Karl Sabbagh
Le passé est un outil politique puissant. Son interprétation et sa destruction sélectives doivent être condamnées, qu'elles soient le fait du groupe État islamique ou d'Israël.
Mosaïque, en cours de dégagement par une équipe d'archéologues, de l'église byzantine du Mukheitem à Jabaliyah où l'on voit des victuailles et des ustensiles datant du 6e siècle - Photo Patrick Chapuis
Le lien entre religion et archéologie est au centre de l'actualité en ce moment. La prise de Palmyre par le groupe État islamique suscite la crainte que, comme cela est arrivé à Nimroud en Irak, le fanatisme de l'EI n'entraîne la destruction d'œuvres d'art qu'ils considèrent comme des « idoles ».
Certains commentateurs se demandent pourquoi la menace de détruire des pierres inanimées semble provoquer plus d'indignation en Occident que les morts et les blessés que la brutalité de l'EI fait parmi les non-musulmans. Cela dit, il ne s'agit pas d'une situation où on ait le choix entre l'un ou l'autre.
Je suis consterné par la détérioration et la destruction de centres culturels et historiques uniques au monde, mais ce qui me désespère encore plus, c'est le fait que tous les êtres humains - et pas seulement l'EI - ont l'air de trouver presque normal que d'autres êtres humains soient massacrés au nom de la religion, de la politique, ou du nationalisme.
La destruction d'un pan de l'histoire culturelle de l'humanité
La destruction de Nimroud, ou des bouddhas de Bamiyan par les talibans est vécue différemment, parce que la valeur que ces œuvres revêtent aux yeux de l'humanité toute entière - pour autant qu'on puisse en juger - est de nature différente de celle qu'on attache à la vie des êtres humains.
Leur valeur n'est pas supérieure à celle de la vie humaine, mais elle est différente parce que voir, toucher, être en présence d'œuvres d'art exceptionnelles et qui nous relient aux communautés humaines qui nous ont précédés sur terre semble répondre à un besoin humain fondamental.
En vérité, même les gens qui ne sont pas religieux affluent pour voir de leurs yeux des objets dont aujourd'hui, grâce à la technologie moderne, ils pourraient tout savoir en restant assis chez eux en face d'un écran de télévision de haute définition.
Il y a deux semaines, lors d'une conférence à Londres, l'ancien archevêque de Canterbury, Rowan Williams, a dit que l'histoire était « un endroit où on venait chercher ses titres de propriété ».
Peut-être que les musulmans radicaux n'aiment pas qu'on leur rappelle qu'ils font tous simplement partie d'une longue lignée de gens qui croient avoir des droits exclusifs sur une terre ou un système de croyances.
Williams avait intitulé son exposé « Archéologues militants » et, non content de dénoncer les abus contre l'histoire et l'archéologie commis par l'EI, il a aussi critiqué la façon dont les archéologues israéliens ignorent et même détruisent des preuves historiques de culture, démographie ou religion non-hébraïques, en Palestine.
Il a souligné que, en plus de fournir des « titres de propriété », l'histoire peut être une menace - « Vous découvrez des preuves d'une histoire familiale que vous voudriez supprimer... Vous serez tenté de les mettre au feu... L'histoire officielle est l'ennemie potentielle de l'authenticité et de l'intégrité, les seules choses dont j'ai besoin pour savoir tout ce que je dois savoir, et « s'il vous plaît n'essayer pas de m'enfumer avec vos 'preuves' ».
Parmi les nombreux exemples où les découvertes ne sont pas autorisées à interférer avec l'histoire officielle, il y a le projet de parc à thème dans la « Cité de David », à Jérusalem, qui s'édifie en grande partie sur des terres palestiniennes confisquées.
Au cours des fouilles effectuées sur ce site situé dans le quartier de Silwan, les archéologues israéliens ont détruit des artéfacts datant de l'ère jébuséenne cananéenne au deuxième millénaire avant JC, dans leur tentative désespérée de privilégier un ensemble de « titres de propriété » aux dépens d'autres tout aussi valides. Les fouilles ont également abouti à la destruction de plusieurs sites islamiques anciens, y compris un cimetière datant du califat abbasside.
Le but est de renforcer la narrative israélienne
Rien de tout cela n'est nouveau. Ça a commencé des décennies avant que l'EI n'existe. En 1967, Israël a rasé le quartier des Maghrébins de Jérusalem, vieux de 800 ans, après avoir déplacé 650 Palestiniens et détruit de nombreuses mosquées, de maisons et lieux saints, pour construire une esplanade devant le Mur occidental.
De tels actes de vandalisme, perpétrés pour exalter le judaïsme, ont été légitimées par le premier « archéologue militant », le général Moshe Dayan, qui a mené de nombreuses fouilles illégales pour trouver des « preuves » de l'existence de personnalités juives, comme Abraham, David et Moïse, dont l'existence n'est pas attestée historiquement. Après sa mort, le musée d'Israël a racheté sa collection illégale d'objets d'art pour 1 million de dollars.
Dans n'importe quel autre pays, prendre des artefacts sur des sites archéologiques sans respecter les règles régissant les fouilles selon lesquelles chaque élément prélevé doit être soigneusement enregistré et préservé, serait appelé du pillage.
Eitan Klein, le directeur adjoint de l'Unité de prévention du vol d'antiquités israélienne, a récemment critiqué la façon dont se passait parfois l'extraction des artéfacts sur les sites archéologiques israéliens.
« Ce sont des gens qui s'y connaissent en archéologie, ils connaissent le terrain et ils savent déchiffrer les signes et les indices qui indiquent où les antiquités sont susceptibles de se trouver » a-t-il dit. « Chaque gang se compose de cinq à dix personnes qui essaient de trouver le plus grand nombre d'antiquités que possible en aussi peu de temps que possible, sans se préoccuper de préserver le site existant. »
Il parlait de voleurs professionnels, mais cela pourrait aussi bien s'appliquer aux « archéologues militants » israéliens qui se consacrent tranquillement à leur mission qui est de détruire tout ce qui entre en conflit avec les récits bibliques auxquels ils s'accrochent comme autant de titres de propriété des terres qu'ils occupent.
Nimroud et Palmyre ; Silwan et le quartier des Maghrébins - y a-t-il la moindre différence entre les idéologies des « archéologues militants » fondamentalistes qui ont vandalisé ces différents sites ?
29 mai 2015 - Al-Araby al-Jadeed - Vous pouvez consulter cet article à :
alaraby.co.uk
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet