Par Jean-François Mignard
Une épidémie d'apologie du terrorisme à l'École ? Il a 8 ans et fréquente une école primaire à Nice. Lors des échanges organisés entre enseignants et élèves à propos des attentats parisiens de Charlie Hebdo et du supermarché hyper casher de la Porte de Vincennes, il a lâché, bravache une énormité. Alors qu'on le somme d'« être Charlie », il déclare « Moi, je suis terroriste »... et la machine s'enclenche : convocation des parents, entrevue houleuse entre le personnel enseignant et le père qui débouche sur une plainte déposée par le directeur d'école contre les parents pour « apologie du terrorisme » (tarif possible : 75 000 euros et 5 ans d'emprisonnement, rien que ça !), ce qui occasionne une audition du gamin par les policiers qui découvrent à l'occasion qu'il ne comprend pas vraiment la teneur des mots qu'il a utilisé, particulièrement le terme « terroriste »... On aurait pu s'en douter, mais on le sait, à Nice la sécurité est une préoccupation de tous les instants...
Lui, il est âgé de 9 ans et scolarisé à Villers-Cotterêts. Ce lascar est aussi dangereux que le premier. En effet, un de ses petits camarades l'a dénoncé ; il l'aurait entendu crier « Allah Akbar, vive le Coran ! » durant la minute de silence organisée dans tous les établissements scolaires du pays. Le trouillomètre des adultes présents s'emballe et il est auditionné, en présence de ses parents par les gendarmes du coin dans le cadre d'une enquête, là aussi pour apologie du terrorisme... Une épidémie, on vous dit ! Résultat : le procureur en charge du dossier parle de faits « totalement infondés », et le père porte plainte pour dénonciation calomnieuse et diffamation. Décidément, Villers-Cotterêts connait ces derniers temps un climat délétère !
Après les enfants, le tour des enseignants. Il est professeur de philosophie au lycée de Poitiers et fait l'objet d'une suspension de 4 mois pour avoir tenu en cours des « propos déplacés ». Lesquels ? La très zélée administration ne le lui a pas précisé (oui, vous avez bien lu), et il découvrira ce dont on l'accuse un mois avant la tenue du Conseil de discipline qui statuera sur l'avenir de sa carrière. L'origine de cette affaire : une plainte courageusement anonyme de parents (la délation est une vieille tradition de notre beau pays qui se pratique à toutes les époques et à tous les âges !) sur laquelle s'appuie le rectorat local pour semble-t-il vouloir régler son compte à cette forte tête professorale bien connue des services. Notons au passage que cette même brillante administration avait dans un premier temps accusé l'enseignant d'avoir tenu ces propos durant la fatidique minute de silence... à laquelle il n'assistait pas, n'étant pas en service. Il n'étonnera personne que là encore une procédure pour apologie du terrorisme est engagée.
Raison garder, démocratie et respect des droits pratiquer !
Que dire de ces affaires plus calamiteuses et révoltantes les unes que les autres ? Qu'il se vérifie encore une fois que discours martiaux et pratiques sécuritaires d'exception ne font pas bon ménage avec le respect des Droits des citoyennes et citoyens. En effet, dans le climat de trouille ambiant, constatons une fois de plus que les pulsions les plus dangereuses se libèrent, sans le minimum de mesure et de considération humaine qui permet le vivre ensemble. Sans cela, comment concevoir qu'on assigne de façon stupidement autoritaire, sans aucune préparation pédagogique des enfants, quelques fois pris dans de douloureux conflits de loyauté, à des comportements obligés qui n'ont pour eux aucun sens ni signification ? Comment comprendre que l'administration d'un des services majeurs de l'État, souvent d'ailleurs aux abonnés absents sur ce qui devrait constituer son cœur de métier (formation des personnels, animation technique), incite et justifie des comportements absurdes et parfaitement contre-productifs développés par ses agents ?
Halte au feu ! Ne partons pas en guerre contre toute une partie de notre jeunesse, et pas mal de nos compatriotes en cédant et répondant aux appels ainsi qu'aux comportements de guerre et en maniant le gourdin de lois d'émotion. Ce que nous avons vécu est suffisamment grave, le travail de reconstruction de lien social qui nous attend est suffisamment important et urgent pour que nous ne cédions pas à la lâche facilité d'un autoritarisme absurde et sans mesure.
Jean François Mignard
(Photo : Crédit Fotolia chlorophylle)