BENJAMIN NETANYAHOU est peut-être délirant, mais il n'est pas fou. Ehoud Barak est peut-être fou, mais il n'est pas délirant. Donc : Israël n'attaquera pas l'Iran.
JE L'AI déjà dit, et je le redirai encore, même après les interminables propos tenus sur le sujet. On n'a effectivement jamais autant parlé d'une guerre avant qu'elle ne survienne. Pour citer une réplique classique au cinéma : "Si tu dois tirer, tire. Ne parle pas !"
Dans toutes les fanfaronnades de Netanyahou sur la guerre inévitable, une phrase émerge : "Devant la commission d'enquête qui suivra la guerre, j'en assumerai seul la responsabilité, moi et moi seul !"
Une déclaration très révélatrice.
Tout d'abord, les commissions d'enquête ne sont constituées qu'après un échec militaire. Il n'y a pas eu ce genre de commission d'enquête après la Guerre d'Indépendance de 1948, ni après la guerre du Sinaï ou la guerre des Six Jours. Il y a eu cependant des commissions d'enquête après la guerre du Kippour de 1974 et les guerres du Liban de 1982 et 2006. En évoquant le spectre d'une autre commission de ce type, Netanyahou considère inconsciemment cette guerre comme un échec inévitable.
Deuxièmement, selon la loi israélienne, l'ensemble du gouvernement d'Israël assure le commandement en chef des forces armées. Selon une autre loi, tous les ministres sont porteurs d'une "responsabilité collective". Le magazine TIME, qui se rend encore plus ridicule cette semaine, peut bien couronner "le roi Bibi", mais nous n'avons pas encore de monarchie. Netanyahou n'est rien de plus que'primus inter pares'.
Troisièmement, dans sa déclaration, Netanyahou exprime un mépris sans limite pour ses collègues ministres. Ils ne comptent pas.
Netanyahou se considère comme un Winston Churchill des temps modernes. Je ne crois pas me souvenir de Churchill en train d'annoncer, lors de sa prise de fonction, "J'assume la responsabilité de la défaite prochaine." Même dans la situation désespérée du moment, il croyait en la victoire. Et le mot "je" ne tenait pas beaucoup de place dans son discours.
DANS LE lavage de cerveau quotidien, le problème est présenté en termes militaires. Le débat, tel qu'il se présente, ne concerne que les capacités et les risques militaires.
Les Israéliens sont particulièrement - et cela se comprend - inquiets de la pluie de dizaines de milliers de missiles qui pourraient s'abattre sur toutes les régions d'Israël, non seulement depuis l'Iran, mais aussi depuis le Liban et Gaza. Le ministre en charge de la défense civile a démissionné cette semaine même, et un autre, un réfugié de l'infortuné parti Kadima, a pris sa place. Chacun sait qu'une importante partie de la population (dont je suis) est totalement sans défense.
Ehoud Barak a annoncé que pas plus de 500 malheureux Israéliens seraient tués par des missiles ennemis. Je n'aspire pas à l'honneur d'être l'un d'entre eux, bien que je vive tout à côté du ministère de la Défense.
Mais la confrontation militaire entre Israël et l'Iran n'est qu'une partie du tableau, et pas la plus importante.
Comme je l'ai signalé dans le passé, l'impact sur l'économie mondiale, déjà plongée dans une crise profonde, est de loin plus important. Une attaque israélienne serait considérée en Iran comme inspirée par USA et la réaction serait en conséquence, comme cela a été explicitement affirmé par l'Iran cette semaine.
Le golfe Persique est une bouteille, dont le goulot est le Détroit d'Ormuz, totalement contrôlé par l'Iran. Les gros porte-avions américains actuellement stationnés dans le golfe seraient bien avisés d'en sortir avant qu'il ne soit trop tard. Ils ressemblent à ces vaisseaux anciens que des passionnés assemblent dans des bouteilles. Même le puissant armement des USA ne sera pas en mesure de garder le détroit ouvert. De simples missiles sol-mer suffiraient à le tenir fermé pendant des mois. Pour l'ouvrir, une longue opération terrestre des USA et de leurs alliés serait nécessaire. Une affaire longue et sanglante aux conséquences imprévisibles.
Une partie très importante de l'approvisionnement du monde en pétrole doit passer par cet unique passage maritime. Même la simple menace de sa fermeture entraînerait une hausse vertigineuse des prix du pétrole. Des hostilités réelles entraîneraient un effondrement de l'économie mondiale, avec des centaines de milliers - si ce n'est des millions - de nouveaux chômeurs.
Chacune de ces victimes maudira Israël. Du fait qu'il sera clair comme de l'eau de roche qu'il s'agit d'une guerre israélienne, la colère s'exercera contre nous. Pire, bien pire - du fait qu'Israël met l'accent sur le fait qu'il est "l'État du Peuple Juif", la colère pourrait prendre la forme d'une explosion d'antisémitisme sans précédent. Les islamophobes modernes reviendraient à la haine des juifs de jadis. "Les juifs sont notre catastrophe" comme avaient coutume de proclamer les nazis.
Ce pourrait être pire aux États-Unis. Jusqu'à présent, les Américains ont observé avec une admirable indulgence le fait que la politique de leur pays au Moyen-Orient est pratiquement dictée par Israël. Mais le tout puissant AIPAC lui- même et ses alliés ne seraient pas capables de contenir l'explosion de colère populaire. Ils cèderaient comme les digues de la Nouvelle-Orléans.
Netanyahou :"L'Iran est une menace pour la paix"-Carlos Latuff
CELA AURA un impact direct sur un calcul central des va-t-en-guerre.
En privé, mais pas seulement, ils font valoir que l'Amérique sera immobilisée à la veille des élections. Pendant les quelques dernières semaines précédant le 6 novembre, les deux candidats auront une crainte mortelle du lobby juif.
Le calcul se présente de la façon suivante : Netanyahou et Barak attaqueront sans se soucier de ce que veulent les Américains. La contre-attaque iranienne sera dirigée contre les intérêts américains. Les USA seront entraînés dans la guerre malgré eux.
Mais, même dans le cas improbable où les Iraniens agiraient avec une extrême retenue sans attaquer de cibles américaines, contrairement à leurs déclarations, le Président Obama serait obligé de nous sauver, de nous envoyer d'énormes quantités d'armes et de munitions, de soutenir nos défenses anti-missiles, de financer la guerre. Dans le cas contraire il serait accusé de laisser tomber Israël et Mitt Romney serait élu en tant que sauveur de l'État Juif.
Ce calcul se fonde sur le passé historique. Tous les gouvernements israéliens du passé ont exploité les années électorales américaines à leurs fins.
En 1948, alors que l'on demandait aux USA de reconnaître le nouvel État israélien contre l'avis formel tant du Secrétaire d'État que du Secrétaire à la Défense, le Président Truman luttait pour sa survie politique. Il était à cours de ressources pour sa campagne. Au dernier moment des millionnaires juifs se sont engouffrés dans la brèche. Truman et Israël étaient sauvés.
En 1956, le Président Eisenhower était en plein milieu de sa campagne de réélection quand Israël a attaqué l'Égypte en collusion avec la France et la Grande Bretagne. C'était une erreur de calcul - Eisenhower, qui n'avait pas besoin des suffrages et de l'argent juifs, donna un coup d'arrêt à l'aventure. Lors d'autres années électorales, les enjeux étaient moins importants, mais il a toujours été tiré parti de l'occasion pour obtenir des concessions de la part des États-Unis.
Cela marchera-t-il cette fois-ci ? Si Israël déclenche une guerre à la veille des élections, dans une tentative évidente de faire chanter le Président, l'opinion publique soutiendra-t-elle Israël - ou se pourrait-il que ce soit le contraire ? Ce sera un pari à haut risque de proportions historiques. Mais, comme Mitt Romney, Netanyahou est un protégé du magnat de casino Sheldon Adelson, et il pourrait bien ne plus rechigner à prendre des paris risqués que les pauvres poires qui laissent leur argent dans les casinos d'Adelson.
Où sont les Israéliens dans tout cela ?
Malgré le lavage de cerveaux permanent, les sondages montrent que les Israéliens sont en majorité absolument opposés à une attaque. Netanyahou et Barak sont perçus comme deux fanatiques, beaucoup disent qu'ils sont mégalomanes, étrangers à toute pensée rationnelle
L'un des aspects les plus frappants de la situation est le fait que notre chef des armées avec la totalité de l'état-major, ainsi que les chefs du Mossad et du Shin Bet, comme presque tous leurs prédécesseurs, sont totalement et publiquement opposés à l'attaque.
C'est l'une des rares occasions où le commandement militaire est plus modéré que ses chefs politiques, encore que cela se soit déjà produit en Israël précédemment. On peut bien se poser la question : comment des dirigeants politiques pourraient-ils engager une guerre fatale alors que pratiquement tous leurs conseillers militaires, qui connaissent nos capacités militaires et les chances de succès, y sont opposés ?
Une des raisons à cette opposition tient au fait que les chefs de l'armée savent mieux que quiconque comment Israël est en réalité totalement dépendant des États-Unis. Notre relation avec l'Amérique est le fondement même de notre sécurité nationale.
Par ailleurs, il semble douteux que Netanyahou et Barak aient une majorité en faveur de l'attaque même au sein du gouvernement et du cabinet réduit. Les ministres savent qu'en dehors de toute autre chose, l'attaque ferait fuir les touristes et les investisseurs, ce qui causerait de graves torts à l'économie d'Israël.
Alors, pourquoi la plupart des Israéliens pensent-ils encore que l'attaque est imminente ?
Les Israéliens, dans une large mesure, sont maintenant totalement convaincus (a) que l'Iran est gouverné par une clique d'ayatollahs fanatiques étrangers à toute raison, et (b) qu'une fois en possession de la bombe atomique ils vont à coup sûr en lâcher une sur nous.
Ces convictions se fondent sur les déclarations d'Ahmadinejad, dans lesquelles il a déclaré qu'il allait balayer Israël de la surface de la terre.
Mais a-t-il réellement dit cela ? Il est certain qu'il a de façon répétée exprimé sa conviction que l'entité sioniste allait disparaître de la surface de la terre. Mais il semble qu'il n'ait jamais réellement dit que lui - ou l'Iran - se chargerait d'obtenir ce résultat.
Cela peut sembler n'être qu'une petite différence rhétorique, mais c'est très important dans ce contexte.
En outre, Ahmadinejad est peut-être fort en gueule, mais son pouvoir réel en Iran n'a jamais été très grand et il se réduit rapidement. Les ayatollahs, les vrais dirigeants, sont loin d'être déraisonnables. Toute leur conduite depuis la révolution les fait apparaître comme des gens très prudents, opposés à des aventures étrangères, profondément marqués par la longue guerre avec l'Irak qu'ils n'avaient pas engagée et qu'ils n'avaient pas souhaitée.
Un Iran doté de l'arme nucléaire pourrait être un voisin gênant, mais la menace d'un "second holocauste" est le pur fruit d'une imagination manipulée. Aucun ayatollah ne lancera une bombe en sachant que la riposte assurée serait la destruction de toutes les villes iraniennes et la fin de la glorieuse histoire culturelle de la Perse. La dissuasion était, après tout, toute la logique de production d'une bombe israélienne.
SI Netanyahou & Co avaient réellement peur de la bombe iranienne, ils feraient l'une des deux choses suivantes :
Ou bien donner leur accord à la dénucléarisation de la région, en abandonnant nos propres armements nucléaires (hautement improbable) ;
Ou bien faire la paix avec les Palestiniens et l'ensemble du monde arabe, désarmant ainsi l'hostilité des ayatollahs envers Israël.
Mais les actions de NETNAYAHOU montrent que, pour lui, conserver la Cisjordanie est beaucoup plus important que la bombe iranienne.
De quelle meilleure preuve du caractère délirant de toutes ces peurs avons-nous besoin ?
Courtesy of AFPS
Source: zope.gush-shalom.org
Publication date of original article: 18/08/2012
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