Les tenants du slogan « Je suis Charlie » affirment qu'il s'agit simplement d'un « Oui à la liberté d'expression, non au terrorisme ». Un truc très légitime en somme. Si ce n'était que ça, je l'approuverais, je le crierais sans problème. Mais voilà, pourquoi exprimer de tels principes par ces mots ?
Premier problème : ce slogan occulte les autres morts de ces derniers jours (qui n'étaient pas tous engagés dans les combats de Charlie hebdo) dont les familles, pour certains, ne tiennent peut-être pas à être incorporés au mouvement tel qu'il s'est constitué. D'eux, tout le monde semble se taper.
Deuxième problème : même s'ils ne méritaient évidemment pas de mourir, et que ces morts sont déplorables et choquantes, les journalistes et caricaturistes de Charlie étaient racistes. Pas seulement irréligieux, anticléricaux et amateurs de blasphème. Cela, que nous l'aimions ou le détestions, c'était leur droit. Droit qui a été violemment et tragiquement nié par des malades, mais qu'aujourd'hui, dans le débat public, évidemment et heureusement, personne ne remet en cause sérieusement [1].
Puisque ce sont des racistes, il n'est pas anodin, aujourd'hui, de choisir pour défendre la liberté d'expression, d'honorer la mémoire de ce journal-là : ce serait choisir, pour critiquer la peine de mort par exemple, non pas seulement de mettre en cause la manière honteuse dont on a exécuté un Pierre Laval, mais d'aller jusqu'à honorer sa mémoire en poussant tous les opposants à la peine de mort à assumer un « Je suis Laval » qui, espère-t-on, les répugnerait.
Je suis opposé à la peine de mort mais je ne pourrais jamais écrire « Je suis Laval ». Je suis pour la liberté d'expression et contre le meurtre mais je ne pourrais jamais écrire « Je suis Charlie ».
Antonomase
Un dessin a retenu mon attention : celui qu'Uderzo a fait pour rendre hommage à Charlie. Tout le monde a remarqué les fameuses babouches du terroriste qu'Asterix cogne virilement. Des babouches, alors que les terroristes français portent plus souvent des Nike Air, validant l'idée, qu'on retrouvait fréquemment dans les dessins publiés dans Charlie, par la synecdoque évidente babouches = arabe, que terroriste = arabe, et que donc, tous ces gens qui défilent pour Charlie aux côtés de politiciens colonialistes officiellement anti-arabes (pour certains clairement opposés à la liberté d'expression et réprimant durement les journalistes), le font directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, contre les Arabes, considérés entièrement comme des terroristes potentiels. Ou du moins le font-ils malgré cela.
De nombreuses images le corroborent, dont celles de l'enfant qui avoue, avant de se corriger, qu'elle est venue là pour manifester contre « les Ar... les terroristes ». Pourquoi s'en étonner ? Qu'est-ce qui pourrait aujourd'hui autant mobiliser ? Quelle est la passion française actuellement ? Quel est l'ouvrage qui a eu le plus de succès récemment ? Que raconte l'essayiste le plus populaire de France ? Et que raconte le romancier le plus médiatisé de la France actuelle ? Et que raconte le plus célèbre et le plus récent des recrutés à l'Académie française ?
Mais ce qui a le plus retenu mon attention dans le dessin d'Uderzo, que je vois comme une sorte d'image grossie de l'inconscient des Charlie, qui à nous arabes non-vendus au PS et aux partis de gouvernement, saute aux yeux, et fait que même lorsque nous défendons la liberté d'expression et sommes horrifiés par les attentats, nous ne pouvons accepter l'hommage rendu à des gens que nous sommes désolés de voir assassinés, mais dont nous ne pouvons pas non plus oublier les injures, c'est ce qu'on appelle en rhétorique l'antonomase.
Antonomase : figure de style dans laquelle un nom propre est utilisé comme nom commun.
Car Uderzo ne fait pas dire à Asterix « Moi aussi je suis Charlie », mais « Moi aussi je suis un Charlie ».
Un Charlie ?
Mais qu'est-ce donc qu'un Charlie ?
Pourquoi un substantif ?
Comment ne pas entendre, dans cette formulation quelque peu bizarre, comme si quelque chose devait absolument sortir, surtout dans ce cas où l'on voit clairement le héros gaulois cogner ce qui apparaît dans l'image comme étant simplement « un porteur de babouches », l'antonomase classique, « un Charlie » contre « un Rachid », ou « un Mohammed » ?
Dès lors le « Je suis un Charlie » signifie bien « Je suis un Français », un « blanc » plutôt. Oui : « je suis un blanc », ce qui n'a rien de honteux en soi naturellement, mais quand c'est un blanc cognant joyeusement sur un porteur de babouches, assimilé implicitement à un envahisseur (par analogie avec les habituelles sandales romaines que viennent ici remplacer les babouches), alors « Je suis un Charlie » signifie : « je suis blanc et j'emmerde les bougnoules ».
Notes[1] Surtout lorsqu'on voit tous ces Français mobilisés aux côtés de leur président, des autres présidents du monde et des CRS.