Une semaine après le blocage d'Islamic-News.info mis en oeuvre par les FAI français sur ordre du ministère de l'intérieur sans contrôle judiciaire, et alors que l'éditeur conteste les accusations qui lui valent cette censure, Numerama a décidé d'introduire un recours pour faire retirer l'ordre de blocage. Conscients de la polémique que notre démarche peut soulever, nous présentons nos explications sous forme de FAQ. A lire avant d'insulter.
Vous pouvez consulter le courrier du recours gracieux (.pdf) sous cet article, et si vous le souhaitez envoyer vous-mêmes votre propre recours en adaptant la version éditable (.odt) que nous mettons à votre disposition. S'il y a des questions à laquelle cette FAQ ne répond pas, posez-les en commentaires, nous tenterons d'y apporter rapidement les réponses.
1. Vous défendez donc les islamistes ?
Non ! Nous défendons le droit et la démocratie contre lesquels se battent les terroristes. Nous défendons par réflexe démocratique le droit d'Islamic-News et de tout média quel qu'il soit de publier les idées et les informations qu'il souhaite dans les limites de ce qu'autorisent la loi et le droit international. L'Etat français, sans faire valider ses accusations par un juge indépendant, a affirmé que ce média faisait publiquement l'apologie d'actes de terrorisme ou provoquait directement à des actes de terrorisme, ce qu'il n'a pas démontré. Les seules explications fournies par le ministère de l'intérieur par voie de presse sont insuffisantes à justifier un blocage administratif, c'est-à-dire une censure sur ordre policier. En démocratie, la censure préventive et extra-judiciaire d'un organe de presse, fut-il amateur et anonyme (ce que la cour de cassation elle-même juge sans incidence), ne doit être justifiée que dans des cas d'extrême urgence et en l'absence de tout doute sur la qualification pénale des propos qui y seraient régulièrement publiés.
2. Souhaitez-vous le déblocage d'Islamic-News ?
Oui... ou non. Nous demandons que le ministère de l'intérieur retire son ordre de blocage s'il reconnaît qu'il est abusif, ou alors qu'il le motive par des arguments de fait et de droit s'il maintient qu'Islamic-News est un site qui fait publiquement l'apologie du terrorisme ou provoque directement à des actes de terrorisme. Dans ce dernier cas, nous souhaitons que la justice puisse vérifier le bien-fondé de ces accusations graves et confirmer la légitimité du blocage lors d'une procédure contradictoire, ou ordonner elle-même le déblocage si elle estime qu'il est attentatoire aux droits et libertés fondamentaux. En bref, nous voulons replacer la justice au centre d'un processus d'atteinte par la puissance publique à la liberté d'expression, comme le souhaite aussi le Syndicat de la Magistrature.
3. Mais les propos publiés par Islamic-News étaient vraiment choquants !
Il n'y a rien d'illégal à choquer. Comme le répète régulièrement depuis 40 ans la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) la liberté d'expression "vaut non seulement pour les 'informations' ou 'idées' accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population". Si nous ne défendons que la liberté de ceux qui pensent comme soi, alors nous ne défendons plus rien. Si nous prétendons avoir des principes mais que nous n'appliquons pas ces principes dans les situations qui nous déplaisent, alors ce ne sont plus des principes, mais de simples postures sans armature.
Encore une fois, nous ne défendons pas les idées d'Islamic-News. Nous défendons son droit de les exprimer, et notre droit d'y avoir accès, et donc de pouvoir critiquer ces idées. La CEDH rappelle que la liberté d'expression "constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun". L'ONU elle-même a affirmé dès 1946 lors de sa toute première Assemblée Générale que la liberté d'expression était "la pierre de touche de toutes les libertés".
En défendant le droit d'accéder aux propos choquants d'Islamic-News.info ce n'est donc pas Islamic-News que nous défendons. Nous défendons une liberté qui est une pierre angulaire de la démocratie. Nous nous défendons nous-mêmes.
4. Vous n'êtes pas l'éditeur du site bloqué, donc votre liberté d'expression à vous n'est pas bafouée. Quel est le fondement de votre action ?
La liberté d'expression n'est pas seulement le droit de s'exprimer. Le droit international reconnaît que c'est aussi le droit de recevoir sans entraves des idées et des informations, sans considérations de frontières. Lorsque l'Etat demande qu'il ne soit plus possible d'accéder à un site internet, il ne porte pas atteinte uniquement au droit de l'éditeur du site de s'exprimer, mais aussi au droit de l'internaute de s'informer. C'est aussi pour cela que l'action est portée à titre personnel par le rédacteur en chef de Numerama, en tant qu'internaute parmi des millions d'autres.
L'éditeur belge d'Islamic-News a fait le choix de ne pas s'engager dans une procédure de contestation de la décision française, estimant que sa réputation était de toute façon irrécupérable après l'affirmation infamante désormais affichée par la page de redirection du ministère de l'intérieur français, mais cela ne veut pas dire que les internautes ne peuvent pas eux-mêmes s'opposer au fait que l'Etat les prive d'accéder à un site internet.
5. Islamic-News n'existe plus de toute façon... A quoi bon demander son déblocage ?
Pour le moment, c'est vrai qu'Islamic-News a fait le choix de ne plus payer ses factures d'hébergement pour un site auxquels les internautes ne peuvent de toute façon plus avoir accès dans leur majorité. Mais ça ne retire rien aux questions de principe que nous soulevons. De plus, si on en reste aux principes, en principe nous n'avons aucun moyen de savoir qu'Islamic-News.info n'existe plus, puisque nous sommes redirigés lorsque nous tentons d'y accéder. Si le ministère de l'intérieur nous répond que le site n'existe plus, il devra en tirer la conclusion logique d'ailleurs imposée par la loi qu'il faut demander aux FAI son déblocage, puisque les contenus litigieux ont disparu. Mais il prendrait alors le risque de son retour en ligne.
6. Et puis de toute façon le blocage est inefficace, on peut le contourner facilement
Numerama a toujours fait le choix de ne pas se placer sur le terrain de l'inefficacité du blocage, qui nous semble dangereux à plusieurs titres. Tout d'abord parce qu'évoquer l'inefficacité du blocage par DNS, c'est implicitement appeler à sortir une artillerie plus lourde, qui pourrait aboutir au blocage par DPI, donc à l'inspection des communications des internautes. Ensuite parce que ce n'est pas parce qu'une mesure ordonnée n'est pas efficace qu'elle n'est pas légitime, ni parce qu'une mesure ordonnée peut être contournée que la question de son illégitimité ne doit pas être soulevée. C'est le principe-même du blocage ordonné par la police plutôt que par la justice qui nous intéresse, pas la mise en oeuvre de la décision.
7. Quelles sont les prochaines étapes ?
Ce lundi 23 mars 2015, nous envoyons une demande de recours gracieux à l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), qui est l'organe administratif ayant ordonné le blocage aux FAI. Ce recours sera accompagné immédiatement d'un recours hiérarchique introduit auprès du ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve. Il faudra ensuite que l'on attende une réponse à ces deux courriers. A défaut de réponse, notre demande sera réputée rejetée implicitement dans 2 mois. Il nous sera alors possible de demander les motivations du rejet implicite, puis d'introduire au besoin une action contentieuse devant le tribunal administratif de Cergy Pontoise, qui pourrait nous conduire au Conseil d'Etat, puis devant la Cour européenne des droits de l'homme (pour toutes ces étapes successives nous solliciterons sans doute le concours pro-bono d'un avocat spécialisé en droit administratif, et/ou le soutien des internautes prêts à nous aider dans la démarche).
C'est à l'occasion de ces recours contentieux que l'Etat aura l'obligation d'apporter les preuves de ce qu'Islamic-News fait effectivement l'apologie du terrorisme ou provoque directement à des actes de terrorisme, ce que la justice devra enfin vérifier et confirmer ou invalider.
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