Mise à jour du 11/08/2012 : après les déclarations des autorités de l'état d'Israël parues dans le quotidien israélien Yediot Aharonot qui titre : "Netanyahu et Barak déterminés à attaquer l'Iran à l'automne", Washington a tenu à préciser que pour les États-Unis l'Iran n'était pas sur le point de construire une bombe atomique ("Iran was not yet on the verge of building a nuclear bomb") et, par la voix de son porte parole Jay Carney, a affirmé : "Je voudrais aussi dire que nous avons des yeux - nous surveillons de près le programme, et nous saurons si et quand l'Iran franchira ce qu'il est convenu d'appeler une étape décisive dans l'acquisition d'une arme" ("I would also say that we have eyes - we have visibility into the program, and we would know if and when Iran made what's called a breakout move towards acquiring a weapon").
Nous republions cet entretien entre Seymour Hersh et Amy Goodman paru en novembre 2011 où étaient mises en évidence les diverses manoeuvres menées pour attaquer l'Iran.
Alors que les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada ont prévu d'annoncer un ensemble coordonné de sanctions contre l'industrie iranienne du pétrole et de la pétrochimie aujourd'hui, Seymour Hersh, journaliste d'investigation de longue date, interroge le consensus croissant sur le supposé programme iranien d'armes nucléaires. La pression internationale sur l'Iran s'est accrue depuis que l'Agence internationale de l'énergie atomique des Nations Unies a révélé dans un rapport la « possible dimension militaire » des activités nucléaires de l'Iran, attestant d'une preuve « crédible » qui « indique que l'Iran a mené des activités pertinentes pour le développement d'un engin nucléaire explosif ». Dans son dernier article pour le blog du New Yorker, intitulé « L'Iran et l'AIEA », Hersh affirme que le récent rapport est un « document politique », et non une étude scientifique. « Ils [JSOC] n'ont rien trouvé. Rien. Pas de preuve d'un quelconque armement », dit Hersh. « En d'autres termes, aucune preuve de construction d'une bombe. Ils ont des installations pour enrichir, mais pas d'installations distinctes pour construire la bombe. C'est un fait brut. »
R. P.
[Cet article est la traduction de l'article « Seymour Hersh Propaganda Used Ahead of Iraq War Is Now Being Reused over Iran's Nuke Program » paru le 21 novembre 2011 sur le site democracynow.org.]
Amy Goodman : Aujourd'hui, les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada ont prévu d'annoncer un ensemble coordonné de sanctions contre l'Iran. ABC News et le Wall Street Journal indiquent que les sanctions viseront le pétrole de l'Iran et l'industrie pétrochimique. Le week-end dernier, le président Obama a averti que toutes les options n'avaient pas été mises sur la table.
Président Barack Obama : Les sanctions sont déjà très incisives et leur portée énorme, et nous construisons hors de la plateforme qui a déjà été établie. La question est de savoir s'il existe des mesures supplémentaires que nous pouvons prendre. Et nous allons explorer toutes les possibilités pour voir si nous pouvons résoudre ce problème diplomatiquement. Je l'ai dit à plusieurs reprises, et je vais le redire aujourd'hui, nous ne mettons pas toutes les options sur la table.
Amy Goodman : La pression internationale sur l'Iran s'est accrue depuis que l'Agence internationale de l'énergie atomique des Nations Unies a révélé dans un rapport la "possible dimension militaire" des activités nucléaires de l'Iran, attestant d'une preuve "crédible" qui "indique que l'Iran a mené des activités pertinentes pour le développement d'un engin nucléaire explosif ». L'AIEA a adopté une résolution exprimant vendredi, je cite, sa « préoccupation croissante » relative au programme nucléaire de l'Iran d'après les conclusions du rapport.
Le président du parlement iranien a déclaré hier que l'Iran réviserait ses relations avec l'AIEA après le rapport. Ali Larijani a indiqué qu'il pourrait être difficile pour l'Iran de continuer à coopérer avec l'organe de surveillance nucléaire.
Ali Larijani : [traduction] Si l'agence agit dans le cadre de la Charte, nous acceptons le fait d'être membre de celle-ci et assumons nos responsabilités. Mais si l'agence veut s'écarter de ses responsabilités, alors il ne faut pas s'attendre à la coopération de l'autre.
Amy Goodman : [Au Président du parlement iranien]. En attendant, certains Iraniens ont exprimé le souhait d'une coopération accrue avec l'AIEA.
Said Bahrami : [traduction] Compte tenu du fait que le gouvernement a apporté beaucoup de précisions, il serait mieux pour lui d'élargir sa coopération avec l'AIEA et de les laisser voir par eux-mêmes, de près, de telle façon qu'il n'y aurait aucun prétexte pour les superpuissances.
Amy Goodman : La semaine dernière, le Pentagone a confirmé qu'il avait reçu de nouvelles et puissantes bombes destructrices de bunker capables de détruire les sites souterrains, y compris les installations nucléaires iraniennes. Les bombes de 15 tonnes ont six fois la taille de l'actuel arsenal anti-bunker de la Force aérienne.
Les nouvelles sanctions contre l'Iran ont également suivi les allégations du mois dernier par les États-Unis selon lesquels des responsables iraniens avaient été impliqués dans un complot déjoué visant à tuer l'ambassadeur saoudien à Washington. On s'attend à ce que les Etats-Unis annoncent aujourd'hui que le secteur financier de l'Iran est « principalement une entreprise de blanchiment d'argent ». Cette phrase déclenche un article du Patriot Act des Etats-Unis qui prévient les entreprises européennes, asiatiques et latino-américaines, qu'elles pourraient être empêchés de faire des affaires avec les États-Unis si elles continuaient à travailler avec l'Iran.
Et bien, pour parler davantage des sanctions et des implications du rapport de l'AIEA, nous allons à Washington, DC, pour parler avec Seymour Hersh - journaliste lauréat du prix Pulitzer d'investigation. Il a fait des reportages sur l'Iran et la bombe durant la dernière décennie. Son dernier article est intitulé « L'Iran et l'AIEA ». Il est dans le New Yorker.
Bienvenue à Democracy Now ! Seymour. Dites-nous ce que l'on doit, selon vous, comprendre à ce qui se passe en Iran en ce moment à propos de son secteur de l'énergie nucléaire.
Seymour Hersh : Bon, en fait, l'article que vous mentionnez était sur le blogue. Pas dans le magazine, mais sur la page Web. [*]
Mais vous avez mentionné l'Irak. C'est le même genre - ou presque le même - je ne sais pas si vous voulez appeler cela une « psychose », mais c'est une sorte de pays imaginaire qu'on se construit ici, comme dans le cas de l'Irak, le même genre - aucune leçon apprise, évidemment. Tenez, j'ai fait des reportages sur l'Iran, et je pourrais vous dire que dès 2004, sous George Bush, et en particulier le vice-président, M. Cheney, nous étions - comprenez Cheney était particulièrement préoccupé par l'existence d'installations secrètes pour la construction d'une arme, ce qui est très différent de l'enrichissement. Il y a enrichissement en Iran. Ils l'ont reconnu. Ils ont des inspecteurs sur place. Il y a des caméras là-bas, etc. Et c'est tout : l'Iran est signataire du Traité de non-prolifération. Personne ne les accuse de tricher. En fait, le dernier rapport dont tout le monde s'est entiché dit aussi que, une fois encore, nous ne trouvons aucune preuve que l'Iran ait détourné de l'uranium du processus d'enrichissement. Et c'est un enrichissement, pour l'essentiel, à des niveaux très bas et à des fins pacifiques, disent-ils, à 3.8 pour cent. Et oui, il y a un petit pourcentage enrichi à 20 pour cent pour usage médical, mais c'est assez faible, et cela se passe également sous les caméras, sous les yeux de l'inspection.
Ce qui s'est passé à cette époque, en 2004, 2005, 2006, 2007, et même jusqu'à la fin de leur mandat, c'est que Cheney a continué à envoyer par le commandement interarmées des Forces d'opérations spéciales (les JSOC) des équipes en Iran. Ils travailleraient avec différents groupes dissidents - les Azéris, les Kurdes, même Jundallah, qui est une faction d'opposants sunnites très fanatiques - et feraient tout ce qu'ils peuvent pour essayer de trouver des preuves d'une installation souterraine illicite. Nous avons tout surveillé. Nous avons une surveillance incroyable. Par rapport à ce que nous faisions alors, nous pouvons même faire mieux maintenant. Et certaines choses sont très techniques, très classifiées, mais je peux vous le dire : il n'y a pas grand chose que vous puissiez faire en Iran en ce moment sans que nous le découvrions. Ils n'ont rien trouvé. Rien. Aucune preuve de la moindre militarisation. En d'autres termes, aucune preuve d'une installation pour la construction de la bombe. Ils ont des installations pour enrichir, mais pas des installations séparées pour construire une bombe. C'est simplement un fait. Nous n'avons rien trouvé, si cela existe. C'est toujours du fantasme. Nous voulons toujours penser - comme beaucoup de gens - que ces installations existent.
Dans les dernières semaines, le grand changement a été la sortie d'un nouveau rapport de l'AIEA. Et ce n'est pas un rapport scientifique, c'est un document politique. Il reprend beaucoup des vieilles allégations qui avaient été faites au fil des années, et qui ont été examinés par l'AIEA, sous le régime ou la direction de Mohamed El Baradei - l'Égyptien qui a dirigé l'AIEA pendant 12 ans, qui a gagné un prix Nobel de la Paix pour son travail - quelqu'un qui se méfiait beaucoup de l'Iran au début et qui fut de moins en moins méfiant au fur et à mesure que l'Iran s'ouvrait. Mais le nouveau directeur de l'AIEA, un fonctionnaire japonais nommé Amano, une sorte de fonctionnaire vieux jeu issu du parti de centre-droit au Japon, je suis sûr que c'est un gars honnête, il croit ce qu'il croit. Mais une série de documents Wikileak de l'ambassade américaine à Vienne, l'une des ambassades à Vienne, nous a appris quelle bonne nouvelle ce fut de placer Amano là. C'était l'année dernière. Ces documents ont été publiés par le groupe de Julian Assange et sont assez importants, car les documents disent que Amano a promis son allégeance à l'Amérique. Je comprends qu'il a été élu en tant que candidat marginal. Nous l'avons beaucoup soutenu. Six scrutins. Il était considéré comme faible par tout le monde, mais nous l'avons poussé dans le jeu. Nous l'avons mis en place. Il a répondu en nous remerciant et en disant qu'il partage nos points de vue. Il partage nos points de vue sur l'Iran. Fondamentalement, c'était juste une expression d'amour. Il va faire ce que nous voulions.
Rien de neuf dans ce nouveau rapport. Ce n'est pas moi qui parle. C'est dans l'article que j'ai fait pour le blogue du New Yorker, c'est différent dans le blogue parce qu'il y a plus du rapport dedans. J'ai parlé à d'anciens inspecteurs. Ce sont des voix différentes de celles qui s'expriment dans le New York Times et le Washington Post. Il y a d'autres personnes qui ne sont pas évoquées et qui sont beaucoup plus sceptiques sur ce rapport, et la couverture médiatique vous les cache, tout simplement. Donc ce que nous obtenons dans la presse dominante est une mince partie de l'analyse du rapport. Il s'agit d'une analyse totalement différente, et qui est très peu nouvelle.
Et la façon dont ça fonctionne, Amy, ce n'est pas clair : au fil des ans, un rapport sera affiché dans un journal londonien, dont les informations se révèlent être fausses, se révèlent être de la propagande, initiée par nous ou bien par une agence d'intelligence européenne. Tout cela s'est passé, si vous vous rappelez les trucs d'Ahmed Chalabi, pendant les préparatifs pour la guerre en [Irak], tous les propos, vous savez, les grands arsenaux qui existaient à l'intérieur de [l'Irak]. Le même genre de propagande est utilisée maintenant - excusez-moi, j'ai un léger frisson - que celle qui, au fil de la dernière décennie, s'est affichée dans divers journaux. L'AIEA le regarde, décide que ce n'est pas une fabrication, ou qu'on ne peut certainement pas soutenir que ça l'est au regard de tout ce qu'ils savent. Tous ces anciens rapports, à l'exception, dans une nouvelle étude que l'AIEA a sortie, de 30 ou 40 éléments anciens, et avec seulement trois éléments postérieurs à 2008, sont tous - de l'avis de nombreuses personnes à l'intérieur de l'AIEA - des fabrications peu fiables voire fausses. Voilà où nous en sommes.
Amy Goodman : Donc, Seymour Hersh, vous dites qu'il ne s'agit pas de nouvelles informations. Il s'agit d'un nouveau chef de l'AIEA qui fait la différence ici. Pouvez-vous parler davantage de l'infiltration américaine en l'Iran, de JSOC en Iran, de la surveillance, aussi, en Iran ?
Seymour Hersh : Bien sûr. Je veux dire, le genre de trucs qu'ils ont faits. Je pourrais vous raconter des trucs qui étaient secrets il y a huit, neuf ans. Nous pouvions - et en l'occurrence, nous l'avons fait - si nous soupçonnions l'existence d'une installation souterraine, où nous avons vu certains creuser, disons dans une zone de montagne, nous pouvions border la route - quand il y avait des camions qui montent et descendent la route - avec ce qui semblait être des cailloux. En fait, c'étaient des capteurs qui permettent de mesurer le poids des camions entrant et sortant. Si un camion entrait à vide et sortait chargé, on pouvait supposer qu'il sortait avec les déblais, donc qu'ils faisaient creuser. Nous avions ce type de surveillance.
Nous avons également mis toutes sortes de compteurs passifs pour les mesures de radioactivité. Pour l'uranium, le plutonium - ce qu'ils font surtout là-bas c'est de l'uranium enrichi. Ils ne fabriquent pas de plutonium. Mais vous pouvez le pister. À un certain point, il faut déplacer le plutonium. Dès que vous le sortez et commencez à le déplacer, vous pouvez le pister. Vous pouvez trouver des compteurs Geiger, si vous voulez utiliser cette ancienne appellation, vous pouvez mesurer la radioactivité et la voir augmenter. Si nous désirons aller dans un immeuble vérifier s'ils n'avaient pas procédé à quelque enrichissement dont nous n'aurions pas été avertis, alors nos troupes, parfois même avec les Américains, vont dans un immeuble de Téhéran où nous soupçonnons des activités louches, elles orchestrent une perturbation dans la rue, prélèvent quelques briques, vont vers une autre section faire cliqueter un compteur Geiger, par exemple, ou un appareil de mesure et procèdent à des contrôles.
Et nous avons aussi une incroyable compétence pour rechercher des aérations, et ce à partir de satellites. Si vous construisez une installation souterraine, il faut la ventiler. Il vous faut y faire entrer de l'air. Vous devez trouver un moyen pour éliminer l'air vicié et insuffler de l'air frais. Et nous avons des gars, dans la communauté, qui sont des experts, des gens formidables. Certains d'entre eux sont partis à la retraite et ont monté leur entreprise pour faire ça. Ils vérifient toute la surveillance aérienne pour trouver des aérations afin que nous puissions, avec insistance, mettre en évidence un dessin d'installation souterraine. Nada. Nous avons fait chou blanc.
Et le plus important, permettez-moi de le souligner - le nouveau rapport de l'AIEA et nous-mêmes le disons - est que si vous ne détournez pas d'uranium, si vous vous n'en subtilisez pas en contrebande en un lieu secret pour y fabriquer la bombe - ce sur quoi l'AIEA est absolument catégorique - tout ce qu'ils enrichissent, quel qu'en soit le pourcentage d'enrichissement est sous l'oeil des caméras et des inspections. Tout est visible, en vertu du traité - le traité de sauvegarde. Personne n'accuse l'Iran de violer le traité. Ils les accusent juste de trichoter, ou sur certains éléments de preuve qu'ils ont. Et il n'y a eu aucune preuve d'un détournement. Donc, si vous avez l'intention de faire une bombe, il va vous falloir en apporter les éléments depuis ailleurs. Et vu le type de surveillance que nous avons, cela va être difficile à faire, d'importer d'un pays tiers de l'uranium et de l'enrichir, ou directement de l'uranium enrichi. C'est un plan à grande échelle.
Et ce à quoi on assiste - comme je le disais, c'est à une sorte d'hystérie comparable à ce que nous avions à propos de l'Irak, mais cette fois pour l'Iran. Et ce n'est pas un plaidoyer pour l'Iran. Il y a beaucoup de choses contestables du côté des Iraniens, comme la manière dont ils traitent la dissidence, etc, etc. Donc, j'essaie juste de faire entendre ma voix dans le raffut actuel. Et en ce qui concerne les sanctions, excusez-moi de le dire, mais vous savez que cela fait 60 ans que nous sanctionnons Cuba, et Castro, tout malade qu'il soit, est toujours là. Les sanctions ne marcheront pas. L'Iran est un pays qui produit du pétrole et du gaz, de moins en moins, mais toujours en quantités importantes. Et ils ont des clients dans l'Extrême-Orient, les Iraniens. Ils ont des clients pour leur énergie. Nous sommes perdants dans cette affaire.
Amy Goodman : Comment jugez-vous l'administration Obama par rapport à l'administration Bush au sujet de l'Iran ?
Seymour Hersh : Je ne peux pas trouver une comparaison. Elle est pareille - elle est un peu moins belliqueuse, mais ça reste identique. Je pense et j'ai toute raison de croire que, contrairement à M. Bush, la perspective d'une attaque inquiète vraiment le président Obama. Il ne veut pas voir les Israéliens bombarder l'Iran. C'est le genre de propos que nous avons reçus dans la presse ces derniers temps.
Et il y a de nouveau, comme vous l'avez mentionné, les bombes de 15 tonnes construites par Boeing. Le problème est que la plupart des installations de l'Iran, celles que nous connaissons, les installations déclarées et sous inspection des caméras en un endroit appelé Natanz, sont à environ 23-24 mètres sous terre. Il faudrait un déluge de bombes pour leur causer de sérieux dommages. Vous pourriez certainement faire des dégâts, mais le coût au niveau international serait prodigieux. L'argument incitant à bombarder est vraiment vague et sans force. Certaines études - des études techniques, du MIT et d'autres lieux, et le gouvernement israélien a également impliqué ses scientifiques dans ces études - ont montré que ce serait vraiment difficile de faire des dégâts considérables, étant donné la profondeur des installations souterraines. Mais vous en entendez parler pourtant.
Et il y a ceci, jugez-en : ce président n'a rien dit sur les nouveaux événements de la place Tahrir. Nous sommes muets. Il est resté muet sur ce genre d'attitude belliqueuse. Mais je crois comprendre, du point de vue de l'information brute, qu'il comprend davantage les enjeux. Je pense qu'en ce moment il enfile le costume d'un dur dans le cirque politique. Vous le savez bien, tout le monde cherche à capter le vote indépendant. Je ne sais pas pourquoi cela semble si important d'aller chercher des gens incapables de décider s'ils sont démocrates ou républicains, mais ça semble le parti pris.
Amy Goodman : Bien, passons à la réponse d'Israël au rapport de l'AIEA. Hier, le ministre de la Défense israélien Ehud Barak a déclaré dans une interview à CNN que le temps était venu de traiter avec l'Iran. Lorsqu'on lui a demandé spécifiquement si Israël attaquerait l'Iran, voilà comment il a répondu :
Ehud Barak (Ministre de la défense) : Je ne pense pas que ce soit un sujet de discussion publique. Mais je peux vous dire que le rapport de l'AIEA en a fait réfléchir plus d'un dans le monde, dirigeants comme citoyens. Et les gens comprennent que le moment est venu. Amano dit sans détour ce qu'il a trouvé, contrairement à Baradei. Et c'est devenu un problème majeur qui, de façon urgente je pense, devient un enjeu majeur pour les sanctions, la diplomatie intensive. Les gens comprennent maintenant que l'Iran est déterminé à se doter d'armes nucléaires. Il n'y a aucune autre explication possible ou envisageable pour ce qu'ils ont réellement fait. Et qu'on doit arrêter.
Amy Goodman : C'était le ministre israélien de la Défense, Ehud Barak. Seymour, votre réponse ?
Seymour Hersh : Et bien, ce qui me rend nerveux c'est que Barak et Bibi, Bibi Netanyahou, vont de concert sur ce sujet. Sur la plupart des sujets ils ne sont pas d'accord. Là ils sont tous deux d'accord, et c'est inquiétant parce que, encore une fois, c'est un problème politique là-bas. Tout le monde en Israël - le pays entier - se déplace rapidement vers la droite. Et je peux juste vous dire que j'ai aussi parlé - malheureusement, les règles du jeu sont tellement nulles en Israël que je ne peux pas l'écrire - à des gens très haut placés dans le renseignement en Iran, en Israël, plutôt. Si vous remarquez, vous n'en entendez pas beaucoup parler, mais l'ancien chef du Mossad qu'il a quitté, Meir Dagan (c'est le gars qui a orchestré la tentative d'assassinat à Dubaï, etc., pas vraiment une colombe) a été véhément au sujet de la folie de s'en prendre à l'Iran, au motif qu'on n'est pas sûrs de ce qu'ils ont. Ils sont certainement loin d'avoir une bombe. Israël a affirmé durant 20 ans, vous le savez, qu'ils l'auraient dans les six mois cette bombe.
Mais je peux vous dire que j'ai parlé à des officiers supérieurs israéliens en Israël qui m'ont dit, Amy, qu'ils savaient que l'Iran, comme la communauté du renseignement américain l'a déclaré - je pense que c'était en 2007 - il y avait une évaluation du National Intelligence devenue publique qui disait, essentiellement, que l'Iran avait bien cherché à avoir une bombe. Ils avaient eu une guerre de huit ans avec l'Irak, une guerre terrible, de 1980 à 1988. Et nous, en l'occurrence, les Etats-Unis, étions du côté de l'Irak, celui de Saddam Hussein à cette époque. Alors l'Iran commença dans les années suivantes à s'inquiéter au sujet des déclarations de l'Irak relatives à la construction d'une arme nucléaire, de sorte qu'ils ont bien essayé, durant cette période, disons entre 87 et 97 de l'obtenir - mais en 2003, plus question. Le NIE [Évaluation du National Intelligence] américain l'a déclaré en 2007 - évaluation complétée en 2011. J'ai écrit à ce sujet il y a un an dans The New Yorker. L'évaluation a dit que oui, ils ont cherché à avoir une bombe, mais ils savaient qu'ils ne pouvaient l'avoir, et qu'en aucune façon ils ne pouvaient faire une bombe dissuasive envers l'Amérique ou Israël. Ils ne sont pas stupides. Cette société perse a quelques milliers années d'existence. Ils ne peuvent pas nous décourager. Nous avons trop de bombes. Ils pensaient peut-être qu'ils pourraient dissuader l'Irak. Après notre invasion de l'Irak et notre victoire en 2003, ils se sont arrêtés. Ils avaient fait quelques études. Nous parlons de modélisation informatique, etc., pas de construction. Cela ne fait aucun doute qu'ils ont réfléchi comment obtenir une bombe ou comment être en mesure d'en construire une. Cela, ils l'ont fait, mais ils se sont arrêtés en 2003.
C'est encore le consensus américain. Les Israéliens vous diront en privé, « Oui, nous sommes d'accord. » Ils ont arrêté la plupart de leur planification, même leurs études, en 2003. La position israélienne est qu'ils n'ont pas arrêté à cause de ce que nous avons fait en Irak mais parce qu'ils ont vu que nous avions détruit l'Irak - c'est ce que m'a confié un général - en trois semaines quand eux avaient échoué à le faire en huit ans. Ils pensaient être les prochains sur la liste. Mais le consensus était que, oui, ils avaient arrêté. Et puis, si vous demandiez à des Israéliens sérieux, intelligents et avisés - et ils sont nombreux - travaillant dans le renseignement : « Pensez-vous vraiment que, s'ils avaient une bombe - et ils en sont dépourvus maintenant - ils frapperaient Tel-Aviv ? » la réponse était : « Pensez-vous qu'ils soient fous ? Nous les incinérerions. Bien sûr que non. Ils sont là depuis 2.000 ans. Cela n'arrivera pas. » Leur crainte était qu'ils puissent fournir une bombe à quelqu'un d'autre, etc.
Mais il y a un élément rationnel dans la communauté du renseignement israélien qui n'est pas exprimé par les dirigeants politiques. C'est la même folie que nous avons ici. Il y a un élément rationnel dans notre communauté du renseignement qui a dit, en 2007, et qui l'a redit l'année dernière : ils n'ont pas la bombe. Ils n'en construisent pas une. Au sein de la NIE, 16 agences sur 16 en sont venues à la même conclusion dans un vote interne, avant la mise à jour en 2011 de l'étude de 2007. Il n'y a tout simplement pas de bombe. Cela ne signifie pas qu'ils n'en rêvent pas. Cela ne signifie pas que les scientifiques ne fassent pas des études sur ordinateur. Cela ne signifie pas que les physiciens de l'Université de Téhéran ne fassent pas ce que les physiciens aiment faire, écrire des articles et faire des études. Mais il n'y a tout bonnement aucune preuve d'un effort systématique pour aller de l'enrichissement d'uranium à la fabrication d'une bombe. C'est un processus immense et difficile. Vous devez prendre un gaz très chaud et le convertir en un métal, puis le convertir en un noyau. Et il vous faut le faire à distance, parce que vous ne pouvez pas vous trouver près de ce genre de truc. C'est mortel. C'est radioactif.
Alors, oui, c'est vrai, je suis bien seul à le dire. Et vous savez combien The New Yorker est précautionneux, même sur un article de blogue. Cet article a été vérifié et revérifié. Et je cite des gens - Joe Cirincione, un Américain qui s'est impliqué dans le désarmement durant de nombreuses années. Ce sont des voix différentes de celles que vous lisez dans les journaux. Je suis parfois injurié par les mêmes voix que nous lisons dans le New York Times et le Washington Post. On ne nous permet pas de confronter des points de vue différents. Il y a, non seulement à l'intérieur de la communauté du renseignement américain, mais aussi à l'intérieur de l'AIEA à Vienne, beaucoup de gens qui ne supportent pas ce que fait Amano, et beaucoup de gens qui, fondamentalement, sont très gênés par la direction que Amano leur fait suivre. Je reçois des courriels - et cet article est sorti un week-end je crois - de gens qui travaillent à l'AIEA et qui sont comme fous, me disant : « Continuez ainsi ! ». Je parle de l'intérieur de l'AIEA car c'est une organisation qui ne s'occupe pas de la presse.
Ce n'est pas une étude scientifique, Amy. C'est un document politique. Et c'est un document politique dans lequel Amano joue notre jeu. Et c'est le même jeu que les Israéliens reprennent, et ceux qui n'aiment pas l'Iran. Et je souhaite que nous puissions faire la distinction entre nos sentiments relatifs à l'Iran, aux mollahs et à ce qui s'est passé avec les étudiants de 1979, et la réalité qui offre je pense une très sérieuse chance pour que les Iraniens nous octroient le type d'inspections que nous voulons, en retour d'un geste de sympathie comme une levée des sanctions et le respect qu'ils réclament avec insistance de notre part. Et ce n'est pas ce que fait cette administration.
Amy Goodman : Seymour Hersh, je vous remercie beaucoup pour votre présence.
le 21 novembre 2011
Traduction Régis Poulet
le 25 novembre 2011
[:mmd]
larevuedesressources.org