13/12/2018 tlaxcala-int.org  7min #149584

 L'exécutif refuse de changer de cap : il ne prend pas la mesure de l'urgence sociale et écologique

France : 40 ans de ténèbres

 Luis Casado

La crise profonde qui secoue la France a une généalogie. Le même qui a mis le néolibéralisme aux commandes, et expulsé les citoyens de la chose publique. La question n'est pas seulement économique : elle est essentiellement politique. Macron a caché cette dimension, l'a ignorée, ne la voit pas ou ne veut pas la voir. Jusqu'où ira la révolte des citoyens ? Une analyse de Luis Casado....

Il était une fois un monde heureux : celui de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher. Le monde de la subsidiarité, de la délégation du pouvoir - tout le pouvoir- aux marchés financiers. Samuel Huntington a ainsi pu écrire : « Les gouvernements nationaux ne sont plus que des résidus du passé dont l'unique fonction consiste à faciliter l'action des élites. » Margaret, pour ne pas être en reste, a affirmé que « la société n'existe pas »et à proclamé la seule existence de l'individu. En compétition contre les autres individus.

Waren Buffet, distingué milliardaire, dans un accès de franchise qui vaut le détour, s'est donné le luxe de déclarer : » Il y a une lutte des classes, depuis toujours, mais c'est ma classe, celle des riches, qui mène cette guerre. Et nous allons la gagner. »

Margaret est entrée au 10 Downing Street en 1979, Ronald, lui, en 1981, à la Maison Blanche. L'histoire a bien fait les choses pour réunir chronologiquement les nullités.

La période qui s'ouvrait, caractérisée pour son volet économique par le néolibéralisme et la mondialisation s'est traduite pour son volet politique par le Nouvel Ordre Mondial et la soumission du Tiers-Monde -pays « dépendants »- par le Consensus de Washington. Ce consensus, pièce clef du lavage de cerveau accueilli avec délectation par un certain type de progressistes résume le credo néolibéral en une dizaine de dogmes :

1. Réduire au maximum le déficit fiscal. Des élèves doués, les lèche-culs de la classe, sont allés plus loin en inventant l'excédent fiscal

2. Subventionner quelques services d'aide aux pauvres, après les avoir privatisés : la fameuse « focalisation »

3. Réforme fiscale pour réduire les impôts des riches

4. Laisser le marché libre de fixer les taux d'intérêts, assumant comme vérité révélée qu'ils resteraient modérés.

5. Politique monétaire avec des taux de change " compétitifs " : manipulation de la valeur relative de la monnaie en faveur des exportateurs et des investisseurs.

6. Libéralisation du commerce et des importations, fin de la protection commerciale des producteurs locaux

7. Ouverture sans restriction des pays aux capitaux étrangers

8. Privatisation des entreprises publiques, de préférence en faveur de la famille et des petits amis

9. Dérégulation des marchés et un contrôle « amical » des entités financières

10. Protection juridique du droit de la propriété, bien ou mal acquise.

Dès lors, un quelconque Bidochon, un Tintin pouvait se retrouver à gouverner. Le programme économique ? Toujours le même. L'indifférenciation entre la droite et la gauche, qui les fait apparaître comme une paire de frères jumeaux, met en évidence ce qu'on appelle dans la théorie des ensembles 'intersection' : l'intersection de deux ensembles résulte en un autre ensemble contenant les éléments communs aux ensembles de départ. D'où les étiquettes de "centre-droit" et "centre-gauche" : tous deux partagent le " centre ", l'intersection qui réunit leurs nombreux éléments communs.

L'action politique est devenue vaine, inutile, comme le dit la sagesse populaire pour qui elle est stérile. La défiance citoyenne croissante - qui se manifeste par l'abstention- a conduit à des partis politiques hors sol, sans racines dans le peuple, qui ne se préoccupent que de leur propre survie. Impuissants et inopérants, ils miment les 'intellectuels organiques d'antan, mais cette fois-ci fonctionnels au seul système contrôlé par les pouvoirs financiers. Et cette poubelle, on l'appelle démocratie.

 Le peuple se réveille !, par Nagy

Emmanuel Macron a négligé cette dimension de la crise politique française mise en évidence par le mouvement des Gilets Jaunes. Ses annonces bidon contredisent les politiques défendues par ses propres ministres mais le gouvernement reste en place. La politique menée par le premier ministre se heurte à un vaste refus, mais ne se traduit pas par une démission des ministres. La désaffection-certains disent la haine- d'une quantité croissante de citoyens envers le président qu'ils ont élu, voilà dix-huit mois, ne lui font ni chaud ni froid.

Devant l'évident blocage social, politique, et économique, les analystes les mieux disposés pensent qu'il reste peu d'alternatives à Macron : changer de gouvernement c'est-à-dire de premier ministre et de cabinet, dissoudre l'Assemblée Nationale et convoquer des élections législatives, organiser un referendum...ou simplement démissionner.

Mais, affirme Edwy Plenel, un des fondateurs de Mediapart, Macron n'est rien de plus que le représentant d'une caste qui veut tout simplement garder le pouvoir : les privilégiés. Plenel affirme que les luttes sociales sont la garantie de la démocratie. Que les Gilets jaunes, à travers leur action, élargissent le domaine des droits citoyens et leur donnent existence : « les « gilets jaunes » disent que la démocratie ne se réduit pas au droit de vote. Et qu'une démocratie où le peuple souverain perd tout pouvoir une fois qu'il a voté, congédié du débat politique et invité à faire silence, n'en est plus une ». Il suffit de regarder qui le vote populaire a mis au pouvoir aux USA, en Turquie, en Italie, en Hongrie, en Pologne,...

Ainsi, si la liberté de la presse et le droit de manifestation, y compris en recourant à la confrontation physique (euphémisme pour la violence) sont un terrain fertile qui renforce la démocratie. Les Gilets jaune- au-delà de leur revendications socioéconomiques- imposent leur volonté de participer dans ce qui les concerne : le gouvernement de leur pays.

Laissons à un spécialiste la pensée qui suit. En 1920, Lénine définit « la loi fondamentale de la révolution » : pour que celle-là se produise, «...il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l'impossibilité de continuer à vivre comme avant (...) il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner de la même manière ». La révolution éclate quand « "ceux d'en bas" ne veulent plus et que "ceux d'en haut" ne peuvent plus continuer de vivre à l'ancienne manière ».

En d'autres termes, quand une crise générale de la société met en mouvement les masses et les place brusquement sur la scène de l'Histoire.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  lapluma.net
Publication date of original article: 12/12/2018

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