Ray McGovern - Counterpunch
A Washington, de plus en plus d'initiés arrivent à la conclusion que les dirigeants israéliens prévoient d'attaquer l'Iran avant l'élection présidentielle américaine de novembre, dans l'espoir d'y entraîner les forces américaines. On pense généralement que sans l'implication militaire des Etats-Unis, une attaque israélienne serait très risquée et, au mieux, qu'elle ne réussirait qu'à la marge.
A ce stade, pour dissuader les dirigeants israéliens de monter une telle attaque, une déclaration publique du Président Barack Obama, prévenant Israël de ne pas compter sur les forces américaines - même pour assurer le « nettoyage » -, pourrait être nécessaire. Bien qu'Obama ait presque tout fait pour esquiver une telle déclaration publique, il est manifeste qu'il veut éviter une confrontation avec Israël dans les semaines précédant l'élection.
Cependant, le silence d'Obama quant à une mise en garde publique en dit long pour le Premier ministre israélien Benyamin Netannyahou.
Les pèlerinages effectués récemment en Israël par de hauts responsables - dont les Secrétaires d'Etat et de la Défense, qui ont asséné des slogans identiques « SVP NE BOMBARDEZ PAS L'IRAN JUSTE MAINTENANT » - ont été accueillis là-bas par des visages de marbre qui ont éludé cette question.
A l'instar d' « Août 1914 », la dynamique de la guerre semble inexorable. Les hauts responsables américains et israéliens se concentrent publiquement sur une « fenêtre d'opportunité ». Toutefois, celle-ci est différente selon les uns et les autres.
Jeudi dernier, le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, a insisté sur la nécessité de permettre aux « sanctions les plus rigoureuses jamais imposées à un pays de fonctionner ». Cela, a dit Carney, est « la fenêtre d'opportunité pour persuader l'Iran. de laisser tomber ses ambitions d'armes nucléaires ».
Le même jour, un porte-parole du National Security Council (NSC) a réfuté les affirmations israéliennes selon lesquelles les services de renseignements US avaient reçu une nouvelle information alarmante au sujet du programme nucléaire iranien. « Nous continuons d'estimer que l'Iran n'est pas sur le point d'obtenir une arme nucléaire », a déclaré le porte-parole.
Pourtant, la fenêtre d'opportunité d'Israël (que les Israéliens appellent la « zone d'immunité » de l'Iran pour construire une bombe atomique sans qu'Israël soit capable, seul, de l'en empêcher) est visiblement focalisée sur le fait que l'Iran creuse toujours sous les montagnes afin d'immuniser ses installations nucléaires aux attaques aériennes israéliennes. Attaques dont le seul but serait de maintenir le monopole nucléaire militaire d'Israël dans la région.
Mais une autre « fenêtre » ou « zone » israélienne est en rapport avec la période préélectorale des 12 prochaines semaines aux Etats-Unis. La semaine dernière, l'ancien patron du Mossad, Ephrem Halevi, a dit aux téléspectateurs israéliens : « Les douze prochaines semaines sont essentielles pour essayer d'évaluer si Israël attaquera l'Iran, avec ou sans le soutien américain. »
Le contraire serait étonnant, compte tenu des rapports qu'entretiennent Netanyahou et Obama. En effet, le Premier ministre israélien a l'impression de ne plus pouvoir forcer la main du président américain, en particulier lorsque celui-ci se retrouve dans une situation politique tendue.
Pour Netanyahou, le besoin qu'il perçoit du Président américain de prendre ses distances avec le candidat républicain Mitt Romney dans le credo « j'adore Israël » place Obama face à un dilemme. Personnellement, je pense que c'est la « fenêtre d'opportunité » clé qui prédomine dans les calculs de Netanyahou.
Netanyahou pense qu'il est pratiquement exclu pour Obama de laisser les forces militaires US sur le banc de touche si Israël se laisse entraîner dans de sérieuses hostilités. De mon côté, je pense que le dirigeant israélien est plus inquiet du fait que dans un second mandat Obama se sentirait plus libre de ne pas s'engager militairement aux côtés d'Israël. Un second mandat d'Obama pourrait également servir de levier pour forcer les Israéliens à faire des concessions sur des questions épineuses concernant la Palestine.
Si empêcher Obama d'accéder à un second mandat fait aussi partie des calculs de Netanyahou, alors il sait également que même une prise de bec mineure avec l'Iran, que celle-ci s'intensifie ou non, ferait monter le prix des carburants juste avant l'élection - une perspective qui ne serait pas la bienvenue pour l'Equipe Obama.
Il est évident que les faucons israéliens préfèreraient devoir négocier avec Mitt Romney pendant les quatre prochaines années. L'ancien gouverneur du Massachusetts a été accueilli très chaleureusement lorsqu'il s'est rendu à Jérusalem, accompagné d'un grand nombre de soutiens financiers juifs américains, pour exprimer sa solidarité avec Netanyahou et sa politique.
Dans cet environnement politique aux enjeux très élevés, j'ai trouvé quelques infos anecdotiques que je trouve particulièrement troublantes. Le 30 juillet, le Baltimore Sun a publié mon édito, « Israël truque-t-il les renseignements pour justifier une attaque contre l'Iran ? » Les informations que j'ai obtenues le lendemain même ont accru mes soupçons et mon inquiétude.
D'anciens analystes des renseignements et moi-même avons préparé une proposition pour établir des liens de communication directs entre les marines américaine et iranienne, en vue de prévenir un incident ou une provocation dans le Golfe Persique qui échapperait à tout contrôle. Ayant appris qu'un projet similaire officiel du Pentagone traîne en longueur au Sénat depuis plus d'un mois, cela nous inspire la plus grande inquiétude. (Il est pourtant difficile de comprendre pourquoi quiconque souhaiterait éviter une escalade dans le Golfe Persique retarderait, ou s'opposerait catégoriquement, à de telles mesures de sécurité.)
A la recherche de données en provenance d'autres sources qui ont un aperçu sur les préparations militaires américaines, j'ai appris que si de nombreuses manoeuvres militaires américaine ont été annoncées, d'autres, dans le but précis de préparer les hostilités avec l'Iran, n'ont pas été rendues publiques. La vérité est que nous avons été prévenu que la messe est dite, que toute initiative pour empêcher les mauvais calculs ou la provocation dans le Golfe arriverait bien trop tard pour empêcher une escalade vers la guerre réelle (c'est-à-dire avec échange de tirs).
A la recherche d'un casus belli
Un casus belli - réel ou tiré par les cheveux - serait très désirable avant d'attaquer l'Iran. Une provocation dans le Golfe serait un moyen d'y parvenir. Un autre moyen serait que l'Iran fomente des actes terroristes.
Dans mon éditorial du 30 juillet, je laissais entendre que l'affirmation incroyablement rapide de la part Netanyahou, accusant l'Iran du massacre terroriste de cinq Israéliens en Bulgarie le 18 juillet, aurait pu avoir comme intention de trouver un prétexte pour attaquer l'Iran. Si c'est le cas, dommage pour Netanyahou ! Cela n'a pas marché. Il semble que l'administration Obama n'ait pas cru la « preuve en béton » que Netanyahou a fourni pour lier l'Iran à cette attaque en Bulgarie.
Mais si ça ne marche pas du premier coup, voici une autre idée : disons que de nouveaux rapports des renseignements montrent que l'Iran est à deux doigts d'obtenir l'arme atomique et que les estimations précédentes, selon lesquelles l'Iran avait cessé de travailler sur la militarisation nucléaire, étaient soit fausses soit qu'elles sont remises en cause par de nouvelles preuves.
Selon de récents rapports israéliens et occidentaux, citant des diplomates de ce camp, les services de renseignements américains ont acquis de nouvelles informations - un rapport « explosif » - qui montre précisément cela. Imaginez !
Ehoud Barak, le ministre israélien de la Défense, a déclaré à la radio israélienne que le nouveau rapport est « très proche de nos propres estimations ; je dirais : opposé aux estimations américaines précédentes. Il transforme la situation iranienne en une extrême urgence ».
L'experte néo-conservatrice du Washington Post, Jennifer Rubin, a saisi le signal au bond : jeudi dernier, elle espérait, avec une certaine mélancolie, que ce nouveau rapport sur le programme nucléaire iranien « soit un revirement complet de l'infâme NIE de 2007 (National Intelligence Estimate) - rapport d'évaluation des services US de renseignements), qui affirmait que l'Iran avait laissé tombé son programme d'armes nucléaires ».
« Infâme ? » Effectivement, Rubin avait prévenu : « Le NIE de 2007 constitue à la fois un hommage et une mise en garde à l'inconscience aveugle de notre appareil national de renseignements », ajoutant : « aucun décideur politique responsable ne pense que le NIE 2007 est exact ».
Pourtant, le NIE représente toujours l'évaluation qui prévaut dans les services de renseignements américains, il a été réaffirmé plusieurs fois par les plus hauts responsables américains au cours des cinq dernières années. La définition de « responsable » selon Rubin semble ne s'appliquer qu'aux décideurs politiques américains qui veulent bien céder le contrôle de la politique étrangère américaine à Netanyahou.
Le NIE 2007 rapportait, avec « beaucoup de confiance », le jugement unanime de l'ensemble des 16 agences de renseignements américaines que l'Iran avait cessé de travailler au développement d'une arme nucléaire en automne 2003 et qu'il n'avait pas repris ce programme depuis. Les propres Mémoires de George W. Bush, ainsi que les remarques de Dick Cheney, ont clairement montré que ce NIE honnête avait jeté un sacré pavé dans la marre, faisant revenir sur l'idée d'une guerre contre l'Iran, en 2008, la dernière année de l'administration Bush/Cheney.
Les jugements clés du NIE 2007 ont été réaffirmés chaque année par le Directeur des renseignements US lors de témoignages officiels devant le Congrès.
Malheureusement pour Rubin et les autres qui espèrent transformer les « renseignements » plus alarmistes prétendument « nouveaux » en une posture encore plus belliqueuse envers l'Iran, un porte-parole du National Security Council (NSC) a descendu en flammes cette « nouvelle » information, disant que « l'estimation des services de renseignements américains sur les activités nucléaires de l'Iran n'avait pas changé ».
Se reposant sur l'affirmation israélienne non confirmée à propos d'une « nouvelle » information américaine au sujet du programme nucléaire iranien, Rubin a déjà déclaré que la politique de l'administration Obama vis-à-vis de l'Iran était un échec. Elle a écrit : « Les experts en politique étrangère peuvent débattre pour déterminer si une stratégie de sanctions était une erreur depuis sa conception, évaluant incorrectement les motivations du régime iranien, ou si l'exécution d'une politique de sanctions (trop lente, trop poreuse) était à blâmer. Mais cela fait maintenant plus de trois ans et demi qu'Obama est au pouvoir, et l'Iran est désormais beaucoup plus proche d'atteindre son but. En toute logique, l'approche d'Obama a été un échec, quoi qu'en dise le rapport du NIE. »
Les pressions vont persister
Le fait que le NSC ait remis à sa place le rapport israélien ne garantit toutefois pas nécessairement que le Président Obama continuera à résister à la pression d'Israël et de ses supporters en vue de « truquer » les renseignements pour « justifier » le soutien à une attaque contre l'Iran.
Toutefois, un certain espoir se dégage du refus d'Obama d'avaler la nouvelle « preuve en béton » de Netanyahou sur la responsabilité de l'Iran dans l'attaque terroriste de Bulgarie. Idem dans la réticence de la Maison-Blanche, jusqu'à présent, d'accorder de la crédulité à la dernière « preuve » sur les projets iraniens d'armes nucléaires.
Un casus belli convenu peut être difficile à créer lorsque l'un des deux partenaires veut la guerre dans les 12 prochaines semaines et l'autre non. La pression de la part de Netanyahou et de ses fans, comme Jennifer Rubin - sans parler de Mitt Romney -, s'accroîtra au fur et mesure que l'on se rapprochera de l'élection, casus belli convenu ou non.
Netanyahou est persuadé que pendant les 12 prochaines semaines c'est lui qui tire les ficelles et que, s'il provoque les hostilités avec l'Iran, Obama se sentira obligé de foncer tête baissée, c'est-à-dire en choisissant parmi le vaste éventail de forces réunies dans cette région.
Malheureusement, je pense que Netanyahou fait le bon calcul. Il faut donc se préparer au pire.
* Ray McGovern a servi pendant près de 30 ans comme officier de l'armée de terre et comme analyste à la CIA. Il fait à présent partie du comité directeur des vétérans du renseignement pour le bon sens (Veteran Intelligence Professionals for Sanity).
Pour ceux qui doutent encore de la détermination d'Israël et de sa capacité de nuisance, la lecture de Le conflit israélo-palestinien, par Jean-François Goulon, s'impose.