Par Charlotte Silver
Charlotte Silver est une journaliste basée à San Francisco. Twitter: 𝕏 @CharESilver
04.06.2015 - Dans un bâtiment administratif caché au plus profond d'une des banlieues spacieuses de Jérusalem-Ouest, la dernière phase d'une longue lutte pour un coin de terre au cœur de la ville s'est conclue la semaine dernière. Le Comité national de planification d'Israël a examiné l'appel de plusieurs organismes qui s'opposent à la poursuite de l'expansion du contrôle du puissant groupe de colons d'Elad sur les sites archéologiques de Silwan, quartier palestinien dense situé à quelques mètres de la Mosquée Al-Aqsa et des remparts de la Vieille Ville, à Jérusalem-Est occupée. Avec la bénédiction des autorités, Elad projette de construire un nouveau centre de visite géant sur un site de fouilles.
Le village Silwan, à l'Est de Jérusalem occupée (Anne Paq / ActiveStills)
Elad (l'acronyme hébreu de "Pour la Ville de David") est un organisme privé qui est devenu de facto administrateur de quelques-uns des sites archéologiques les plus controversés à Jérusalem. Elad a été créé en 1986 avec l'objectif explicite de faire partir les Palestiniens de Jérusalem Est et d'installer des juifs à leur place. Il y parvient en aidant à l'achat ou à la saisie des biens palestiniens.
L'automne dernier, profitant de la nuit et flanqué de policiers et de gardes de sécurité privés, Elad a fait emménager des dizaines de colons israéliens dans 25 appartements à Silwan. Les appartements étaient vendus à une société enregistrée à l'étranger, mais considérée comme un Elad déguisé, pour des sommes allant de 1 à 2 millions de dollars.
Après deux audiences devant le Comité de planification, au cours desquelles des habitants palestiniens de Silwan, des avocats de défense des droits de l'homme ainsi que des experts en architecture et aménagement urbain ont fait valoir leurs arguments contre l'Etat israélien et Elad, le Comité doit maintenant délibérer et rendre sa décision finale, à savoir si le projet de construction peut être ou non poursuivi.
Pendant ce temps, à l'entrée de la zone Wadi Hilweh de Silwan, un cratère révèle que les fouilles archéologiques sur le site sont bien en cours. La fosse est entourée d'un mur bâché portant des images qui montrent à quoi ressemblera le produit fini d'Elad si l'appel des résidents échoue : un nouvel énorme centre de visites archéologiques qui sera nommé "complexe Kedem", une extension du Parc national de la Cité de David à Silwan.
Le site était autrefois connu sous le nom de Aire de Stationnement Givati.
Un quartier négligé
Comme la plupart des quartiers palestiniens de Jérusalem Est, Silwan est globalement négligé par les autorités israéliennes et les services de base fournis vont de insuffisants à inexistants. Alors que les Palestiniens représentent 40 pour cent de la population de la ville, ils ne reçoivent que 10 pour cent du budget de la ville, d'après le groupe de défense des droits de l'homme Ir Amim.
Avec un nouveau bâtiment ultra-moderne situé dans un environnement paysagé, le complexe Kedem comprendra un musée archéologique de sept étages, des amphithéâtres, des salles de cours, des magasins et un parking souterrain. Lorsque le vaste ensemble sera terminé, Kedem offrira aux promeneurs une visite agréable grâce à son site de fouilles de 718 mètres de profondeur, et transformera de façon permanente l'horizon de la ville.
Mais les habitants de Wadi Hilweh s'attendent à ce que la nouvelle structure les isole davantage de la Vieille Ville et du reste de Jérusalem. "Ils contrôlent l'entrée et la sortie du village," a dit à The Electronic Intifada Jawad Siyam, directeur du Centre d'information Wadi Hilweh.
Jawad Siyam en février 2011, lors d'une énième arrestation par les forces d'occupation
Les résidents palestiniens s'opposent farouchement au projet, craignant que sa création n'inaugure l'arrivée en force de davantage de gardes de sécurité privés et de policiers des frontières qui gardent les colons juifs et menacent les habitants palestiniens. Ces cinq dernières années, Silwan est la cible de la police de Jérusalem : des adolescents sont régulièrement arrêtés, interrogés et détenus. Beaucoup racontent avoir été brutalisés pendant le processus.
Audacieux et destructeur
Pendant les deux jours d'audience, l'Etat a défendu la construction de l'énorme centre de visiteurs, arguant qu'il contribuerait à la préservation d'un site historique. Mais Yonatan Mizrachi, membre du groupe archéologique alternatif Emek Shaveh, a réfuté cette excuse. "C'est très simple : si vous faites un creusement, tout bâtiment qui sera construit au-dessus endommagera les artefacts," a-t-il dit à The Electronic Intifada.
Raphael Greenberg, archéologue et professeur à l'université de Tel Aviv, a également dit que les pelles mécaniques ont détruit les couches des ères musulmanes, dont un cimetière du 11ème siècle.
David Kroyanker, expert en histoire architecturale de Jérusalem, a décrit la proposition Kedem comme "le plan le plus audacieux" qu'il ait jamais vu, avec "un potentiel destructeur."
Elad et le Service des Antiquités d'Israël (Israël Antiquities Authority, IAA) a évité d'établir les plans de conservation normalement requis en matière de projets archéologiques en reportant la réalisation des propositions officielles pour construire l'énorme structure.
Collusion avec un groupe criminel
L'IAA est un allié crucial d'Elad. Ce ne fut toutefois pas toujours le cas. Une enquête approfondie conduite par Emek Shaveh et le journal Ha'aretz a noté l'an dernier un net changement de position de l'IAA au sujet de construction sur des sites archéologiques. L'enquête a révélé que par le passé, l'IAA était contre une construction de ce type sur des sites archéologiques. Par exemple, en 1997, en opposition aux colons et au Premier ministre de l'époque Ariel Sharon, le conseiller juridique de l'IAA, Yoram Bar-Sela, écrivait, "le Service des Antiquités maintient catégoriquement qu'il est vital de préserver la Cité de David, et qu'aucune construction d'aucune sorte ne doit être réalisée sur le site."
Bar-Ela accusait Elad d'être "directement responsable des dommages criminels aux antiquités."
Mais en 2005, l'IAA a fait volte-face. Aujourd'hui, le contrôle opérationnel d'Elad sur la Cité de David a son soutien total.
Commentant l'attitude de l'IAA aux audiences, Mizrachi a dit : "C'était très intéressant de voir pendant les audiences l'IAA défendre la structure, au lieu de l'archéologique."
En 1987, l'UNESCO a classé la Vieille Ville de Jérusalem et ses remparts "patrimoine mondial" et a déclaré que le site était en danger. L'année dernière, les opposants à la construction du complexe Kedem ont demandé à l'UNESCO d'intervenir pour protéger les murs de la Vieille Ville.
Il convient de noter que le président d'UNESCO-Israël était, jusqu'à l'année dernière, Arie Rahamimoff, le même architecte qui a conçu la proposition de Complexe Kedem. Selon Mizrachi, Rahamimoff travaille avec Elad depuis plus de deux décennies et a conçu plusieurs des immeubles du groupe.
Contrôle renforcé
Sous exploitation d'Elad, la Cité de David dispense une interprétation de l'histoire archéologique du secteur qui vise à établir un lien direct entre l'histoire, tirée de la bible, d'un Royaume de David vieux de 3000 ans et l'Etat israélien moderne.
La nouvelle série de la télévision états-unienne "Dig" ("Creuse" en anglais, ndt) a fait l'objet de vives protestations parce qu'elle promeut cette vision de l'histoire et de l'archéologie de la ville. Le célèbre professeur Reza Aslan est le "conseiller culturel" de la série, qui n'a pas été renouvelée une deuxième année, comme cela a été récemment annoncé.
"Je pense qu'à Silwan, nous avons un cas tout à fait unique où les colons ont décidé de promouvoir leurs objectifs - agrandir leurs colonies - à travers l'archéologie. Les structures leur donnent plus d'emprise sur le village. Ils trouvent qu'il est plus commode de parler d'archéologie que de parler de colonies. Finalement, cela fait partie de la lutte pour Silwan," a déclaré Mizrachi.
Jawad Siyam a déclaré que ces sites archéologiques sont utilisés pour permettre aux colons et à leurs partisans de ressentir un lien de propriété avec un quartier dans lequel ils restent minoritaires : il y a environ 700 colons juifs à Silwan, alors que le nombre de Palestiniens est d'entre 20.000 et 50.000 habitants.
"Ils seront toujours minoritaires," dit Siyam. "Mais cela ne signifie pas qu'ils ont moins de contrôle."
Le jour où cet auteur a rencontré Siyam, un jeune Palestinien de Silwan avait été arrêté par la police israélienne. La veille, cinq autres avaient été attrapés et jetés en prison.
Siyam prévoit que le complexe Kedem servira de lieu de rassemblement aux colons juifs la nuit, créant ainsi un environnement encore plus hostile pour les Palestiniens.
L'avocat Sami Ershied est impliqué dans la défense des habitants de Silwan depuis la fin des années 1990, mais il ne s'est opposé de façon vigoureuse aux projets archéologiques que depuis 2007. Il représente les habitants de Silwan contre le projet de construction.
Ershied a souligné que Jérusalem Est est considérée occupée par le droit international, rendant problématique toute décision israélienne de développement du secteur. "Toute action ici, ou tout exercice du pouvoir ici, est intrinsèquement conflictuel en soi," dit-il.
Si le Comité national de planification donne le feu vert au projet Kedem, Ershied fera appel de la décision devant la Cour des affaires administratives d'Israël.
Interrogé sur la façon dont les projets archéologiques ont transformé Silwan depuis qu'il a commencé à travailler sur le secteur il y a près de 20 ans, Ershied dit : "Juste dans une seule direction : Silwan a été façonné au cours des 15 dernières années par des plans qui isolent les communautés palestiniennes de la Vieille Ville et de son environnement. Il n'y a aucune amélioration des plans de logement à Silwan ; pas de logements supplémentaires pour les zones Silwan et Wadi Hilweh et, d'un autre côté, pléthore de plans et de projets pour renforcer le contrôle israélien sur le secteur."
Source : Electronic Intifada
Traduction : MR pour ISM