Ce lundi matin sur RTL, Valérie Pécresse a appelé le gouvernement à déroger à certains des droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Juridiquement, de telles dérogations sont possibles, notamment s'agissant de la liberté d'expression, de la vie privée, ou de la liberté de réunion. Mais pas sans conditions.
La phrase a fait bondir sur les réseaux sociaux, mais elle est juridiquement exacte. Interrogée ce lundi matin sur RTL, l'ancienne ministre Valérie Pécresse, qui avait été la première à parler de la nécessité d'un "Patriot Act à la française" après les attentats de janvier 2015, a prévenu qu'il était possible de déroger à des droits prévus par la Convention Européenne des droits de l'homme (CEDH). C'est tout à fait vrai. Sur le papier.
En vertu de l'article 15 de la CEDH, les états membres du Conseil de l'Europe, dont fait bien sûr partie la France, peuvent "prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l'exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international", et ce uniquement "en cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation".
Cependant ces dérogations doivent être motivées dans une déclaration auprès du Conseil de l'Europe, avoir une durée limitée fixée par la déclaration, et tous les droits ne peuvent pas faire l'objet de dérogations. Certains des droits de la CEDH sont dits "indérogeables". Il s'agit du droit à la vie, qui peut toutefois être sacrifié pour tuer des combattants de guerre (à condition que la guerre soit officiellement déclarée), de l'interdiction de la torture, de l'interdiction de l'esclavage, et du principe de légalité des peines qui veut qu'on ne condamne pas quelqu'un pour quelque chose qui n'était pas une infraction au moment de l'acte.
DÉROGER, OUI, MAIS PAS N'IMPORTE COMMENT
A contrario, tous les autres droits prévus par la CEDH peuvent faire l'objet de dérogations. Y compris, donc, la liberté d'expression (article 10), la liberté de réunion et d'association (article 11), le droit à un procès équitable (article 6), ou encore le respect de la vie privée (article 8).
A condition qu'elle proclame officiellement une situation de guerre (ce qui autoriserait alors l'ennemi à tuer les militaires français en toute immunité, mais pas les civils), ou qu'elle justifie d'un véritable "danger public menaçant la vie de la nation", ce qui semble toutefois très exagéré concernant des attentats aussi choquants soient-ils, la France peut donc théoriquement déroger à tous ces droits dans sa future nouvelle loi antiterroriste.
Néanmoins, l'article 15 de la CEDH dit bien que ces dérogations doivent aussi être compatibles avec "les autres obligations découlant du droit international", donc par exemple avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, qui connaît davantage de droits intangibles (article 4), tels que la liberté de pensée, de conscience et de religion ; mais pas la liberté d'expression ou le droit à la vie privée. Il faut aussi respecter la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, qui a valeur contraignante pour tous les états membres de l'UE (sauf la Grande-Bretagne et la Pologne qui ont souhaité activé une clause d'opt-out). Celle-ci est moins précise s'agissant des dérogations possibles, puisqu'elle demande simplement que les limitations apportées aux droits soient "nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui".
In fine, ce sera au Conseil constitutionnel de s'assurer que les lois anti-terorrisme à venir, si elles dérogent aux droits de l'homme, le fassent dans le respect des traités internationaux, et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Malheureusement, il est devenu coutume sur ces sujets de ne pas saisir le Conseil. Il sera aussi possible, à bien plus long terme, de voir l'intervention du Conseil de l'Europe si la CEDH constate une violation, ou du Comité des droits de l'homme de l'ONU, qui n'a qu'une fonction politique.
Du point de vue stratégique en tout cas, tout recul supplémentaire des droits de l'homme sera une victoire pour les terroristes. C'est d'ailleurs leur seule victoire possible.