15/02/2012 greekcrisisnow.blogspot.com  13min #63655

 Grèce : 25.000 manifestants devant le Parlement, premiers incidents

Athènes - Cs 199

A vendre - Grèce centrale - 12/02/2012

Retour sur Athènes. Retrouvailles sous le signe de la grande fatigue partagée. Les badauds se précipitent devant les débris encore fumants lundi après-midi. La catastrophe dans toute sa pédagogie. Certains incendies ne sont pas encore complètement éteints douze heures après. Impressionnant, choquant et surtout triste. Un homme la cinquantaine commente à haute voix devant le cinéma ravagé par les flammes : « Toujours les mêmes, les anarchistes, ceux qui ne respectent rien, ils faut de l'ordre enfin ». Aussitôt, un autre homme du même âge, laisse exploser sa colère : « Tout cela c'était bien calculé par tes amis au pouvoir, PASOK [P.S.], la droite et les banques, va voter ton PASOK la prochaine fois, le temps où on nous prenait pour des c... c'est terminé, on a pigé ».

A proximité de ce cinéma, se trouve un bâtiment ayant servi au Front National de Libération (EAM), (1941-1944). Deux autres hommes, assez âgés, s'arrêtent devant : « Oui c'était ici, je voulais te le montrer, tu vois en effet, les époques ne font que tourner, et sans cesse ».

Athènes - 13/02/2012

Je le ressens aussi cet après-midi, rue du Stade, à propos des époques, oui, elles savent tourner ces époques. Ainsi il y a un avant et un après dimanche, 12 février, comme une rupture. Et il y a aussi un bilan, toujours provisoire aux yeux de l'histoire. D'abord je pense que nous nous souviendrons de l'adoption du Mémorandum II, par ces 199 voix pour (sur 300), au « Parlement ». Aussitôt, 22 députés du PASOK (P.S.) ont été exclus du parti, même sanction pour les 21 députés rebelles de Nouvelle Démocratie (droite), leur péché, avoir dit non au Mémorandum. Le chef du LAOS, Karatzaferis (extrême droite) a pareillement rayé de ses listes, deux députés mais ici le schéma fut renversé. Karatzaferis ayant fait volte-face se déclarant hostile au Mémorandum II, la dernière minute. La bancocratie s'installe, le pays est donc livré clés en main aux concessionnaires... de marque, et les historiens du futur évoqueront le « vote des 199 le 12 février 2012» comme on évoque par exemple le « vote des pleins pouvoirs le 10 juillet 1940 ».

L'événement majeur, fut la manifestation très massive, place de la Constitution, étouffée par un usage alors sans précédent, de produits chimiques par la police dite anti-emeute, s'attaquant aux citoyens qui manifestaient. En simultané enfin, une attaque en règle et organisée, d'un nombre assez important d'individus cagoulés, 2000 au moins selon la presse, et l'embrasement d'une partie du centre historique d'Athènes suivi de pillages. Les pilleurs exigeaient alors parfois de certains propriétaires, une rançon, pour ainsi épargner leurs établissements. Nous y reviendrons sur les « casseurs » ou casseurs, c'est selon, mais en tout cas, le caractère organisé de leurs « exploits », ne fait aucun doute, à la jonction des différentes facettes justement de notre crise. Pour ce qui est de cette organisation (partielle en tout cas), tout le monde tombe d'accord, les mouvements et partis qui avaient appelé à manifester, et la Police elle même. « La direction de la police, a déclaré qu'il y avait 2000 individus organisés, lesquels se sont introduits au sein de la manifestation, pour ensuite se diviser en entités plus petites et ainsi mettre le feu à travers la vile », « le chef de la police vient de confirmer cette thèse, à savoir que les individus cagoulés ont pu agir suivant un plan bien précis et élaboré » (quotidien Kathimerini, 14/02/2012 et bulletins radiophoniques du mardi 14/02/2012).

Cargo en flammes - île de Lemnos mer Égée - 12/02/2012

L'Union Syndicale de la Police (POESY) quant à elle, elle se déclare outrée et préoccupée par les catastrophes du dimanche : «Pitié, nous en avons assez des larmes de crocodile. Notre mouvement syndical, condamne la violence d'hier au centre d'Athènes, et aussi ailleurs en Grèce. Le résultat était d'empêcher les centaines de milliers de citoyens, dans leur volonté d'exprimer pacifiquement leur opposition radicale contre les mesures ignobles, légiférées alors par les « troïkans » (sic), ces maîtres-chanteurs et « fossoyeurs » des rêves de notre peuple. Encore une fois, nous avons constaté que la colère citoyenne se focalisait sur les forces de la Police, sans que les responsabilités chroniques de l'État, des gouvernements, des partis, des syndicats et de la société soient évoquées. Ainsi durant toutes ces dernières années ces porteurs de la violence ont été tolérés, au lieu de les isoler comme il le fallait (...) le tout, dans l'indifférence devant les dizaines de blessés et parfois morts, policiers et citoyens (...) Encore hier malheureusement, nous avons été les témoins de la facilité par laquelle les «cagoulés » ont pu agir sans en être empêchés, en plus, se mêlant aux milliers de citoyens qui protestait pacifiquement. Les lieux de rassemblement de ces individus ainsi que leurs « points d'attaque », sont alors connus depuis plusieurs jours, n'ont pas été contrôlés. (...) Pourquoi les responsabilités de toutes les parties impliquées ne sont pas prises, et ainsi la Police grecque et ses agents deviennent continuellement les victime expiatoires de ceux qui inventent et exécutent ces plans qui minent nos institutions démocratiques. Nous appelons enfin le gouvernement, à cesser d'utiliser la force répressive contre les luttes populaires (...) ».

Notre bonne vieille librairie francophone - Athènes 13/02/2012

Pour les partis de gauche (SYRIZA et KKE - P.C. grec), c'est clair, « ils s'agit d'un plan de l'État en cours d'exécution, ayant comme but de terroriser et de réprimer le peuple (...) il s'agit de ces mécanismes qui incendient des bâtiments pour faire admettre toute la scénographie de la catastrophe, alors infligée au peuple par le Mémorandum II. Nous avons donc vu que les MAT (CRS) et les « porteurs de cagoules » ont alors oeuvré de concert, afin de briser les manifestations du peuple, alors très massives (...) » (déclaration officielle du P.C. - 13/02/2012).

Certains éditorialistes à la radio ne disent pas autre chose. Parmi eux, Georges Trangas sur Real-Fm, il est de droite mais en rupture vis à vis du parti de Nea Dimokratia (la droite de Antonis Samaras), et il se montre très virulent (zone matinale du 14/02/2012) : « C'est évidement un coup monté de la part du para-État. Les Papadémiens ont voulu imposer la loi de la cagoule, la police a voulu d'abord protéger le Parlement, suivant le raisonnement suivant, laissons Athènes brûler tant que rien n'arrive aux députés, entravant éventuellement la marche du Mémorandum II. Certains à la police prétendent ne pas avoir des informations sur les plan des cagoulés, eh bien c'est faux. Par mes amis dans la Police je sais que des appels interceptés entre certains individus se trouvant dans la manifestation et les « bataillons de cagoulés - incendiaires » en vue de coordonner l'opération, donc on sait que ces gens sont des pions du système bipartite ayant comme but de rependre la peur à monsieur tout le monde. Ces individus, n'ont rien à voir avec la gauche, ni avec tous les autres citoyens de gauche, de droite ou de rien du tout, qui tout simplement participent au front anti- Mémorandum (...)».

Athènes - 13/02/2012

J'ai rencontré certains de mes amis ayant vécu la manifestation du dimanche. Tel Dimitri, portant une petite blessure à sa tête. « T'a été frappé par les policiers ? ». « Ah,non, mais je suis tombé par terre au moment où une grenade policière a explosé très près de moi. C'est de la nouvelle chimie, je t'assure, rien à voir avec ce que nous avions vécu ensemble durant toutes le manifestations de l'été dernier. Je ne me suis jamais senti dans un tel état. Je n'arrivais pas à déterminer dans quel type de choc je me trouvais. [Dimitri est médecin]. Je ne sais pas combien d'instants je me trouvais ainsi gisant par terre, c'est en tombant que je me suis blessé. J'ai commencé à retrouver mes esprits pendant que deux autres manifestants, un homme et une femme, un couple de médecins comme j'ai compris par la suite, m'ont mis à l'abri, abrité ainsi devant le porche d'une boutique rue Hermès, hier c'était l'enfer ».

Hier lundi, l'ordre des médecins à Athènes, par la voix de son président Georges Patoulis, a demandé l'intervention de la justice, « car la santé d'un grand nombre de citoyens a été directement et délibérément mise en péril, par l'usage de produits chimiques, étant à l'origine des brulures dangereuses et des problèmes respiratoires, susceptibles à entrainer des pathologies chroniques. Le centre d'Athènes fut ainsi transformé en chambre à gaz (sic). Nous saisissons alors la justice, afin de déterminer si la composante CS, classé arme chimique, fut incluse dans l'arsenal de la police ».

Dimitri n'a plus de doute sur le déroulement des faits. « Je suis arrivé sur la place relativement tard. Venant par la rue de la Métropole [reliant la place de la Constitution et le quartier de Monastiraki], la police ne nous laissait pas avancer, les casseurs étaient déjà là, nous avons l'habitude ils sont reconnaissables, certains manifestants se joignaient à eux, mais j'insiste, le but principal de la police était de nous éloigner de la place avant et durant le vote des députés. C'est la première fois que je voyais ceci, nous avons tenté et repris la place au moins dix fois sous un déluge chimique, tu te souviens, durant l'été, au bout de deux à trois fois on abandonnait. Puis, nous avons compris que les cagoules, certes mélangées à de manifestants en colère, font partie d'un plan. En tout cas, la police s'acharnait sur nous... L'autre nouveauté tient du langage utilisé. Au lieu des insultes habituelles à l'encontre des flics, on leur criait « traîtres », je pense qu'ils ne sont pas insensibles, si il sont Grecs en tout cas, car selon la dernière rumeur, certains policiers n'utilisaient pas le grec entre eux, mais je ne suis pas en mesure de le confirmer. En partant du... champ de bataille, traversant Athènes en flammes, nous avons alors crié, nous reviendrons, tu vois, de toute façon pour moi c'est clair, il y a un avant et un après. Moi j'ai toujours été un centriste, mais je sens qu'actuellement être centriste c'est comme on disait avant communiste on va vers la gauche, inimaginable avant ».

Cinéma... Athènes 23/02/2013

Dans la soirée, une autre facette des événements m'a été conté, par un ami chômeur, militant au sein d'un parti de gauche, Th., qui n'est pas à sa première manifestation.

« Nous étions sur la place parmi les premiers et assez proche du cordon des policiers. Très tôt, mais vraiment très tôt, pendant que les gens arrivaient encore par milliers, précisément au moment où Mikis Theodorakis et Manolis Glezos étaient là. Il y a eu un jet d'oranges et d'une bouteille sur les policiers, et rien de plus grave, et ceci a été alors le prétexte de l'attaque que nous avons reçu. Une attaque sans commune mesure avec le passé. Je suis un habitué des manifestations, la police nous empêchait dans chaque tentative à reprendre la place, nous avons été poursuivis et tabassés par les policiers des brigades [CRS] durant deux heures, nous, puis les autres membres des partis et organisations de gauche, y compris ceux du P.C. lesquels finalement n'ont pas eu le temps d'atteindre la place de la Constitution et ainsi rejoindre les autres manifestants. Nous avons eu peur que Mikis Theodorakis et Manolis Glezos succombent. Au même moment, les cagoulés ont commencé. Il y a eu aussi des manifestants qui attaquèrent alors les policiers, c'est normal dans ces cas précis. Ce que je retiens, ce n'est pas la provocation, issue des casseurs avec la complicité apparente de la police, car elle « s'occupait » davantage de nous que d'eux, mais finalement le timing. Car bien beaucoup plus tôt que par le passé, les donneurs d'ordre ont voulu briser la manifestation à son début, faire peur aux gens, nous dissuader de toute action ».

Petites histoires emboitées dans la grande en gestation. Et beaucoup de rumeurs. J'ai reçu des messages, y compris depuis la France sur le fait que des gens ayant manifesté dimanche à Syntagma ont déclaré avoir remarqué avec étonnement que certains policiers ne parlaient pas le grec. Alors des préparatifs ou des prémices de l'intervention de l'EUROGENDFOR ? La force européenne spéciale, en Grèce, car la crise économique accompagnée d'une agitation sociale donnera à Bruxelles l'occasion de tester la capacité de réponse du groupe secret qui a été créé pour lutter contre les troubles et les soulèvement populaires en Europe. Eh bien, cette rumeur circule depuis des mois déjà en Grèce, et on sait que du temps du gouvernement Papandréou, un campement lui était destiné à proximité de la vile de Larissa (centre du pays), informations alors issues de la presse écrite. Les journaux avait mentionné des informations selon lesquelles, cette unité avait en partie débarqué en Grèce en Octobre 2011 en provenance d'Italie, et par voie maritime, utilisant les liaisons maritimes entre les deux pays. Le gouvernement avait alors démenti. Mais sur la présence effective de cette... « unité-cadeau » de l'U.E., je n'ai pas d'information précise. Seulement, l'avenir court parfois plus vite que les rumeurs.

La stratégie du choc devient-elle également celle du chaos ? Instaurer de nouveau la peur par des déclarations du genre « sans le Mémorandum II la Grèce restera sans médicaments et sans hôpitaux, les retraités sans pensions, les enfants vont faire la queue à la soupe populaire » (Papadémos, Papandreou, Samaras), sauf que nous y sommes. Ensuite il fallait briser la manifestation et les manifestants sur la place, (laisser) faire brûler une partie du centre ville et ainsi annuler médiatiquement la portée du vote, ralentir le processus de sortie du choc, entamé par la société grecque depuis quelques semaines, après deux années pratiquement de... Mémorandisme.

Faisant un tour au centre ville, j'ai vu de près effectivement, les bâtiments ravagés par le feu, et cet... arôme chimique encore dans l'atmosphère et sur les lieux, très gênant, dont les effets se faisaient encore sentir. J'ai vécu une variante moins élaborée de ce même plan directement, lors des manifestations de l'été 2011. Évidement la violence est dans l'air. Les bandes de pillards existent, le mélange des genres fait partie de la pire cuisine du bistrot de la crise. Beaucoup de gens passent aussi à l'acte, surtout lorsqu'il s'agit de saccager les locaux politiques des élus Mémorendiens, un appel du genre parait-il circule sur Facebook encore ce mardi. Je sais que notre dignité est blessée, ainsi nombreux sont ceux qui désirent incendier le Parlement, voir les députés et ministres en prison, pour ne pas dire leur infliger la peine capitale pour trahison. Car la « trahison » devient aussi un terme d'époque. Il y a aussi d'autres certainement, qui réagissant à la mécanique de la violence policière-étatique vont répliquer, si possible de la même façon.

Sauf que nous savons maintenant, que le mélange des genres entre toutes les colères, organisées, récupérées, spontanées ou pas, peut sous certaines conditions, arranger les metteurs en scène de la stratégie du choc. Aussi finalement et pour détourner le regard de la catastrophe qui constitue le Mémorandum II et ses conséquences, pour annuler si possible les effets et les images d'un grand rassemblement populaire, les télévisions par exemple, ont consacre plus de 40 minutes aux incidents et autres incendies et seulement cinq minutes sur les conséquences et suites du vote des 199.

En tout cas, le vrai séisme s'opère il me semble encore et déjà dans les représentations. Rupture, aussi à cause de l'adoption du Mémorandum II, rupture aussi parce que d'autres formes d'actions désormais, restent à déterminer. Entre hier et aujourd'hui les occupations des mairies et des administrations se sont multipliées à initiative surtout des comités locaux, dans les quartiers.

Nous savons que le processus en cours sera long, nous nous y préparons. Nos amis Espagnoles nous rappellent aujourd'hui que nous ne sommes pas les seuls à être dévorés par les « marchés ». Pendant qu'à Athènes on nettoie les graffitis sur les murs des banques au Kärcher, nos amis au reste de l'Europe et bien au-delà, s'organisent pour nous dire ce 18 février qu'ils sont alors tous Grecs. Merci.

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