Saïd Bouamama & Saïdou
A mettre sans cesse en accusation l'islam, on diffuse l'idée que sa caractéristique est d'être contraire aux « valeurs démocratiques ». Le simple fait de construire systématiquement l'islam comme facteur explicatif des phénomènes sociaux et politiques, diffuse un implicite lourd de conséquences : l'islam est un problème.
Comment expliquer tous ces résultats d'un vécu inégalitaire allant du sifflet de la Marseillaise au « Nique la France » en éludant les causes économiques et sociales c'est-à-dire les inégalités vécues ? Tous simplement en construisant une causalité religieuse censée expliquer tous les comportements des populations issues de l'immigration postcoloniale.
Au niveau international, l'abandon des grilles explicatives en termes d'intérêts économiques a conduit à la théorie du « choc des civilisations », justifiant les nouvelles guerres de rapines au nom de la défense de la démocratie.
Au niveau national, cet abandon conduit à une mise en accusation de l'islam censé mettre en danger la laïcité, la République, le droit des femmes, « l'intégration », l'identité nationale, la sécurité nationale, etc. Bien entendu, on prendra systématiquement la précaution explicite de distinguer une majorité de musulmans ne posant pas problème et une minorité dite extrémiste qui mettrait en danger les valeurs de la République. Cependant, le simple fait de construire systématiquement l'islam comme facteur explicatif des phénomènes sociaux et politiques, diffuse un implicite lourd de conséquences : l'islam est un problème.
L'explicite masque et légitime ici un implicite : l'islam est un danger. Comment s'étonner, qu'avec un tel mécanisme de légitimation, l'islamophobie tende à se développer dans notre société. Le discours politique et médiatique sur l'islam joue une fonction d'autorisation à l'islamophobie. À appeler en permanence à une adaptation de l'islam à la République, on diffuse l'idée que cette adaptation est difficile et non réalisée, c'est-à-dire que notre foi de musulmans et nos pratiques religieuses nous mettent en permanence en porte à faux avec les règles démocratiques. A mettre sans cesse en accusation l'islam, on diffuse l'idée que sa caractéristique est d'être contraire aux « valeurs démocratiques ». Cela ne peut conduire au mieux qu'au développement d'une posture de méfiance vis-à-vis de nous et de nos convictions religieuses, et au pire à des attitudes et des actes islamophobes.
Le résultat du processus de présentation de l'islam comme danger est la construction d'une nouvelle frontière entre un « nous » et un « eux ». Il s'agit ni plus ni moins que d'imposer une frontière d'ordre ethnique, culturelle et religieuse en lieu et place des frontières de la période antérieure qui était d'ordre économique, sociale et politique. Hier les frontières qui sévissaient sur la scène internationale étaient l'opposition Est/Ouest pour certains et/ou l'opposition Tiers monde/ Impérialisme pour d'autres.
Aujourd'hui, la frontière, pour les tenants de l'ordre mondial inégalitaire, serait l'opposition terrorisme/démocratie (le premier terme de la frontière étant explicitement ou implicitement référé à l'islam). On peut de cette façon soutenir des guerres pour le gaz et le pétrole en les présentant comme une nécessité pour la sauvegarde de la démocratie et de la « civilisation ». Sur la scène nationale, le même processus est en cours. Hier les frontières entre un « nous » et un « eux » étaient de natures sociale, politique et économique : frontières de classes ou entre la « gauche » et la « droite ».
Aujourd'hui, la frontière, selon les tenants de l'ordre national inégalitaire, serait l'opposition « républicains/antirépublicains », partisans de la défense de l'identité nationale et réfractaires à cette supposée identité, partisans de la laïcité et partisans du « communautarisme ». Inévitablement, derrière ces nouvelles oppositions idéologiquement construites se profile un spectre : celui du musulman. On comprend mieux dès lors la fonction sociale de l'islamophobie : désarmer les contestations sociales en construisant un « ennemi de l'intérieur ».
L'islamophobie est une arme de destruction massive de la contestation sociale par déplacement des frontières qui permettent de comprendre la réalité sociale. Elle permet d'unifier ceux qui devraient être divisés et de diviser ceux qui devraient être unis. Force est de constater que la majeure partie de la société française se laisse facilement imprégnée par cette construction islamophobe. C'est dire que le rapport social racial est une forme historique particulière des rapports sociaux. La question sociale est devenue incompréhensible sans qu'y soit introduit le facteur racial. Et inversement la question raciale est incompréhensible sans la prise en compte de ses effets sociaux.
Source :
Extrait du livre "Nique la France. Devoir d'insolence".
Le rappeur Saïdou du groupe Z.E.P (Zone d'expression populaire) et le sociologue et militant Saïd Bouamama sont mis en examen pour « injure publique » et « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence » sur une plainte de l'Agrif, un groupe d'extrême droite nostalgique de l'Algérie française. Comme des millions de gens à travers le globe ces dernières années, les deux auteurs ont attaqué le colonialisme et le système capitaliste et impérialiste. Comme beaucoup d'entre nous, ils dénoncent une idéologie toujours très en vogue : le racisme, sous ses formes les plus courantes mais aussi les plus décomplexées. Comme de nombreux habitants des quartiers populaires, ils ont crié leur colère contre les inégalités, les discriminations et la justice à double vitesse. C'est pour cela qu'ils sont poursuivis en justice.
Pour soutenir les deux Saïd : 20 janvier à 13 h 30 au Tribunal de Grande Instance, 4 Boulevard du Palais, 75001 Paris
Soyons nombreuses et nombreux à nous mobiliser, c'est la liberté d'expression qui y est directement attaquée.