par Rafael Poch *
L'exposé que nous présentent nos hommes politiques et nos médias concernant la politique extérieure n'est qu'un « tissus de mensonges », dit Oskar Lafontaine, l'un des plus lucides hommes politiques du vieux continent. Il cite les déclarations sans cesse répétée par la chancelière Angela Merkel, à savoir que « 25 ans après la chute du mur de Berlin, il est incroyable que l'on continue de penser en termes de zones d'influence et que le droit international soit violé ».
En disant cela, la chancelière Merkel vise la Russie. Et toute une légion de journalistes, hommes politiques et experts suivent le courant et appellent à jeter de l'huile sur le feu en armant davantage l'Ukraine et en applaudissant à la création de nouvelles forces militaires de l'OTAN en Europe de l'Est.
Pour souscrire à cette considération de Merkel, il faut ignorer tout du monde qui nous entoure, parce qu'une bataille pour des zones d'influence, des ressources et des marchés est menée dans le monde entier et que l'Occident est le premier à la mener en violant le droit international.
Tout ceci est expliqué très clairement, et depuis de nombreuses années, par les gourous de la politique extérieure des Etats-Unis d'Amérique, les Zbigniew Brzezinski, Henry Kissinger et leurs épigones. Il s'agit de quelque chose de reconnu et d'admis. L'élargissement de l'OTAN vers l'Est ne visait rien d'autre que l'extension d'une zone d'influence. Toutes les guerres menées par l'Occident ces dernières années (Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Lybie, Somalie...) l'ont été dans ce sens et au mépris du droit international, en ignorant ou en abusant des résolutions de l'ONU et en commettant des crimes qui s'inscrivent parfaitement dans le concept de terrorisme. « Ceux qui disent que la politique extérieure occidentale et ses guerres ont à voir avec les droits de l'homme, les droits de la femme, la liberté et la démocratie, sont des menteurs », dit Lafontaine.
En Ukraine, la Russie aussi a commis des actions de toute évidence illégales, comme le fait de s'approprier la Crimée et de soutenir les rebelles russophiles de l'Est. Ces actions ne se différencient pas dans la forme de celles que l'Occident a pratiquées en de nombreuses occasions, bien que leur contexte défensif et réactif (il s'agit de ses gens et de sa frontière vitale) soit très clair pour un quelconque observateur neutre.
La Crimée n'a pas été le début d'une agression, mais la culmination d'un processus d'extension de la zone d'influence de l'OTAN en Europe, processus long de 25 années. Cela fait 25 ans que Gorbatchev, d'abord, puis Eltsine, puis Poutine, réclament cette « sécurité européenne intégrée », signée en novembre 1990 à Paris et promise au premier en échange de la réunification de l'Allemagne.
Il est tout simplement incroyable que Madame Merkel, et à sa suite, la plupart des hommes politiques européens et des journalistes bellicistes, ignorent qu'il ne peut y avoir de paix en Europe ni contre la Russie, ni sans la Russie.
Dans le monde entier, nous avons des systèmes oligarchiques qui empêchent la réalisation de l'intérêt général au bénéfice de l'intérêt de petites minorités privilégiées. Avec des aspects et des niveaux différents, cette situation se retrouve en Russie, en Chine, en Europe. L'année dernière, en Ukraine, un mouvement a tenté de changer cela, le Maïdan, mais il a été tout de suite séquestré et trompé par son contexte géopolitique qui l'a réduit à un simple changement d'oligarques, aujourd'hui au service de l'Occident.
La nouveauté dans les 25 années dont il est question, c'est que la Russie a réagi, pour la première fois, par des mesures de force, réaction qui appellerait un châtiment dans la mesure où elle crée un mauvais précédent pour toutes les puissances émergentes du futur monde multipolaire, dont l'Occident ne reconnait d'ailleurs pas l'émergence. Plus tôt l'Occident comprendra qu'il n'est plus le maître du monde et qu'il doit en revenir à la diplomatie et mieux ce sera pour tous. Les négociations de Minsk ne vont pas dans ce sens.
Ce samedi à Munich, Merkel a prononcé une phrase révélatrice en répondant au sénateur états-unien Bob Corker, partisan d'armer l'Ukraine : « Ce conflit ne peut être gagné militairement », et elle a ajouté : « C'est l'amère vérité ». Autrement dit, s'il était possible de gagner militairement, il n'y aurait pas de problème, mais nous sommes pragmatiques et cela n'est pas possible, voilà pourquoi il faut négocier à Minsk. Ce n'est pas là une démarche de paix, et encore moins diplomatique, et c'est pour cela qu'il sera très difficile qu'elle porte ses fruits.
Il est lamentable qu'une telle démarche vienne de l'Allemagne qui n'a manifestement pas intérêt à la guerre et a objectivement intérêt à être en phase avec la Russie.
Rafael Poch pour La Vanguardia
La Vanguardia. Barcelone, 12 février 2015.
* Rafael Poch, Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou et à Pékin. Avant il a étudié l'Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l'agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l'Est (1983 à 1987). Actuellement correspondant de « La Vanguardia » à Paris.
Traduit de l'espagnol pour El Correo par : Marie-Rose Ardiaca
El Correo. Paris, 13 février 2015.