Ammar BELHIMER
Roland Lombardi, consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil, revient sur la prise de Palmyre, la « Perle du désert », en Syrie, par les hordes de Daesh depuis le 30 mai dernier.
La question pertinente qu'il se pose est dans le titre de sa contribution : « Palmyre : otage de Daesh ou des Occidentaux ? »(*).
La prise de Palmyre et les relatives « victoires » de Daesh en Syrie et en Irak sont associées à de l'« irreal politik » et aux « flottements stratégiques » des deux piliers de la coalition internationale que sont la France et les Etats-Unis. S'agissant des « flottements stratégiques », l'auteur de l'article rappelle : « Les stratèges occidentaux, plus pragmatiques et réalistes que leurs dirigeants, le savent pertinemment : il n'y aura pas de victoire sur Daesh sans Assad et surtout son puissant allié iranien, voire même la Russie ! » Aussi, ne faut-il pas « enterrer trop vite le maître de Damas », relève encore Roland Lombardi. Une remarque pertinente que semble continuer d'ignorer le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, et certains autres responsables français qui réitèrent « les sempiternelles sornettes que leur soufflent aux oreilles les derniers utopiques du printemps arabe et les défenseurs d'une « opposition laïque syrienne », notamment l'idée perverse que « pour venir à bout de Daesh, il faut faire tomber Assad » !
Le Guardian ne trahit pas la perception occidentale en révélant avec finesse : « Au Moyen-Orient, la sagesse conventionnelle veut que l'Etat islamique ne sera pas vaincu tant que Bachar Al-Assad sera en place. » Les Occidentaux continuent à voir la région à travers le prisme déformant des monarchies pétrolières. En octobre 2014, Joe Biden avouait devant son auditoire à la Harvard Kennedy School : « Nos alliés dans la région ont été notre plus grand problème en Syrie... les Saoudiens, les Emirats arabes unis, etc. qu'ont-ils fait ? Ils étaient tellement résolus à abattre Assad et à mener une guerre par procuration entre chiites et sunnites, qu'ont-ils fait ? Ils ont déversé des centaines de millions de dollars et des millions de tonnes d'armes sur quiconque était prêt à se battre contre Assad. Mais ceux qui ont reçu tout ça, c'étaient Al-Nosra et Al- Qaïda et des djihadistes extrémistes venus du monde entier. »
Il ne faut certainement pas minimiser l'avancée de Daesh : « En Syrie, en s'emparant de Palmyre et des vastes régions désertiques qui l'entourent, l'EI peut certes revendiquer le contrôle de presque 50 % du territoire (encore une fois quasiment inhabité et désertique). » Il reste toutefois à inscrire cette percée terroriste dans une stratégie plus globale, notamment marquée par une « pause opérationnelle » des troupes loyales au régime, toujours soutenues par environ 8 000 combattants du Hezbollah, encadrées par des conseillers russes et des officiers iraniens : « Mais n'enterrons pas trop vite, comme naïvement le font certains, le maître de Damas. Certes, le régime d'Assad doit combattre sur plusieurs fronts : milices salafistes djihadistes affiliées à Al-Qaïda au nord-ouest et au sud-ouest, Etat islamiste à l'est. Toutefois, l'armée syrienne concentre ses forces sur Damas, le long de la frontière libanaise et sur la côte méditerranéenne (province alaouite de Lattaquié), c'est-à-dire la Syrie utile. » Rappelant l'adage romain « l'erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique » (errare humanum est, perseverare diabolicum), l'auteur revient 70 ans en arrière, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour conclure : « Il est bon de rappeler que si Churchill et Roosevelt ne s'étaient pas alliés avec le diable Staline, ils n'auraient peut-être pas vaincu le nazisme... mais à l'époque, les démocraties occidentales avaient pour chefs de vrais et de grands hommes d'Etat... »
Le problème aujourd'hui est tout autre. Il semble tenir dans une équation, inavouée et inavouable, des cercles dirigeants occidentaux : faire de cette création des laboratoires militaires, Daesh, le moyen de maintenir un monde arabe, désormais exsangue et à genoux, sous leur emprise et - pour ce faire - enterrer l'image de l'Islam, « religion de paix et de tolérance ». C'est pourquoi les Etats-Unis, qui restent sur la même longueur d'onde française, et œuvrent à « établir une principauté salafiste en Syrie », et faciliter la naissance d'un État islamique « pour isoler le régime syrien », selon un document déclassifié de la Defense Intelligence Agency (DIA) - il est daté du 12 août à 2012, auquel Brad Hoff a consacré un article ce 22 mai dans Levant Report (**). Il y est écrit, noir sur blanc : « Pour les pays occidentaux, ceux du Golfe, et la Turquie [qui] tous soutiennent l'opposition [syrienne]... la possibilité existe d'établir de façon officielle ou pas une principauté salafiste dans l'est de la Syrie (Hasaka et Der Zor), et c'est exactement ce que veulent les pouvoirs qui appuient l'opposition, de façon à isoler le régime syrien... » Ainsi, dès l'année 2012, les services de renseignement étasuniens prévoyaient la montée d'un État islamique en Irak et au Levant et le définissaient comme un atout stratégique pour les EU. Certes, on n'ignorait pas le rôle des agences de renseignement occidentales dans la formation et l'entraînement de l'opposition armée en Syrie, mais nous avons là la confirmation de la théorie selon laquelle, fondamentalement, les gouvernements occidentaux voient Daesh comme leur propre outil pour provoquer un changement de régime en Syrie. D'où les preuves irréfutables du soutien matériel par la CIA et le Département d'État des terroristes de Daesh sur le champ de bataille syrien depuis au moins 2012-2013. Le document officiel de l'Agence d'intelligence du Pentagone (DIA), daté du 12 août 2012, déclassifié le 18 mai 2015 à l'initiative du groupe conservateur Judicial Watch dans la compétition pour les présidentielles, le prouve clairement.
C'est ce « califat voulu par les Etats- Unis » qui inspire la chronique de Manlio Dinucci dans le quotidien italien Il Manifesto, de mardi dernier (***). Revenant sur le document de la DIA, il y voit la confirmation que « l'Isis (Daesh), dont les premiers noyaux viennent de la guerre en Libye, s'est formé en Syrie, en recrutant surtout des militants salafistes sunnites qui, financés par l'Arabie Saoudite et d'autres monarchies, ont été approvisionnés en armes à travers un réseau de la CIA (documenté, en plus du New York Times, par un rapport de Conflict Armament Research) ». L'éditorialiste italien n'a pas la mémoire courte : « Cela explique la rencontre en mai 2013 (documentée photographiquement) entre le sénateur étasunien John McCain, en mission en Syrie pour le compte de la Maison Blanche, et Ibrahim Al-Badri, le « calife » à la tête de Daesh. Cela explique aussi pourquoi Daesh a déclenché l'offensive en Irak au moment où le gouvernement du chiite Al-Maliki prenait ses distances avec Washington, en se rapprochant de Pékin et Moscou. »
Ammar Belhimer
(*) Roland Lombardi, « Palmyre : otage de Daesh ou des Occidentaux ? » econostrum.info
(**) Brad Hoff, Levant Report, 22 mai 2015. levantreport.com com-article-alleging-the-west-backedislamic-state/
(***) Manlio Dinucci, « Le califat voulu par les Etats-Unis », Il Manifesto, mardi 26 mai 2015. ilmanifesto.info Traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio.
»» http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/06/02/article.php++cs_INTERRO++sid=1794...