Après l'hystérie collective qui a suivi les attentats du début janvier, à Paris, contre les caricaturistes de Charlie Hebdo et contre une supérette casher, le gouvernement français a appelé à la délation. Et donc les enseignant(e)s deviennent ce qui leur a été demandé d'être : des mouchard(e)s. Les voici qui tombent sur les propos d'un enfant de... 8 ans !
Me Sefen Guez Guez, l'avocat du petit Ahmed, relate ainsi les événements qui ont eu lieu à Nice :
« Tout a commencé le 8 janvier, au lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo. Ahmed, 8 ans, était en classe avec ses camarades de CE2, quand on lui a demandé s'il était "Charlie". Lui a répondu : "Je suis du côté des terroristes, car je suis contre les caricaturistes du prophète." » [Cité par Alexandra Gonzalez, Apologie du terrorisme : un enfant de 8 ans entendu par la police à Nice, publié le 28 janvier 2015. bfmtv.com auditionne-par-la-police-860137.html]
Plusieurs questions se posent ici : est-ce le rôle des enseignant(e)s de demander, dans le cadre d'une école, qui plus est d'une école primaire, à un enfant de 8 ans, s'il est "Charlie" ? Comment peuvent-ils(elles) demander à un musulman s'il est "Charlie" ? Autrement dit, s'il est du côté des caricaturistes qui ont sali, de façon obscène et ordurière, le Prophète Mahomet ? En vertu de quel droit, des enseignant(e)s, peuvent-ils(elles) inciter un enfant de 8 ans à parler contre sa religion, celle de ses parents, celle de ses ancêtres ?
Il y a quelques décennies, en France, des professeurs, maîtres de conférences se sont fait virer de l'université pour s'être posé des questions sur les 6 millions de juif(ve)s mort(e)s dans les camps de concentration durant la seconde guerre mondiale. Plus récemment, les arrestations, gardes à vue pleuvent sur l'humoriste Dieudonné qui ne prétend pourtant pas faire de l'information, et qui se présente sur une scène, destinée à séparer l'Imaginaire du Réel, où il laisse libre cours à son imagination... pour faire rire (comme les caricaturistes de Charlie Hebdo !). Liberté d'expression lorsqu'il s'agit d'attaquer les musulman(e)s, mais police et tribunal lorsqu'il s'agit d'égratigner les juif(ve)s. Ne faudrait-il pas réviser le fléau de la balance ?
Laissons parler l'avocat d'Ahmed :
« L'affaire aurait pu s'arrêter là. Mais le 21 janvier, le directeur de l'école décide de déposer plainte, pour deux infractions : "apologie du terrorisme" contre Ahmed, et "intrusion" contre son père. Effectivement, l'enfant étant très perturbé et isolé depuis les faits, son père l'a accompagné jusque dans la cour de récréation à trois reprises après le 8 janvier, avant de se voir interdit d'accès. Trois reprises qui lui ont valu cette plainte pour intrusion. » [Idem].
L'enfant, « perturbé et isolé », n'aurait-il pas reçu des menaces de ses petits camarades chauffés à blanc par l'hystérie politico-médiatico-éducative ? L'attitude d'un père, n'est-elle pas de protéger son enfant ? Voici cet enfant de 8 ans pris dans le tourniquet des mots d'adultes : "apologie du terrorisme"...
Que cet enfant, selon ce que rapporte la directrice-adjointe de la sécurité publique des Alpes- Maritimes, ait refusé la minute de silence, n'est-ce pas compréhensible ? Pour cet enfant, ces hommes qui sont morts ont insulté le Prophète. Il ne faut pas oublier que les caricatures de cet hebdomadaire ordurier représentaient le Prophète dans les positions les plus scabreuses : bonjour l'éducation ! D'ailleurs, comment des autorités politiques, enseignantes, relayées par des médias mainstream, qui prétendent défendre la « liberté d'expression » [sic]... laquelle ?, peuvent-elles forcer les consciences des enfants - dans le cadre de l'école - en les contraignant à une minute de silence ?
Je me souviens encore de cette minute - obligatoire - de silence, le 6 juin 1968, dans mon collège quelques heures après la mort de Robert F. Kennedy : j'avais fait acte de présence hypocrite parce que j'estimais que l'établissement scolaire n'était pas le lieu où l'adolescente de 14 ans que j'étais devait en quelque sorte acquiescer, par une prière que je m'étais bien gardée de réciter, à la politique des Kennedy dont je n'entravais que couic ! Le meurtrier présumé de ce
Kennedy, un Transjordanien, Sirhan Sirhan, qui était né à Jérusalem en mars 1944 et dont la famille avait émigré aux États-Unis comme réfugiée en 1956, était encore emprisonné en 2013.
Me Guez Guez, lui, a davantage les pieds sur terre que les hommes et femmes politiques de notre pays et que les enseignant(e)s de cette école de Nice qui, tous comptes faits, s'en prennent à la parole d'un enfant : « Mercredi, à la question du policier qui voulait savoir s'il connaissait la signification du mot "terrorisme", Ahmed a eu, selon son avocat, une réponse qui en dit long : "Non, je ne sais pas". » [Idem]
Qui pourrait donner une définition du mot « terrorisme », par les temps qui courent ? Les bombes qui, depuis des décennies, tombent, la nuit, le jour, sur l'Afghanistan, l'Irak, la Libye, la Syrie, le Mali, etc., ne sont-elles pas des instruments de terreur ? Ce n'est pas une vingtaine de personnes ciblées qu'elles ont tuées, ce sont des dizaines, des centaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants qu'elles ont massacré(e)s et qu'elles continuent à massacrer. Au regard de ce mot d'enfant, combien d'enfants morts dans ces pays cités ? Rien qu'en Irak... 500.000 enfants sont morts, faute de nourriture et de soins, durant l'embargo « Pétrole contre nourriture » (1996- 2003)... Et, du fait de ces caricatures... combien de morts dans les pays arabo-musulmans ? Quel adulte des pays occidentaux pourrait prétendre faire la morale à cet enfant de 8 ans, après cela ?
Quant au « comportement véhément » du père « depuis plusieurs mois », n'y a-t-il pas de quoi être en colère ? Après les attaques répétées, en France, contre les musulmans, via le foulard islamique, via les caricatures du Prophète (2006, 2012, 2015), ce père devrait-il être insensible aux guerres menées contre les peuples arabes dans leurs propres pays ? Exigerait-on d'un père juif d'être insensible aux camps de concentration?... Cela fait des décennies que les Arabo- musulman(e)s ne sont pas très bien traité(e)s dans notre pays des droits de l'homme, et cela fait des années que les médias mainstream bassinent les citoyen(ne)s avec des réparties injurieuses contre la religion musulmane. Est-il simplement... correct d'attaquer ce qui est du domaine du sacré chez l'autre ? Le pire, c'est que tout ce beau monde d'adultes ne se rend même pas compte du mal qu'il peut faire à des croyant(e)s et du mal qu'il peut faire à des enfants.
Non, ce n'est pas un simple fait divers... L'affaire est grave. Beaucoup plus grave que ne le croient tous ces parangons de vertu qui attaquent la liberté d'expression d'un enfant de 8 ans, au nom de la liberté d'expression de qui, au juste ?
La rupture avec les valeurs républicaines ? Il faudrait déjà que les hommes et les femmes politiques ne fussent pas en rupture avec les valeurs humaines...
Me Sefen Guez Guez, très en colère : « On est face à une hystérie collective. Mon client a 8 ans ! Il ne réalise pas la portée de ses propos. C'est insensé. » [Idem].
Maintenant, les enfants de 8 ans, s'ils sont musulmans, peuvent être considérés comme des vecteurs du terrorisme et interrogés par la police française.
En réalité, pour les peuples, la liberté d'expression est une conquête : blogs.mediapart.fr et-michel-j-cuny
Françoise Petitdemange
Ecrit le 30 janvier 2015