Khalil Habash
New Socialiste
« Un, un, un, le peuple syrien ne fait qu'un »
« Le peuple veut le renversement du régime »
« Nous sommes tous des Syriens, nous sommes unis »
« Non au sectarisme »
Le mouvement populaire syrien connaît une mobilisation croissante depuis ces dernières semaines - la plus grande depuis l'été dernier en dépit d'une répression violente, comme on l'a vu lors de l'attaque contre Homs, ce vendredi 3 février, avec 300 martyrs en une seule nuit.
Les défections dans l'armée se produisent à une échelle de plus en plus importante, renforçant les rangs de l'Armée syrienne libre (ASL). Dix mois après le début de la révolution - et malgré ses 6000 martyrs - le mouvement populaire se poursuit, même s'il existe de profondes divisions politiques au sein de l'opposition.
La tentative de fédérer l'opposition a échoué après que le Conseil national syrien (CNS) se soit retiré. Ceci quelques jours après la signature d'un accord avec le Comité national de coordination pour un changement démocratique (CNCCD) sur un programme politique commun refusant une intervention militaire occidentale en Syrie. Beaucoup au sein du CNS, spécialement les libéraux et les Frères musulmans, ont rejeté cet accord parce qu'il s'opposait à toute intervention militaire étrangère.
Tant le CNS que le CNCCD ont été critiqués par des Syriens en raison de leurs attaques réciproques incessantes - et pour être plus intéressés à prendre le pouvoir qu'à soutenir concrètement, sur le terrain, le combat du mouvement populaire.
Un certain nombre d'autres problèmes peuvent être reliés à ces deux groupes. Le CNS est un groupe en exil d'opposants au régime, il est dominé par des partis politiques, notamment les Frères musulmans et les libéraux, liés à l'impérialisme occidental et à ses clients dans le Golfe. Le CNS a appelé à plusieurs reprises à une intervention militaire étrangère en Syrie. Il a également répondu favorablement aux exigences des impérialistes occidentaux en déclarant qu'une Syrie post-Assad réduirait ses liens avec l'Iran et mettrait un terme à l'alliance militaire de la Syrie avec le Hamas et le Hezbollah.
Selon le CNS, la Syrie devrait avoir une relation plus étroite avec les pays du Golfe, alliés des puissances occidentales, et ne négocier que pour reprendre le plateau du Golan à Israël. Le CNS s'est évertué à assurer aux puissances occidentales qu'il était déterminé à servir leurs intérêts politiques, en opposition totale avec les intérêts du peuple syrien, plutôt que de renforcer le mouvement populaire à l'intérieur du pays.
Le CNCCD est un groupe de l'intérieur du pays qui rassemble des nationalistes, des gens de gauche et des Kurdes. Il s'oppose à toute intervention militaire étrangère, y voyant une tentative de manipulation de la révolution. Le CNCCD ne veut pas que la Syrie « devienne la victime d'une guerre par procuration » comme il le dit, en se référant à la rivalité régionale entre les États du Golfe et l'Iran.
Il a néanmoins perdu de sa popularité dans le peuple syrien en n'exigeant pas, jusqu'à récemment, le renversement du régime - il prônait à la place le « dialogue » avec les éléments dits « modérés » du régime. Le CNCCD appelait à un transfert progressif, programmé, du pouvoir.
Pourquoi s'opposer à une intervention militaire étrangère ?
Le débat sur une intervention militaire étrangère tourne moins autour de sa possible exécution dans un avenir proche que de la capacité de l'opposition syrienne à protéger le processus révolutionnaire dans le pays contre les impérialistes. Ces derniers, en dépit de leurs déclarations en faveur du peuple syrien, ne cherchent qu'à promouvoir leurs intérêts et non ceux de la révolution et du mouvement populaire syrien.
Quelles seraient les conséquences d'une intervention militaire étrangère ? Regardez donc en Iraq et en Afghanistan, les deux n'ont ni démocratie, ni justice sociale, ni stabilité. La catastrophe humaine en cours dans les deux pays est indescriptible.
L'expérience libyenne a également montré comment une intervention militaire étrangère peut être destructrice. Le nombre de morts en Libye au moment de l'intervention de l'OTAN montait peut-être à 1000 ou 2000 (selon les estimations des Nations-Unies). Huit mois plus tard, ce nombre doit probablement être multiplié par dix. Les estimations sur le nombre de morts au cours de ces huit derniers mois - alors que les dirigeants de l'OTAN ont mis leurs veto aux cessez-le-feu et aux négociations - vont de 10 000 à 50 000 morts. Le Conseil national provisoire chiffre à 30 000 le nombre de morts et celui des blessés à 50 000. L'instabilité en Libye est aussi un résultat de cette intervention étrangère.
Une intervention militaire étrangère menacerait de mettre la Syrie sous occupation pour des années. Encore une fois, nous pouvons nous référer aux cas de l'Iraq et de l'Afghanistan, où les forces U.S. sont toujours sur place. En Libye, les nouvelles autorités ont demandé aux forces de l'OTAN de rester dans le pays.
Le peuple syrien ne veut pas remplacer un régime autoritaire par une occupation étrangère, et cela est également vrai pour tous ceux qui luttent dans toute la région. Aucun pays impérialiste ne les protégerait ou n'apporterait la démocratie et la justice sociale qu'ils désirent.
Pourquoi soutenir le mouvement populaire et la révolution en Syrie ?
Le mouvement populaire syrien a été un mouvement national principalement pacifique, exigeant la dignité, la liberté, la justice sociale, des débouchés économiques et une réforme politique. Les principaux slogans des manifestants sont « Un, un, un, le peuple syrien ne fait qu'un », et aussi, « Le peuple veut le renversement du régime ».
Malgré une militarisation montante d'une partie de la révolution syrienne, la lutte est restée jusqu'à présent essentiellement dans sa nature civile, utilisant les grèves et les manifestations. Les principaux groupes d'opposition de l'intérieur du pays ont en effet refusé d'appeler à une militarisation générale de la révolution. Ils ont pour autant salué le rôle de l'ASL dans la défense des manifestations pacifiques contre les agressions des forces du régime.
Par exemple, la « grève de la dignité » et la campagne de désobéissance civile, lancées les 11 et 8 décembre 2011, ont été des succès. Il y a eu des manifestations massives dans tout le pays, et au moins quatre zones de Damas et deux d'Alep ont été occupées, pour la première fois, par d'importants groupes de manifestants. Les Comités locaux de coordination (CLC) ont affirmé que 150 000 personnes avaient chanté devant des moniteurs dans la capitale, sous la surveillance des forces de sécurité. Des grèves ont eu lieu dans les villes à travers tout le pays, pendant qu'avaient lieu dans les universités toujours plus de manifestations. Le CLC a recensé 461 manifestations le 6 janvier. Récemment, Alep et Damas ont connu un nombre croissant de manifestations.
L'opposition syrienne a en permanence présenté un front uni face à la menace d'une guerre civile et sectaire. Des slogans comme « Nous sommes tous des Syriens, nous sommes unis » ont été répétés sans cesse. Dans de nombreuses manifestations, nous avons vu des banderoles disant « Non au sectarisme ». Il s'agit d'une insurrection populaire et nationale, qui rassemble toutes les communautés de Syrie.
Les mythes du régime syrien
En plus d'être totalement antidémocratique, la Syrie est aussi loin d'être un État anti-impérialiste luttant contre les États-Unis et Israël, comme le prétendent ses dirigeants.
La Syrie a évité une confrontation directe avec Israël pendant près de quatre décennies, malgré son soutien calculé aux groupes de résistances palestiniens et libanais. A l'exception de certaines batailles aériennes en 1982, Israël et la Syrie n'ont pas été en conflit armé depuis 1973. La Syrie n'a même pas répondu aux agressions directes sur son sol largement attribuées à Israël, notamment à l'attaque aérienne en 2007 sur un soi-disant réacteur nucléaire et à l'assassinat d'une haute personnalité de la résistance libanaise, Imad Moghniye, en 2008. Durant la guerre du Liban en 2006, pas une balle n'a été tirée depuis le territoire syrien.
La Syrie s'est lancée dans bien des cycles de pourparlers de paix. Ces pourparlers n'ont d'abord abouti à aucun accord, mais en plus leurs échecs répétés ont conduit au pire, à un refroidissement permanent. Selon des spécialistes israéliens, une instabilité ou un changement de régime en Syrie pourraient remettre en cause cet arrangement si longtemps prolongé. Des officiels syriens ont déclaré à multiples reprises leur volonté de signer un accord de paix avec Israël aussitôt qu'il aura été mis fin à son occupation du Golan, sans rien ajouter sur les questions plus larges concernant les Palestiniens. Rami Makhlouf, cousin du président Bashar Al-Assad, a déclaré en juin 2011 que s'il n'y a pas de stabilité en Syrie, il n'y aura pas non plus de stabilité en Israël, ajoutant que nul ne pouvait jurer de ce qui se passerait si quelque chose arrive au régime syrien.
Nous ne devrions pas oublier ce qu'a été le régime du père de Bashar, Hafez Al-Assad, qui écrasa les mouvements palestiniens et progressistes au Liban en 1976, mettant fin à leur révolution. Ce régime a participé aussi à la guerre impérialiste contre l'Iraq en 1991 dans la coalition dirigée par les États-Unis. Pendant les trente années passées, le régime syrien a arrêté quiconque dans le pays tentait de développer la résistance pour la libération du Golan et de la Palestine.
Les réfugiés palestiniens en Syrie sont de plus en plus nombreux à participer à la révolution avec leurs frères et sœurs syriens. Ils ont souffert de la répression du régime, avec plus de 40 martyrs et des centaines d'arrestations par les forces de sécurité.
C'est le peuple syrien qui a fait pression sur le régime pour soutenir la résistance dans le passé. C'est la population syrienne qui a accueilli les réfugiés palestiniens, libanais et irakiens quand leurs pays ont été attaqués et occupés par les puissances impérialistes. Une victoire de la révolution syrienne ouvrira un nouveau front de résistance contre les puissances impérialistes, alors que sa défaite les renforcera.
Cependant, cette situation pourrait changer très vite si les puissances impériales en arrivaient à penser que le risque encouru par un renversement du régime syrien se réduisait. Le problème avec une partie de l'opposition demandant l'aide de l'OTAN, c'est que c'est précisément le genre de changement qui ferait croire aux forces de l'OTAN qu'elles peuvent miser avec succès sur un renversement du régime.
Certains qui s'affirment comme soi-disant anti-impérialistes en Syrie se sont aussi compromis avec sa politique économique de plus en plus néolibérale. Ils ont cru en des investissements étrangers venant des pays du Golfe, comme l'Arabie saoudite, et dans l'abandon d'une politique sociale, notamment par la suppression progressive des subventions des prix, ce qui a conduit à l'augmentation des inégalités sociales et de la pauvreté.
La mise en œuvre de la politique de libéralisation économique a commencé au début des années quatre-vingt-dix, et s'est accélérée avec l'arrivée au pouvoir de Bashar Al-Assad en 2000. Elle n'a été bénéfique ni à l'économie du pays, ni à la société dans son ensemble. Au contraire, elle n'a fait que profiter à une petite oligarchie et à quelques-uns de ses partisans.
Aujourd'hui, l'insurrection populaire syrienne scelle l'échec du projet du régime. Le régime du parti Baas a été populaire il y a trente ans, quand il offrait une avancée sociale aux populations des zones rurales et aux minorités religieuses. Maintenant, le parti Baas n'est plus qu'une coquille vide. Les soulèvements à Deraa de même que dans les autres zones rurales, bastions historiques du parti Baas et du régime, qui n'avaient pas participé aux insurrections des années quatre-vingt, sont la démonstration de cet échec.
Le régime est en réalité la force qui a favorisé les divisions sectaires. Il a monté son armée sur des critères sectaires pour s'assurer sa loyauté. Alors que dans leur majorité, les soldats du contingent sont des musulmans sunnites, reflet de la population, le corps des officiers est à dominante alaouite.
Néanmoins, ce régime est avant tout un régime clientéliste qui - au-delà de l'appareil des services de sécurité - trouve un soutien chez les capitalistes à dominante sunnites et chrétiennes, à Alep et Damas, qui ont profité de la politique néolibérale des dernières années. Le régime s'est construit un réseau de fidèles avec des individus de différentes communautés au moyen de différents liens, principalement économiques. La politique du régime n'a vraiment bénéficié qu'à une petite oligarchie, et à quelques-uns de ses clients.
La marche à suivre
Les groupes locaux et les comités de coordination sont la forme organisationnelle directe efficace pour la révolution. Les groupes politiques doivent les soutenir et œuvrer à coordonner une stratégie révolutionnaire claire et unitaire. A partir de là, nous pourrons construire une coalition révolutionnaire rassemblant un soutien majoritaire.
Le mouvement populaire a réuni les différentes parties de la société et spécialement les opprimés de toutes les tendances religieuses qui ont souffert de la politique autoritaire et néolibérale de ce régime clientéliste et criminel. Le peuple syrien ne reculera pas, et il ne s'arrêtera pas tant que le régime n'aura pas été renversé :
la victoire pour la révolution,
et la miséricorde pour nos martyrs !
Khalil Habash, socialiste révolutionnaire d'origine syrienne, milite avec le groupe de la gauche révolutionnaire syrienne Yassar Thawri.
De cet auteur sur "Presse-toi à gauche" (Québec) :
SYRIE : LA LUTTE NE S'ARRETERA PAS ! - 17 janvier 2012
SYRIE : « NOUS NE NOUS AGENOUILLERONS PAS ! » - 30 août 2011
SYRIE : LA LUTTE CONTINUE - 2 août 2011