13/12/2018 tlaxcala-int.org  7min #149583

 L'exécutif refuse de changer de cap : il ne prend pas la mesure de l'urgence sociale et écologique

France : Quarante ans d'iniquité * Après le discours de Macron

 Luis Casado

Ça y est, Jupiter a parlé. Les herméneutes, interprètes de la parole divine, ont un dieu à eux depuis l'Antiquité grecque : Hermès, plus connu dans sa version romaine sous le nom de Mercure, dieu des messagers, des voleurs et des menteurs.

Les grands titres de la presse sont clairs : Macron a répondu aux espoirs des gilets jaunes, ergo, le mouvement doit cesser. Sur les chaînes de radio, une poignée d'haruspices déversent un torrent de bavardages creux pour faire dire à Macron ce qu'il n'a pas dit.

La vérité, c'est que Macron ne change rien, il jette seulement quelques piécettes. Pas beaucoup. Aux alentours de l'an 1553, Etienne de la Boétie avait décrit cette situation :

« Les tyrans faisaient largesse du quart de blé, du septier de vin, du sesterce, et c'était pitié alors d'entendre crier : « Vive le roi ! » Ces lourdauds ne s'avisaient pas qu'ils ne faisaient que recouvrer une part de leur bien, et que cette part même qu'ils en recouvraient, le tyran n'aurait pu la leur donner si, auparavant, il ne la leur avait enlevée. »

Les Français ne veulent plus de ça, par Nagy

Trois mesures à moyen terme ont été énoncées. La première est très ambiguë : « Le salaire minimum mensuel (SMIC) augmentera de 100 euros », a dit Macron, » sans que cette mesure coûte un centime aux entreprises ». 6 % !, s'extasie une perruche radiophonique. La réalité est autre : le SMIC n'augmente pas. Il reste inchangé. Ce qui augmente, c'est la « prime d'activité ».

Le gouvernement précédent, pour ne pas affecter les entreprises et offrir une aumône à ceux qui travaillent, avait créé la « prime d'activité » en août 2015. C'est une « mesure incitative », un complément de salaire non soumis à impôt. C'est-à-dire qu'il ne paie pas de cotisation, et que donc il ne compte pas pour le calcul de la retraite. Quel est le montant de la prime d'activité ? Elle coûte la bagatelle de 132 euros mensuels pour un travailleur célibataire et sans enfants. La prime est dégressive. C'est 132 euros pour ceux qui gagnent 1150 euros nets par mois. Si on gagne un peu plus, par exemple 1470 euros, la prime d'activité est de 15 euros, soit 50 centimes par jour !
Ces 100 euros seront donc payés par la Sécurité Sociale, sur des fonds qui appartiennent aux travailleurs. Le salaire minimum continuera à être aussi chiche qu'avant. Macron - avec la mine contrite de quelqu'un qui vient d'avaler un verre d'huile de ricin - a fait un exercice de fake news.

D'autre part, Macron propose d'annuler - partiellement - l'augmentation d'impôts qu'il a récemment appliquée aux retraités (CSG). Un retraité reçoit une fraction du salaire qu'il percevait au cours de sa vie active. La pension de retraite constitue ainsi environ 40-50 % du dernier salaire perçu. Grâce à Hollande, et à Macron, les retraites sont gelées depuis plus d'un lustre, avec la perte de pouvoir d'achat qui en résulte. Il n'y a donc pas d'augmentation de retraites, mais restitution partielle de ce qui a été soustrait.

Pour justifier l'augmentation de la CSG, Macron avait mis en avant un argument qui vaut son pesant d'or : « Il faut donner la priorité au travail, aux actifs, plutôt qu'aux passifs ». Maintenant, il recule, mais avec un élastique. La suppression de l'augmentation de la CSG concerne les retraites inférieures à 2000 euros par mois.
Deux mille euros équivalent à 1,68 salaire minimum. Essayez de vivre au Chili avec 464 000 pesos par mois. Ou aux USA avec 2110 $ US (ce chiffre n'augmente pas depuis l'année 2009). L'avantage, quand on écrase les retraités, c'était qu'ils ne peuvent pas faire grève. Mais, avec un gilet jaune, ils peuvent paralyser le pays.

La troisième mesure est comme les deux premières : un tour de passe-passe. Macron propose d'exonérer de cotisations et d'impôts les heures supplémentaires. Comme le fit en son temps Sarkozy, abrité derrière son inoubliable slogan : « Travailler plus pour gagner plus ». Ce n'est pas une augmentation de salaire. Pour les patrons, c'est un cadeau de Noël. Au lieu d'embaucher plus de travailleurs, ils préfèrent augmenter les heures de travail de leurs salariés. Ça revient moins cher.
Il ne fallut pas longtemps pour que Sarkozy se rende compte que le chômage augmentait que c'en était un vrai bonheur. La Sécurité Sociale constata la réduction des recettes qui financent la santé et la prévoyance. Le temps de travail réel, qui avait été conquis par des siècles de luttes sociales, passa de 8 heures par jour à dix ou douze. Il n'y a pas d'augmentation de salaire, mais une réduction du coût du travail. Qui paie la différence ? Les impôts. Nous revenons ainsi à la situation qui a été à l'origine de tout.

Il y a 40 ans que dure ce cha-cha-cha, un petit pas en avant, deux petits pas en arrière, et on recommence. Sacré néo-libéralisme !

Coût global des mesures annoncées par Macron : environ six milliards d'euros, chiffre que j'annonçais hier. Certaines bonnes âmes ajoutent à cela les impôts qui ne seront pas perçus en raison de l'annulation des hausses prévues (CSG et carburants). C'est ainsi qu'on arrive à dix milliards d'euros, en additionnant ce que l'État n'a jamais perçu et ce que paient les travailleurs eux-mêmes.

Passons au « Crédit d'Impôt Compétitivité Emplois » (CICE) : c'est une réduction de cotisations et d'impôts payés par les entreprises, offerte dans la louable intention de faciliter la création de postes de travail. « Un million de nouveaux emplois », annonça en son temps, tout content, le président du Medef. Quelques années plus tard, le résultat est nul. Il n'y a pas eu de création d'emploi, mais le coût du CICE continue à peser sur les comptes publics : 40 milliards par an. Une offrande faite aux riches de 40 milliards d'euros par an, en échange de rien.

Qui sont les « assistés » ? Qui vit sur l'argent de l'État ? Les grandes entreprises et les multinationales. Les grandes fortunes ne contribuent pas d'un seul euro au financement des mesures proposées par Macron. Certes, il demandera aux entreprises « qui peuvent le faire » (sic) de payer une prime de fin d'année à leurs salariés. Cette mesure n'est pas obligatoire. Et le montant de la prime éventuelle dépend exclusivement de la générosité bien connue des patrons.

Macron a oublié de parler des chômeurs, dont 50 % ne reçoivent aucune indemnisation, de la jeunesse, et des fonctionnaires, y compris les policiers qu'il envoie réprimer les manifestants.
Bref, Jupiter n'a rien dit qui soit de nature à apaiser l'indignation des gilets jaunes. Au terme du discours présidentiel, l'immense majorité des gens sont tombés d'accord pour estimer que Macron
les prenait pour des imbéciles. Mauvais signe. Reste à savoir quelle sera leur réaction. Une fois de plus, Etienne de la Boétie, un garçon qui écrivit son œuvre maîtresse alors qu'il était encore adolescent, offre une réponse :

« Or, ce tyran seul, il n'est pas besoin de le combattre ni de l'abattre. Il tombe par son propre poids pourvu que le pays ne consente point à la servitude. Il ne s'agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner. Pas besoin que le pays se mette en peine de rien faire pour soi, pourvu qu'il ne fasse rien contre soi. Ce sont les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu'ils en seraient quittes en cessant de servir ».

NdE

*Le titre renvoie à cette phrase du discours de Macron du 10 décembre : « Je sais que certains voudraient, dans ce contexte, que je revienne sur la réforme de l'impôt sur la fortune, mais, pendant près de 40 ans il a existé : vivions-nous mieux pendant cette période ? Les plus riches partaient et notre pays s'affaiblissait. D'accord avec les engagements pris devant vous, cet impôt a été supprimé pour ceux qui investissent dans notre économie et donc aident ainsi à la création d'emplois ; il a été maintenu au contraire pour ceux qui ont une fortune immobilière ».

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  lapluma.net
Publication date of original article: 11/12/2018

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