par Alain Corvez.
Poutine a reçu Erdogan à Moscou le 5 mars dernier pour lui faire signer un accord qui est un pas décisif vers le dénouement de la crise syrienne. Il ne l'a pas fait attendre trois jours tête nue et pieds nus dans la cour du Kremlin comme le pape Grégoire VII l'a fait en janvier 1077 dans la cour de son château de Canossa pour l'empereur d'Allemagne Henri IV. Mais il a montré au Grand Turc, et par la même occasion au reste du monde, qui était le plus fort et le plus habile.
Le complot contre la Syrie en voie d'échouer
Pour les observateurs objectifs et impartiaux, il était clair depuis longtemps que les prédictions d'un destin funeste pour Bachar el Assad étaient totalement fausses et déconnectées des réalités du terrain, ressemblant plus à des litanies incantatoires de politiciens aux ordres de la stratégie américaine de renversement des régimes indociles, pour se persuader eux-mêmes qu'ils avaient fait le bon choix et pour intoxiquer les peuples en leur disant où étaient les bons et les méchants, à coup de mensonges éhontés, mélangeant les fausses attaques chimiques (pour quel avantage tactique !!) aux soi-disant tueries de civils ou destructions d'hôpitaux. D'après ces dirigeants occidentaux visionnaires, notamment français, il devait être chassé du pouvoir par les islamistes incessamment, le lendemain, dans une semaine ou un mois au plus, et l'on pourrait alors parler à des hommes convenables à Damas, ceux qui « avaient fait du bon boulot sur le terrain ».
Les mensonges les plus divers ont été propagés pour essayer de contrefaire la réalité : on parlait d'un état alaouite, d'un boucher qui prenait plaisir à massacrer son peuple sans réaliser un seul instant l'absurdité d'une thèse contredite par un soutien massif au Président légal d'un peuple rassemblé contre l'agression organisée, financée et soutenue par la Turquie et l'OTAN, de djihadistes barbares venus de plus de cent pays différents. Qui peut croire que la Syrie aurait pu, quels que soient les soutiens importants qu'elle a reçu de ses alliés naturels, Russie, Iran, Liban et Chine, tenir si longtemps sans un soutien massif du peuple avec tous les corps constitués de l'état syrien obéissant aux consignes du gouvernement ? À commencer par l'Armée majoritairement sunnite.
La Syrie plaque tournante stratégique dans sa diversité
Le peuple syrien n'est pas un bloc monolithique, tous les orientalistes le savent depuis longtemps ; une mosaïque de confessions religieuses et d'ethnies cohabitent depuis des siècles dans un relative harmonie. À côté d'un monde agricole important mais peu développé, une bourgeoisie sunnite très active et commerçante s'est constituée au cours de l'histoire du pays et participe à sa direction. Le mandat français respecta ces équilibres dans l'organisation des pouvoirs publics en général, mais lors de l'enrôlement des soldats pour créer une armée nationale, les Alaouites alors délaissés et pauvres s'engagèrent majoritairement pour avoir un emploi. Ayant suivi les divers cycles d'instruction militaire, au moment de l'indépendance proclamée par la France en 1941 dans des conditions chaotiques dues aux circonstances, ils étaient nombreux parmi les officiers supérieurs, notamment dans l'Armée de l'Air et ont, de ce fait, constitué une élite militaire qui s'est emparée du pouvoir avec Hafez el Assad et a fait de la Syrie un pays stratégique dans les équilibres du monde arabe. Son fils Bachar exerçait la spécialité de médecin à Londres et n'était pas préparé à la politique, son frère Bassel ayant été formé pour succéder au père. La mort accidentelle de Bassel dans un accident de voiture a amené la vieille garde à exiger de Bachar qu'il revienne à Damas et se prépare à succéder à son père pour assurer une transition paisible. Dès son accession à la Présidence, il entreprit de moderniser le pays et de le démocratiser jusqu'au déclenchement des premières contestations dans le sillage des « printemps arabes ».
Il existe au sein du peuple des opposants à l'actuel gouvernement, certains pacifiques et d'autres les armes à la main, évidemment soutenus par les Occidentaux, mais ils ne sont qu'une minorité qui ne peut prétendre seule au pouvoir, comme l'ont montré les votes des Syriens à la dernière présidentielle, notamment de manière symptomatique ceux d'entre eux vivant à l'étranger quand ils ont pu voter, comme au Liban. Des ralliements de combattants anti-gouvernementaux se sont multipliés depuis deux ou trois ans, encouragés par le gouvernement et sous l'égide du Ministère de la Réconciliation, indiquant clairement que ces opposants préfèrent la main tendue du gouvernement aux atrocités des terroristes islamistes que l'OTAN, avec la Turquie en fer de lance, continue de soutenir. Beaucoup de ces ralliés ont intégré l'Armée syrienne et luttent maintenant contre les terroristes.
Face aux succès militaires des armées syrienne, russe, iranienne, libanaise et la déroute militaire du Hayat Tahrir Al Cham (HTS) qui domine la poche d'Idlib, la Turquie a envoyé ses soldats, ses chars et ses drones à la rescousse de ses terroristes mais a été arrêtée dans son offensive par une réplique aérienne brutale des avions syriens et russes qui ont tué plusieurs dizaines de soldats turcs et détruit nombre de leurs matériels militaires. Poutine a ainsi brutalement sommé Erdogan d'arrêter son opération, tout en l'invitant subtilement à Moscou pour signer un accord qui entérine les gains syriens sur les terroristes mais lui offre, pour sauver la face, de créer et superviser avec lui une zone de désengagement de six kilomètres de part et d'autre de l'autoroute vitale M4 qui relie la Méditerranée à Alep, puis vers le Sud Rakka et Deir el Zor sur l'Euphrate vers Bagdad par la ville frontière d'Abou Kemal, ou vers le Nord par la région kurde de Hassaké vers l'Irak de Mossoul.
(HTS est une métastase de Al Qaïda-Al Nosra et d'une myriade de factions plus ou moins rivales en fonction des payeurs des salaires : le Qatar, l'Arabie ou les Émirats, ou provenant des revenus du pétrole de contrebande en Irak et en Syrie, sous contrôle des services turcs. L'Arabie et les Émirats ont depuis peu changé leur stratégie et arrêté de financer les terroristes pour envisager une normalisation de leurs relations avec la Syrie. HTS est classé dans les organisations terroristes par l'ONU et l'UE)
Coup de maître de Poutine qui atteint ses objectifs de libérer la Syrie des terroristes avec l'assentiment -forcé- de celui qui les soutient depuis 2011 !
Cette diplomatie subtile de la Russie la place en modératrice indispensable aux crises de la région car elle est la seule à parler amicalement à tous les protagonistes. Elle s'est bien arrangée pour n'attaquer de front aucune puissance, notamment l'Amérique qui devra sans doute décider d'elle-même prochainement de se retirer de l'occupation des puits de pétrole syriens qu'elle exploite illégalement. Invoquant la défaite du terrorisme elle pourra justifier ainsi son retrait.
Avec Erdogan, Poutine manipule un pion qui cherche encore à tirer avantage de son appartenance à l'OTAN mais qui a compris qu'il n'était plus soutenu qu'en paroles -et encore- par ses soit-disant alliés, et que la protection de Poutine avait plus de crédibilité. Le Ministre de la Défense américain Mark ESPER, ne lui a prodigué que des encouragements verbaux sans suite, de même que le chef de l'OTAN, Jens Stoltenberg.
Le règlement de la crise syrienne sous l'égide de la Russie s'impose à tous
La plupart des pays non membres de l'Alliance atlantique ont intégré la nouvelle donne géopolitique en Syrie et se rapprochent de Damas pour ceux qui s'en étaient éloignés, voire l'avaient combattue. Il serait temps pour la France et l'Union Européenne de faire enfin preuve de réalisme, et d'oublier l'idéologie atlantiste qui lui fait essuyer des échecs partout. Le faire dès maintenant serait plus honorable que de le faire à la suite des États-Unis qui s'y résoudront probablement bientôt.
Les EAU ont ouvert une ambassade il y a plusieurs mois, montrant les visions stratégiques de Mohammed Bin Zayed (MBZ), déjà intelligemment dissocié de Mohammed Bin Salman (MBS) qui s'embourbe et perd la guerre ignoble qu'il a inconséquemment déclenchée au Yémen.
Ayant compris que les États-Unis se retireraient militairement du Moyen-Orient à proche ou moyen terme, notamment après leur absence de réactions après les attaques dévastatrices des Houthis sur l'Aramco, MBS ne veut pas faire face à l'Iran avec comme seul allié Israël. Il envisage donc lui aussi d'apaiser les tensions avec l'Iran et de se rapprocher de la Syrie puis de rouvrir aussi une représentation diplomatique à Damas, la décision n'étant repoussée que sous les pressions américaines. Le général Qassem Souleimani travaillait à cette négociation quand il a été assassiné à l'aéroport de Bagdad avec d'autres dignitaires irakiens et iraniens par des missiles tirés d'un drone américain. Il devait officiellement rencontrer le lendemain matin le Premier Ministre irakien pour lui confirmer l'accord de Téhéran pour l'apaisement des tensions entre l'Iran et l'Arabie et pour un rapprochement des deux états sous l'égide de l'Irak, pays en bonne relation avec eux-deux et avec la Syrie voisine. Le règlement de la crise syrienne vient donc d'avancer notablement et l'on voit les pays concernés y adapter leur géopolitique ; Il est vraisemblable que rien ne se passera du côté américain avant novembre prochain, mais il est probable qu'après la réélection de Donald Trump le processus va s'accélérer brutalement, car le Président devrait utiliser son deuxième mandat, libéré des entraves du premier, et appliquer enfin les promesses faites pendant la première campagne.
Nouveau mensonge
Concocté par les officines de presse de l'OTAN avec l'argent des ONG de George Soros, face à l'échec des mensonges précédents sur la Syrie, un nouveau mensonge éhonté est monté depuis peu pour donner un visage acceptable aux terroristes de HTS, en expliquant que l'organisation avec son chef, Abou Mohammed Al Joulani, se serait éloignée de son idéologie initiale terroriste, barbare, internationaliste, pour devenir une force dont le seul but est de renverser le gouvernement de Damas, ayant abandonné ses idées de califat mondial. Ses terroristes seraient donc maintenant de bons terroristes qu'il faut enlever des listes noires de l'ONU et de l'ensemble du monde civilisé -si tant est qu'on puisse définir ce dernier-, pour s'appuyer sur cette dernière chance de parvenir à l'objectif fixé dès 2011. Heureusement que nos services de renseignement ont suffisamment d'informations sur les terroristes français qui appartiennent ou appartenaient à HTS, qui se mêlent d'ailleurs évidemment aux migrants que la Turquie envoie en Grèce et en Bulgarie, pour ne pas tomber dans le panneau.
Mais un article du journal Le Monde du 11 mars, signé Benjamin Barthe et intitulé « Les promesses ambiguës des djihadistes d'Idlib », tente d'accréditer ce nouveau mensonge.
Il est probable que les bureaux et agences chargés d'élaborer les scénarios mensongers pour justifier les guerres de l'OTAN dans le monde sont en retard d'un train et sont même incapables de comprendre les réalités du terrain qui leur déplaisent.
Conclusion
Les grandes puissances qui soutiennent la volonté russe d'en finir avec l'attaque inique contre la Syrie sont nombreuses et représentent maintenant une majorité des états du monde, qui domine maintenant par ses forces économiques et militaires les relations internationales. Fidèle à ses habitudes ancestrales, la Chine reste discrète dans le remodelage des rapports entre nations, mais elle avance calmement la création d'un monde multipolaire dans lequel chaque état devrait respecter les autres et comprendre ses impératifs, en réglant les inévitables différends par la négociation et non par la guerre.
La Russie est depuis longtemps une adepte de ce monde multipolaire : la France qui a montré intelligemment sa volonté de se rapprocher et de coopérer avec cette puissance européenne avec laquelle nous avons tant d'intérêts en commun, devrait saisir l'occasion pour accompagner la brillante diplomatie russe dans le règlement des crises européennes et mondiales, à commencer celle de Syrie qui, de toutes façons, est maintenant inéluctable à court ou moyen terme.
source : comite-valmy.org