", rectifie-t-il aujourd'hui. A sa décharge, Gaillard n'est pas le seul à se tromper dans ses prédictions. C'est le cas aussi de Jean-Michel Six, le responsable de Standard & Poor's  qui fait régulièrement la tournée des médias. En août dernier, sur plateau de C dans l'air, il affirmait que dans les années qui viennent, il n'y aurait pas de dégradation de la note française !

Pour écrire son livre, Norbert Gaillard a rencontré de nombreux analystes de différentes agences de notation. "Mais c'est quand même un milieu qui s'ouvre trop peu", reconnaît-il car ils ont "peur de donner trop d'informations". Sur la question de la transparence, Pascal Canfin précise qu'un des éléments de négociation pour aboutir à un meilleur encadrement du travail des agences, "c'est d'obliger les agences à envoyer les modèles qu'elles utilisent à une entité publique européenne pour qu'elle valide ces modèles de façon à éviter les aberrations". Ne serait-ce que pour limiter les erreurs de notation du risque comme pour les subprimes. D'ailleurs, les agences de notation se notent-elles entre elles ? Pas directement, explique Gaillard. (acte 1)

En novembre, Standard & Poor's a connu  un sacré bug, en indiquant via internet qu'elle avait dégradé la note de la France, ce qui était faux. Comment expliquer cette bourde ? Et d'ailleurs, est-ce une bourde ? Gaillard a "du mal à croire" les explications de l'agence. "C'est vraiment troublant", lance-t-il. "Mais ce sont des gens sérieux, ou des charlots ?", demande directement Daniel.

Ce qui frappe Canfin, c'est "l'écart incroyable" entre l'impact des décisions des agences et leur structure, avec "des petites équipes, avec des gens qui n'ont pas de compétences particulières, pas de rémunérations astronomiques et plutôt moins d'informations que d'autres dans le monde de la finance". "Quand Sarkozy totémise la note AAA de la France, il leur confie une responsabilité qu'ils ne sont pas capables de supporter et qu'ils n'ont pas demandée", balance-t-il. Notre autre invité rappelle qu'un analyste chargé de noter la dette d'un Etat passe environ trois jours dans le pays, contre deux semaines pour un envoyé du FMI. Et malgré cette "totémisation" de la note sur la dette souveraine de la France, le député européen assure qu'"aucun politique ne lit ce qu'écrivent les agences". Meilleur exemple : personne n'a remarqué qu'elles demandent aux gouvernements européens de ne pas se lancer dans des politiques d'austérité ! (acte 2)

Justement, quels sont les rapports entre politiques et les agences ? "Il y a des communication régulières entre les analystes et le gouvernement, indique Gaillard. Et les Etats sont prévenus 12 heures avant la parution de la note." A cette annonce, les réactions de nos deux co-animateurs sont contradictoires : "C'est énorme !", juge Anne-Sophie. "12 heures, c'est très peu", lance en même temps Daniel. "Pour les agences, c'est trop, et pour les Etats, pas assez", s'amuse Gaillard. "Il y a un problème de risque de délit d'initié", souligne Canfin. "La plupart du temps, les salles de marché ont l'information quelques heures avant, ce qui permet à des banques de spéculer et de gagner quelques centaines de millions d'euros."

Daniel s'interroge ensuite sur le nombre d'agences : pourquoi trois seulement ? Durant l'entre deux-guerres, explique Gaillard, il y en avait quatre. Deux ont fusionné, et leur nombre n'a pas évolué depuis, chacune se protégeant en rachetant régulièrement de petits concurrents. En fait, "il y a plusieurs dizaines d'agences, au Japon ou en Chine", rappelle Canfin. Mais on n'en parle jamais, parce qu'en Europe, par exemple, la réglementation impose aux investisseurs de suivre spécifiquement les notes de Standard & Poor's, Fitch ratings et Moody's ! Et, courage suprême, la BCE a décidé il y a deux ans de ne plus suivre leurs avis… Le député européen estime que, si les agences sont légitimes à pointer les risques, elles ne devraient pas ensuite donner des préconisations, d'autant qu'elles suivent "le logiciel anglo-saxon néolibéral de base". Mais au fait, qui paye les agences ? En résumé, c'est simple : ni les pays les plus pauvres, ni les plus riches… (acte 3)

Régulièrement, les critiques des agences de notation portent sur leur soumission supposée à la finance anglo-saxonne, et l'hostilité dont elles feraient preuve contre l'Europe, et l'euro. Pas de "complot", tranche Norbert Gaillard : "Il y a un prisme anglo-saxon dans leur vision du monde, dominant ces dernières années, mais qui évolue un peu aujourd'hui, consistant à mieux noter les pays industrialisés, même avec un niveau de dette très élevé." Par exemple, le Japon était encore noté AAA il y a très peu de temps, malgré son endettement exorbitant. Pour Canfin, le problème est "systémique" : "Depuis la crise de 2008, l'ensemble des Etats riches ont pris 25 % de dette publique supplémentaire. C'est l'équivalent d'une dette de guerre, on sait qu'il n'y a aucun moyen de la rembourser à court terme." Sa solution ? "Créer une structure pilotée par la BCE qui rembourserait la dette de tous les pays sur 5,10 ou 15 ans, en rééchelonnant massivement, tout en garantissant le capital (et en perdant de fait des intérêts). Pour moi, c'est la seule solution." Une idée  par exemple proposée par les "Sages" allemands, conseillers économiques du gouvernement.

Pour Daniel, cette solution s'apparenterait à un défaut partiel, mais il trouve cette "troisième voie" séduisante. Gaillard confirme en tout cas que les agences considéreraient ce mécanisme comme un défaut de paiement. "Si jamais on faisait ça, tous les les pays de la zone euro seraient dégradés au niveau de la Grèce. Ca serait une catastrophe." Mais ces agences n'ont-elles justement pas envie de se payer la zone euro, interroge Anne-Sophie ? Canfin, pourtant à l'initiative de nombre des tentatives européennes de régulation du secteur financier, n'y croit pas. (acte 4)

Officiellement, les agences sont "apolitiques". C'est du moins  ce que déclare Carole Sirou, la dirigeante de Standard & Poor's pour l'Europe francophone. Pourtant, quand Jean-Michel Six, son chef économiste, se déplace sur un plateau, il n'hésite pas à défendre sa vision du monde, clairement libérale. Daniel en est "stupéfait" : "J'ai l'impression d'entendre parler un homme politique ou un éditorialiste ! Ils font une erreur de communication majeure..." Gaillard convient qu'il y a "un vrai problème" si ce genre de propos est tenu publiquement.

Après cette plongée dans le capitalisme débridé, arrêtons-nous, avec Maja, dans un "paradis" socialiste, celui de la Corée du Nord. Notre journaliste  est allée interroger, Skype à l'appui, Philippe Mesmer, correspondant à Tokyo du Monde et de L'Express : quelles sont ses sources sur l'un des pays les plus fermés du monde, qui vient de perdre son dirigeant ? (acte 5)

Vous pouvez aussi utiliser le découpage en actes.
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Acte 1

Acte 2

Acte 3

Acte 4

Acte 5

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