22/03/2019 reporterre.net  10min #153733

 Gilets jaunes : un acte 18 pour marquer une nouvelle phase de la mobilisation (En Continu)

Face aux « réquisitions » de portraits de Macron, les autorités contre-attaquent

réquisitions

Pour dénoncer l'inaction du gouvernement français dans la lutte contre le changement climatique, des militants ont lancé il y a un mois l'opération « Sortons Macron » : réquisitionner dans les mairies le portrait présidentiel. Les autorités ont décidé de systématiquement poursuivre les activistes pour « vol en réunion ».

Et dix de plus ! Jeudi 21 mars, dix personnes, membres d'Action non violente - COP21, ont été arrêtées à Ancenis et Nantes (Loire-Atlantique), à Paris et dans la vallée de l'Arve (Haute-Savoie). À la mi-journée, au moins six d'entre elles étaient placées en garde à vue. Sans oublier le vidéaste Vincent Verzat, lui aussi convoqué et placé en garde à vue dans le commissariat du 4e arrondissement de la capitale. En un mois, le mouvement climatique compte pas moins de 35 personnes inquiétées, 21 gardés à vue, quatorze perquisitions, et quatorze militants poursuivis en procès. « Il s'agit d'une répression d'une ampleur inédite pour nous », observe Pauline Boyer, l'une des dix activistes convoquées hier.

Mais qu'ont donc fait ces militants pour susciter le courroux des autorités ? Depuis un mois, ils ont décroché des portraits d'Emmanuel Macron dans vingt-six mairies. « Le vide laissé par les portraits enlevés incarne le vide de la politique climatique et sociale du gouvernement », résume Pauline Boyer. Décrocher l'effigie du président pour signifier le décrochage du pays vis-à-vis de ses engagements climatiques. « À la suite de l'Affaire du siècle et de la réponse très insatisfaisante des ministres, on a cherché une manière de dénoncer l'inaction du gouvernement en matière climatique, poursuit la militante. L'urgence est telle qu'on est à un moment de l'histoire où chaque dirigeant doit user de son pouvoir pour mettre en place une transition écologique juste. S'il ne le fait pas, il n'est pas à la hauteur de son mandat et doit partir. » Le sociologue Albert Ogien, auteur d'un ouvrage intitulé Pourquoi désobéir en démocratie, salue une « idée originale » : « La désobéissance civile suppose de ne pas appliquer délibérément une loi ou un règlement qu'on considère injuste ou illégitime, en cherchant à se faire juger afin de remettre en cause la loi, explique-t-il. Ainsi, il est très difficile de résister à l'inaction politique, de désobéir à l'absence de loi. » Les militants climatiques semblent avoir trouvé une parade. Le 21 février dernier, ils lançaient ainsi l'opération « Sortons Macron », en retirant les portraits dans trois mairies différentes, à Paris, Lyon et Bayonne.

Dans les faits, des groupes de militants se sont rendus dans des mairies aux quatre coins de la France, des Bouches-du-Rhône à la Loire-Atlantique, du Pays basque à l'Alsace, en passant par la vallée de l'Arve. Le modus operandi suit un déroulé précis. Les activistes entrent dans les hôtels de ville, se rendent dans la salle où se trouve le portrait présidentiel, le décrochent, le placent dans une housse prévue à cet effet, et repartent, non sans avoir discuté avec les élus ou les agents présents, et pris des photos de leur action. Le tout à visage découvert et sans violence. Les portraits sont gardés dans des lieux tenus secrets, et « seront restitués quand le gouvernement aura pris des mesures sociales et écologiques ambitieuses », promet Pauline Boyer. « Dans la mairie du 5e arrondissement, on est entrés et sortis comme dans un moulin, sans croiser personne, se rappelle Cécile Marchand, qui a passé plus de dix heures en garde à vue le 12 mars dernier. À la mairie du 3e arrondissement, en revanche, les vigiles ont voulu nous évacuer, mais nous étions très nombreux, et nous nous sommes dispersés avant que la police n'arrive ».

« Le portrait présidentiel ne fait pas partie des symboles de la République, comme peuvent l'être notre drapeau ou notre devise »

Certains édiles ont bien réagi, allant jusqu'à ôter eux-mêmes le portrait présidentiel. À Cabestany, dans les Pyrénées-Orientales, Jean Vila a ainsi vu « débarquer un groupe accompagné de la presse et de la télé », raconte le maire communiste joint par Reporterre : « Ils m'ont expliqué la raison de leur venue, à savoir qu'ils réquisitionnaient le portrait du président pour dénoncer sa politique sociale et climatique, et je leur ai immédiatement répondu que je leur confiais le portrait avec plaisir, puisque je partage l'essentiel de leurs revendications. » À l'inverse, d'autres élus ont dénoncé une « atteinte à un symbole de la République », comme Jean-François Legaret, maire du 1er arrondissement de Paris,  qui a par ailleurs affirmé avoir porté plainte.


Réquisition du portrait du président de la République le 2 mars 2019 à Saint-Jean-de-la-Ruelle (Loiret).

Les maires ne sont pas les seuls à s'être montrés contrariés. Dès le 21 février, le ministre Sébastien Lecornu se fendait d'un  communiqué furibond, condamnant « ces agissements avec la plus grande fermeté ». « L'intrusion dans une mairie sans l'autorisation du maire ou de ses équipes est punie par la loi, ajoutait-il. Le décrochage volontaire et médiatisé des portraits du président de la République est une atteinte symbolique à nos institutions démocratiques et doit cesser immédiatement. De plus, il viole les équilibres républicains qui ont été respectés depuis toujours, quelles qu'aient été les alternances politiques. » Et de conclure : « Respectons la République. » À en juger par le nombre impressionnant de convocations et de perquisitions, l'exécutif semble avoir joint le geste à la parole, et donné des instructions au parquet et aux forces de l'ordre pour que ces actions soient systématiquement poursuivies. Le chef d'accusation retenu est celui de « vol en réunion ».

« Le portrait présidentiel ne fait pas partie des symboles de la République, comme peuvent l'être notre drapeau ou notre devise, précise Christian Delporte, historien. L'enlever n'est donc pas à proprement parler une atteinte à la République, mais un acte politique de défiance envers les institutions. » Et le chercheur d'ajouter : « Le portrait constitue une vieille tradition datant de Louis-Napoléon Bonaparte, comme un symbole de l'unité de la nation, et, au-delà, c'est un héritage monarchique, mais il fait aujourd'hui partie du consensus républicain. » De fait, rien n'oblige les maires à afficher le portrait du président. Il est fourni gracieusement par les préfectures en début de mandat, mais chaque conseil municipal demeure libre de l'afficher ou pas, de le faire encadrer, de le mettre à l'honneur dans le hall d'accueil ou en retrait dans un couloir. L'histoire récente est d'ailleurs émaillée d'anecdotes iconoclastes ; ainsi en 2007, les élus de Sannat, un petit village de 380 habitants de la Creuse  ont refusé de suspendre le portrait de Nicolas Sarkozy. Rebelote en 2011, dans le Nord-Pas-de-Calais,  le maire de Bauvin a retiré le portrait de Nicolas Sarkozy de la salle des mariages à la demande de trois couples qui ne souhaitaient pas s'unir devant la photo du président. À l'inverse en 2012, l'élu de Bernâtre, dans la Somme, a plus que tardé à remplacer la photo officielle de M. Sarkozy par celle de François Hollande. « À ce jour, seule une municipalité en France a été rappelée à l'ordre pour avoir affiché le portrait du maréchal Pétain », rappelait à cette occasion Jean-Marc Quennehen, avocat spécialisé en droit public,  dans le Courrier picard.

« Une panique extrême face à l'émergence de formes politiques multiples portées par les citoyens »

Les activistes climatiques s'inscrivent donc dans une tradition contestataire bien ancrée. Sauf qu'il ne s'agit pas cette fois-ci de l'acte isolé de conseillers municipaux. « C'est une action potentiellement virale, note Cécile Marchand. Et ils n'ont pas du tout envie que ça se répande, et que des citoyens aillent partout en France décrocher le portrait de Macron. » Pour Albert Ogien, la réaction très vive du pouvoir en place révèle « une panique extrême face à l'émergence de formes politiques multiples portées par les citoyens », hors du répertoire militant traditionnel et institutionnel. « Il faut replacer cette répression dans le contexte plus général des Gilets jaunes, précise ainsi le sociologue. Depuis la révolution tunisienne et le mouvement d'occupation des places, les classes dirigeantes ont une peur panique de ces mouvements citoyens capables de faire vaciller un pouvoir, même le plus tyrannique. » L'unique réponse des gouvernants jusqu'à présent a consisté d'après lui en « une montée de l'ultra-sécuritarisme ».


Affiche du portrait officiel du président de la République, Emmanuel Macron, fait par Soazig de la Moissonnière. Elle est en vente au prix de 8,70 euros (format 50x70 cm) sur le site internet de la boutique de l'Élysée.

Aussi bizarre que cela puisse paraître, cette réaction du pouvoir pourrait être une chance pour le mouvement climatique. Car, qui dit procès dit médiatisation. « Se faire attraper et se faire juger, c'est une des clauses de la désobéissance civile, affirme Albert Ogien. Cela permet d'alimenter le débat, de retourner le procès contre l'État, mais aussi de bloquer la machine judiciaire. C'est ce qu'ont fait les faucheurs d'OGM, ou Gandhi en son temps : multiplier les actions pour gripper la machine, ça devient vite intenable. » Àl'inverse, pense le chercheur, le pouvoir serait tombé dans le panneau de la riposte judiciaire : « Un des meilleurs moyens de désarmer la désobéissance civile, c'est de ne pas réagir. C'est parce que la BNP a porté plainte que les " faucheurs de chaise" se sont retrouvés en procès, et qu'ils ont pu être médiatisés. L'action désobéissante reste insignifiante s'il n'y a pas de réaction. » De fait, ANV-COP21 a d'ores et déjà annoncé qu'elle comptait faire des audiences de ses militants, prévues à Strasbourg le 26 juin, à Lyon le 2 septembre et à Paris le 11 septembre, les « procès de l'inaction climatique ».

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