Ali Abunimah
Dans une suprême et terrible ironie, la police française s'acharne à supprimer la liberté d'expression tout en prétendant la défendre.
Les exactions policières en France font partie d'une longue tradition... et sont régulièrement meurtrières. Ici l'interpellation brutale, violente d'un homme à Paris en novembre 2012
« La France a ordonné à ses procureurs à travers le pays de sévir contre les discours de haine, l'antisémitisme et l'apologie du terrorisme, annonçant mercredi que 54 personnes avaient été arrêtées pour ces délits » depuis la semaine dernière, rapporte l'Associated Press.
Les nouvelles des arrestation arrivent une semaine après les meurtres de 17 personnes dans et à proximité des bureaux du magazine Charlie Hebdo et dans un supermarché casher à Paris.
Cela survient aussi après que des dizaines de dirigeants au niveau mondial, dirigés par le président français François Hollande, se sont réunis à Paris pour manifester leur « appui de la liberté d'expression » (?) et leur opposition aux tueurs qui ont cherché à la faire taire.
L'arrestation la plus notable est sans aucun doute celle de l'humoriste Dieudonné, prétendument pour des raisons de « justification du terrorisme », après un commentaire posté sur son compte Facebook.
Je ne trouve pas Dieudonné drôle et je trouve beaucoup de ce qu'il dit choquant. Dans ce que j'interprète, lui et ses partisans entretiennent volontairement une ligne floue qui doit être conservée nette entre la critique du sionisme et d'Israël, d'une part, et le fait d'attaquer les juifs en tant que tels d'autre part.
C'est une chose à laquelle je me suis toujours clairement opposé et par conséquent je ne vois pas Dieudonné comme quelqu'un de solidaire avec les Palestiniens.
Je ne trouve pas la défense invoquée par Dieudonné selon quoi ses excès sont juste de « l'humour, » plus convaincante que quand il s'agit de celle de Charlie Hebdo.
« Justification du terrorisme ? »
Mais je ne pense pas que le commentaire Facebook pour lequel Dieudonné aurait été arrêté puisse être présenté comme « justifiant le terrorisme. » Et je pense que si les dessinateurs de Charlie Hebdo qui ont été assassinés s'étaient vus appliqués les mêmes normes, une grande partie de leur production aurait été considérée comme tout aussi offensante ou raciste que celle de Dieudonné.
Et bien sûr les implications vont bien au-delà de la situation personnelle de Dieudonné.
Le quotidien français Le Figaro rapporte que Dieudonné a été arrêté par la police judiciaire à son domicile près de Paris pour enquête sur une « apologie de terrorisme ».
Le Figaro a publié une capture d'écran de la page Facebook de Dieudonné qui, apparemment, a entraîné son arrestation. Elle est datée du 11 janvier, le jour de la manifestation à Paris.
« Après cette marche historique, que dis-je... Légendaire ! Instant magique égal au Big Bang qui créa l'Univers !...ou dans une moindre mesure (plus locale) comparable au couronnement de Vercingétorix, je rentre enfin chez moi. » Il poursuit : « Sachez que ce soir, en ce qui me concerne, je me sens Charlie Coulibaly. » - Citation extraite du journal Le Figaro, daté du 14 janvier.
Amedy Coulibaly était le tireur qui a tué un agent de police et a ensuite pris des otages et tué quatre personnes dans une épicerie casher.
Qui est un « Charlie » ?
En faisant l'association « Charlie Coulibaly, » Dieudonné se moquait évidemment du slogan « Je suis Charlie » repris partout dans le monde ces derniers jours. Ses paroles pouvaient être contestables, mais justifient-elles une arrestation pour « justification du terrorisme » ?
Le sens donné à cette expression par Dieudonné devient clair dans une lettre qu'il a adressée au ministre de l'Intérieur français, Bernard Cazeneuve, le lendemain de la marche parisienne.
Il commence ainsi : « Hier, nous étions tous Charlie, à marcher, à se tenir debout, pour les libertés. Pour que l'on continue à rire de tout. »
« Au retour de cette marche, je me suis senti bien seul, » écrit Dieudonné.
« Depuis un an, je suis traité comme l'ennemi public numéro 1, alors que je ne cherche qu'à faire rire, et à faire rire de la mort, puisque la mort, elle, se rit bien de nous, comme Charlie le sait, hélas, » poursuit Dieudonné.
Il se réfère alors à une proposition de « paix » envoyée au gouvernement il y a quelques semaines, à laquelle, dit-il, il n'a reçu aucune réponse. Puis il déclare :
« Mais dès que je m'exprime, on ne cherche pas à me comprendre, on ne veut pas m'écouter. On cherche un prétexte pour m'interdire. On me considère comme un Amedy Coulibaly alors que je ne suis pas différent de Charlie. »
Encore une fois, je ne souscris pas à la ligne de Dieudonné selon quoi une grande partie de sa bile raciste serait de la satire et de l'humour mal interprétés, mais là où il a raison, c'est que son discours est considéré comme de la violence et du terrorisme et que lui-même est traité comme un terroriste, alors que ceux dont le discours était tout aussi repoussant sont traités comme des héros de la république.
L'arrestation de Dieudonné ce matin confirme ironiquement son affirmation selon laquelle il est un « Coulibaly » aux yeux de l'État.
« Guerre contre le terrorisme » à la sauce française ?
Déclarant (ou re-déclarant) au nom du gouvernement français la « guerre contre le terrorisme » et ses intentions répressives contre les dissidents, le Premier ministre Manuel Valls a déclaré que « le racisme, l'antisémitisme et la justification du terrorisme » n'étaient « pas des opinions. »
L'arrestation de Dieudonné montre que c'est le gouvernement qui va maintenant décider de ce qui constitue une « opinion ».
Nous pouvons être sûrs que beaucoup d'autres dont les opinions ne sont pas appréciées de l'État, seront également traitée comme des « Coulibaly. » Et où la France va, l'Europe ira.
La France, Allemagne et d'autres pays européens ont déjà « des lois contre les discours de haine » et l'on a bien vu comment elles sont appliquées de façon inégale.
Pourquoi, par exemple, une Allemagne tellement préoccupée par « l'extrémisme », et dont la dirigeante Angela Merkel a défilé à Paris, n'a pas interdit les marches anti-musulmanes - qui ne cessent de gagner en importance - dans ses propres villes ?
Les hommes politiques et les élites d'Europe (aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu), se sont donnés la main pour célébrer les excès scandaleux de Charlie Hebdo, alors que Dieudonné a été emmené au petit matin par la police.
Capitaliser sur la division, tirer profit de la peur
Si l'État français est à la recherche d'un moyen d'augmenter le courant de sympathie autour de Dieudonné, il ne pourrait s'y prendre autrement.
Pendant ce temps, l'ancien président français Nicolas Sarkozy a tweeté ses commentaires dans le sillage des attaques. Ceux-ci ne peuvent être considérés autrement qu'un moyen d'ameuter les bigots et ultra-nationalistes afin qu'ils le propulsent à nouveau à l'Élysée : « Les questions de l'immigration et de l'Islam sont clairement posées. Elles doivent être posées calmement en associant tout le monde. »
Sarkozy a proposé une série de mesures répressives allant de l'armement des polices locales à « l'expulsion de tout imam qui a des opinions qui ne respectent pas les valeurs de la République. »
Imaginerait-on un Sarkozy, ou n'importe quel autre politicien, exigeant « l'expulsion » d'hommes religieux français chrétiens ou juifs si ceux-ci épousent les vues qui sont l'antithèse de la république, comme croire qu'Israël devrait être « juif » ou que la France devrait être « sans musulmans ? »
Ce qu'implique clairement Sarkozy - même s'il ne le dit pas directement - est que chaque religieux musulman reste toujours un étranger et qu'il y a d'autre lieu hors de France auxquels ils appartiennent.
La répression du gouvernement semble être le résultat d'une volonté de céder à ce sentiment répressif et de concurrencer Sarkozy sur son propre terrain.
Réprimer la solidarité avec la Palestine
Que va-t-il se passer à présent ? L'État français va renforcer son alliance avec ceux qui prétendent que la critique d'Israël et la solidarité avec les Palestiniens sont de « l'antisémitisme » et ne relèvent donc « pas d'une opinion. »
C'est sur la base de ce genre de prétextes malhonnêtes que la France avait interdit les rassemblements pendant l'été pour protester contre les massacre commis par Israël à Gaza. Et depuis des années, la justice française poursuit ceux qui militent pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions ( campagne BDS).
Il y aura dès à présent beaucoup plus de personnes traitées comme des « Coulibaly » plutôt que comme des « Charlie », et à cause de leurs opinions.
Il reste maintenant à voir si ceux qui ont adopté le slogan « Je suis Charlie » et voulu la réédition du Charlie Hebdo avec ses caricatures racistes, vont à présent déclarer « Je suis Dieudonné » et assurer la promotion de ses propos outranciers et condamnables.
* Ali Abunimah est l'auteur de The Battle for Justice in Palestine. Il a contribué à The Goldstone Report : The Legacy of the Landmark Investigation of the Gaza Conflict. Il est le cofondateur de la publication en ligne The Electronic Intifada et consultant politique auprès de Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network.
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14 janvier 2015 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/blogs...
Traduction : Info-Palestine.eu