Tout d'abord, il convient de rappeler et de garder à l'esprit que nous ne sommes plus qu'à trois mois de l'élection présidentielle américaine, qui opposera le président sortant Barack H. Obama au candidat Mitt W. Romney. L'élection est prévue pour le mardi 6 novembre 2012. Le rituel sacré de l'AIPAC et de la drague à l'électorat juif américain accomplis par les deux prétendants, c'est à celui qui criera le plus fort que le programme nucléaire iranien représente une menace existentielle pour l'État hébreu qui a le plus de chance de glaner le plus de voix sionistes.
En comparaison avec tout ce qui a été publié depuis 2005, l'on pourrait estimer que ces derniers jours ont connu leur quota respectif d'articles à propos de la crise iranienne et ses menaces de frappes préventives contre non pas l'Iran et le peuple iranien, mais les « les installations nucléaires et les objectifs militaires qui les protègent », comme nous l'avions vu le 7 août 2012 avec le développement de Dedefensa :
« Cet état d'esprit qui consiste à faire la guerre "en Iran" sans vraiment considérer l'Iran lui-même, et sans même considérer que cela concerne l'Iran, n'a jamais vraiment cessé. On le retrouve aujourd'hui, comme nous le signalions le 12 juillet 2012, puis d'une façon plus générale le 13 juillet 2012 : :«...Cela rejoint en un sens, nous voulons dire dans le sens de la tournure de l'esprit, tourné et retourné jusqu'à ressembler à une tournure qui serait un pentagone à trois côtés, aux remarques que nous retranscrivions le 12 juillet 2012, concernant la très prochaine probable-certaine attaque-par-surprise de l'Iran, dont on nous avertirait à l'avance et qui n'est d'ailleurs pas une attaque de l'Iran, il faut d'ores et déjà le savoir, mais une attaque de quelque chose de la sorte d'une "préoccupation globale" qui, par définition, puisque c'est "global", n'est pas du domaine de la souveraineté de l'Iran :
» "Nous donnerions à l'Iran l'avertissement que nous allons endommager et détruire probablement ses installations nucléaires. Ce n'est pas un acte de guerre contre l'Iran, le peuple iranien ou l'Islam. Il s'agit d'une attaque préemptive uniquement contre les installations nucléaires et les objectifs militaires qui les protègent. Nous allons prendre des mesures extraordinaires pour se protéger contre les dommages collatéraux." » »
Fuites involontaires ou volontaires ?
S'il fallait mettre un début à ce regain d'avertissements, ce serait probablement le dimanche 5 août avec la fuite dans la presse des plans de guerre américains. La source de la fuite serait, selon certaines rumeurs, Dan Shapiro, l'ambassadeur américain à Tel-Aviv. Des plans de guerre que nous allons développer en détail un peu plus bas.
Au lendemain de cette fuite, d'autres informations ont fuité comme le rapporte Barak Ravid, un proche du ministre à la Défense israélien Ehud Barak, du quotidien Haaretz sur son compte Twitter, « Information exclusive, un nouveau rapport des Renseignements révèle que le programme nucléaire militaire iranien avance plus vite qu'on le pensait auparavant. » Dans un second tweet, il déclarait que « Des diplomates occidentaux et des officiels israéliens disent que les Etats-Unis, la France, l'Allemagne, et Israël partagent une nouvelle information et sont d'accord quant à son interprétation. » Haaretz allait plus en profondeur avec cet article du mardi 7 août de Barak Ravid, auteur des tweets.
Mercredi 8 août, Barak Ravid déclarait, toujours sur son compte Twitter, « Exclusif : Obama reçoit le nouveau NIE, l'Iran fait des progrès surprenants vers une capacité nucléaire militaire. » Un second billet de l'auteur était publié le lendemain sur Haaretz.
Plus tard dans cette journée du 9 août, Barak Ravid rapportait à nouveau sur Twitter, « Le ministre de la Défense israélien Ehud Barak confirme mon article à propos d'un nouveau rapport des renseignements sur l'Iran, soumis au président Obama. » Un troisième article de Barak Ravid suivait sur Haaretz.
Ce nouveau rapport des renseignements américains est le NIE (National Intelligence Estimates) dont le précédent, datant de 2007, avait fait coulé beaucoup d'encre avait coulé, en concluant que l'Iran avait renoncé à construire une bombe en 2003 mais continuait à faire des recherches et que l'Iran ne serait probablement pas en mesure de construire une arme avant 2015.
Ouvrons une petite parenthèse avec cet article intitulé « Est-ce que le Mémo de Downing Street se reproduira pour l'Iran ? », publié le 26 juillet. Le 4 juillet de l'année 2012, préciser ici l'année étant important, l'actuel directeur du MI-6, Sir John Sawers, « informa un cercle restreint de hauts fonctionnaires britanniques que l'Iran n'est « plus qu'à deux années » de devenir une « puissance nucléaire ». [...] Depuis fin 2007, les 16 agences de renseignement américaines responsables d'évaluer l'état d'avancement du programme nucléaire iranien ont conclu à l'unanimité que l'Iran avait arrêté un possible programme d'armement nucléaire dès l'automne 2003 et que ce programme n'avait pas été réactivé à la mi-2007 (NIE de novembre 2007). Ces jugements ont été revalidés chaque année depuis, et en dépit des fortes pressions graduellement croissantes de la part d'Israël - pour qui la seule conclusion possible serait la confirmation de la menace iranienne - et de ses partisans néoconservateurs. » Si l'Iran n'est « plus qu'à deux années » de devenir une « puissance nucléaire », cela nous amène donc à 2014, en avance sur les probabilités du NIE de 2007.
Selon un article du 10 août de Dedefensa rapportant l'analyse de John Glaser sur Antiwar.com, le nouveau rapport NIE, c'est-à-dire de 2012, indiquerait donc « comme résultat que les Iraniens n'ont pas progressé dans la production effective de système nucléaires militaires, au contraire de ce qu'affirme la paire Netanyahou-Barak, en complet et habituel déni des informations disponibles à cet égard. Finalement, il apparaît possible que le nouveau NIE devrait être rendu public assez rapidement, par défaut dirait-on, pour couper court à ces polémiques avec utilisation de "fuites" diverses et manipulées à souhait. »
Toujours ce 10 août, nous avons également pu remarquer plusieurs articles (anodins ?) rapportant les propos d'un responsable du département d'Etat et annonçant que le Hezbollah « pourrait mener des attaques contre l'Europe », sans préciser exactement la nature de ces attaques. Les lecteurs devant se contenter d'imprécision, « Nous pensons que le Hezbollah pourrait mener des attaques en Europe ou ailleurs à tout moment et [...] sans aucune forme d'avertissement. Le Hezbollah et l'Iran vont tous deux maintenir une activité terroriste intense dans un futur proche. [...] Principale force du gouvernement libanais, le mouvement chiite dirigé par le cheikh Hassan Nasrallah et étroitement lié à l'Iran est engagée dans une intensification de sa campagne terroriste à travers le monde », a ajouté Daniel Benjamin, coordonnateur de la lutte anti-terroriste au département d'Etat.
Les médias de masse ont largement rapporté cette nouvelle ainsi qu'une probable et énième estimation de l'attaque israélienne contre l'Iran pour cet automne. Juste avant le mardi 6 novembre 2012 comme le développait Mark Weisbrot en février ?
Plans de guerre américains
Le 24 novembre 2011, nous avions publié « Israël a-t-il les moyens d'attaquer l'Iran ? » de Vincent Eiffling (Chroniques persanes) se penchant sur les moyens militaires à la disposition de Tsahal et de quelques questions portant sur les risques et les conséquences de ces frappes sur les installations nucléaires. Le 6 décembre 2011, nous vous proposions une analyse de ces « risques et conséquences régionales » du même auteur. Le 26 janvier 2012, nous publiions cette fois une approche des « options militaires des Etats-Unis » de Konstantin Bogdanov (RIA Novosti) avec les points communs avec les guerres de Yougoslavie et d'Irak et les conséquences.
La fuite, plus que probabalement volontaire, de l'ambassadeur Dan Shapiro, si c'est bel et bien lui la source de cette fuite, et rapportait dans la presse israélienne, donne d'avantage de détails sur les opérations conjointes d'Israël et des États-Unis, ainsi que sur le dispositif, les objectifs visés, les résultats escomptés et diverses conséquences si l'Iran n'obtempère pas. Il importe de préciser qu'il ne s'agit pas d'une action unilatérale d'Israël, mais que ces opérations intègrent les États-Unis comme l'un des agresseurs de l'Iran, violant ainsi le principe westphalien de non-recours à la force. Comme nous l'avons vu tout au long de ces mois de publications sur la crise iranienne, les États-Unis ne désirent pas entrer en conflit avec l'Iran mais favorisent les sanctions et une résolution diplomatique.
Ces détails ont un but précis, intimider une énième fois le régime des mollahs, et, éventuellement, désinformer l'appareil militaire iranien. Aucun ultimatum n'a encore été adressé à Téhéran pour qu'elle cesse d'enrichir de l'uranium. Ces détails sont un type de scénario réglé comme une horloge et faisant état d'une très grande puissance de feu écrasante américano-israélienne. Ce scénario ne se résume pas qu'à l'Iran car il concerne également le Liban où le Hezbollah pourrait attaquer Israël en représailles à l'attaque contre l'Iran. Une riposte de la Syrie, noyée dans une guerre civile, n'a pas été prise en compte dans ce scénario, ce qui ne signifie pas que la Syrie ne lancera pas de représailles à son tour. Il n'y a aucune mention non plus d'un éventuel blocage du détroit d'Ormuz de la part de l'Iran ou de frappes ciblant les bases militaires américaines dans la région ou les installations pétrolifères d'Arabie Saoudite, du Koweït et des Emirats Arabes Unis.
- Ces opérations conjointes débuteront par des tirs de missiles de croisière Tomahawk contre les défenses iraniennes. Ces premières frappes visent notamment la destruction des centres de commandement, de contrôle et de décision. Il existera une possibilité de destruction de certaines infrastructures critiques. Les frappes chirurgicales seraient menées à partir de plusieurs sites, entre autres l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, les forces navales de l'U.S. Navy en Méditerranée ainsi que celles placées en retrait du détroit d'Ormuz.
- Après les premières minutes de l'intervention contre les défenses, les aéronefs américains seront maîtres du ciel iranien. Viendra ensuite le lancement de l'attaque sur les installations nucléaires sur décision du président états-unien, Barack H. Obama ou Mitt W. Romney. Cette seconde phase sera lancée depuis 3 à 4 porte-avions de la Cinquième Flotte des États-Unis placés au large des côtes iraniennes. En matière d'effectifs aériens pour l'attaque (n'est donc pas compris le ravitaillement), cela équivaut à deux fois l'armée de l'air israélienne. L'opération sera menée suivant la doctrine de domination rapide « Choc et stupeur ». Il existe une possibilité d'interventions précises d'unités des forces spéciales sur le terrain (probablement avec désignateur au laser pour cibler un objectif et guider une bombe ou un missile).
- Pas d'escalade du conflit. En cas de représailles iraniennes, les ripostes seront lancées au cas par cas. En cas de réaction disproportionnée de l'Iran, il s'en suivra une destruction des installations du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (les Pasdarans) et de leur branche, la Force de Mobilisation de la Résistance (les Bassidjis), des symboles du régime et des frappes contre les installations militaires de l'armée régulière (l'Artesh).
- Des navires de guerre de la Sixième Flotte des États-Unis seront déployées sur les côtes libanaises pour tenir le Hezbollah en respect.
- Un ultimatum sera fixé à l'Iran après les premières frappes, c'est à dire l'arrêt définitif de l'enrichissement d'uranium sur le territoire iranien. Accompagnée par la fermeture des centres d'enrichissement et une proposition de nucléaire civil en échange. Quelques jours de réflexion seront accordés.
- En cas de refus, de nouvelles frappes chirurgicales de missiles de croisière Tomahawk sur différentes cibles militaires et utilisation de bombes anti-bunker Massive Ordnance Penetrator GBU-57A/B (MOP) par les bombardiers stratégiques.
- Aucune invasion terrestre.
Je précise, il s'agit ni plus ni moins que d'une fuite d'un scénario d'attaque contre les installations nucléaires de l'Iran et non pas des prémisses d'une hypothétique guerre mondiale. Ce qui ne veut pas dire que ce scénario, aussi plausible soit-il, ne fera pas éclater la Troisième Guerre mondiale, ou la quatrième en considérant la Guerre Froide comme la troisième. Loin de toute objectivité, et tout comme pour la Syrie, nous avons du mal à envisager la Russie et la Chine entrer en guerre contre les États-Unis pour la seule sauvegarde de leurs intérêts en Iran ou pour protéger la République islamique d'Iran, son régime ou son peuple. Mais face aux menaces US contre l'Iran, Chine et Russie désormais...
Bonus
Dans ce court métrage d'anticipation réalisé par Ronen Barany, la scène se déroule le samedi 23 février 2013 quelque part en Israël. L'Iran a lancé une attaque surprise. Un couple assez nerveux tente de fuir par l'autoroute. Des nuages de fumée sont filmées pendant qu'un message d'alerte est diffusé sur les ondes déclarant que les télécommunications sont tombées et le contact est perdu avec la ville de Haïfa ainsi que le sud du pays. Le gouverement a été conduit dans un lieu sûr. L'attaque surprise a pris de court l'État hébreu et tous les habitants lorsqu'un puissant flash survient. La panique s'intensifie. Le couple s'arrête au bord de l'autoroute où une femme tente de rassurer un enfant blessé. Un 4×4 amène un autre blessé avec un soldat de Tsahal. Des avions de chasse passent dans le ciel. Une base militaire est détruite lorsqu'une explosion nucléaire retentit.
Saïd Ahmiri