Régis Portalez est un homme dangereux. Heureusement, la Garde des Sceaux et le procureur du tribunal de grande instance de Paris, son relais répressif zélé, veillent et sont décidés à le mettre hors d'état de nuire.
Pensez donc, voilà quelqu'un qui a passé le concours de l'École Polytechnique et qui l'a réussi. Il a étudié quatre ans dans cette école pour en sortir muni de son prestigieux diplôme. Pendant sa scolarité, et comme tous ses condisciples il portait dans les cérémonies, officielles ou non, le fameux uniforme bleu foncé assorti du bicorne à cocarde avec l'épée au côté. Ce n'est pas un uniforme militaire, simplement une tenue civile que la tradition autorise à porter une fois l'école quittée, dans les occasions qui le méritent : cérémonies familiales, mariages, réunions d'anciens élèves etc. etc. Il se trouve que Régis Portalez a été touché par le surgissement du mouvement des gilets jaunes, et qu'il a souhaité faire part à cette France d'en bas de sa solidarité et de sa gratitude. Parce que ce diplôme prestigieux, il le doit évidemment à son talent, mais aussi aux citoyens de ce pays qui l'ont financé. Il a trouvé logique de saluer leur combat pour la dignité et de leur dire merci et quel meilleur moyen que de se rendre dans une de leurs manifestations, revêtu de cet uniforme si reconnaissable. On imagine aisément que sentimental, il a aussi pensé au précédent dont rend compte le célébrissime tableau de Delacroix « la liberté guidant le peuple » ou apparaît sur la barricade le bicorne d'un de ses condisciples de 1848. Un peu tendu au départ il se demandait ce que serait l'accueil. Ce fut chaleureux, fraternel et reconnaissant pour ce message de si belle allure qui disait beaucoup.
Que n'avait-il fait malheureux ! Fraterniser avec la foule haineuse, oser dire à la France d'en bas qu'il n'y a qu'une seule France, exprimer une opinion politique contraire à celles d'Emmanuel Macron ? Mais Monsieur, non seulement c'est interdit, mais c'est une infraction pénale qui doit être réprimée sans pitié. Probablement immédiatement saisie, la direction de l'école fut sommée de sévir à l'encontre de quelqu'un avec lequel elle n'avait pourtant plus aucun lien juridique. En rupture avec la tradition, le nouveau président de l'X récemment nommé par Emmanuel Macron, n'est pas issu de l'armée française, mais sans surprise d'un cabinet de conseil anglo-saxon. Tout occupé paraît-il à la confection d'un uniforme original pour lui, il n'aurait pas donné suite. Toujours au conditionnel, sévère rappel à l'ordre de la chancellerie par l'intermédiaire du procureur de Paris afin que l'école dépose une plainte pénale (!!!). Ce qui fut fait, et le parquet d'ouvrir immédiatement une enquête préliminaire et de faire convoquer le dangereux criminel par la police.
Le même procureur, vous savez celui qui donne consignes à ses services de se livrer à des détentions arbitraires et protège scrupuleusement les amis de Monsieur Macron comme le révélait récemment le Canard enchaîné, le même procureur donc, toujours soucieux de réprimer et d'intimider a trouvé une incrimination parfaitement inepte. Qu'à cela ne tienne la fin justifie les moyens, probablement. Il s'agit de l'alinéa premier de l'article 433-14 dont la simple lecture démontre le caractère fantaisiste de l'accusation dans la mesure où l'uniforme des polytechniciens n'est pas réglementé par l'autorité publique.
Cela rappelle le sort fait à ce professeur d'université blanchi sous le harnais et convoqué, toujours à la demande du parquet, par une police agressive pour avoir sur Twitter qualifié les blindés utilisés par la gendarmerie contre les gilets jaunes de « matériel obsolète ». Nul doute que ses compétences techniques témoignaient de sa volonté de répondre à l'injonction de Macron et d'aller le chercher à l'Élysée.
Tout ceci serait parfaitement ridicule dans un pays où il faut le rappeler près de 2 millions d'infractions par an, avec auteurs connus font l'objet tous les ans d'absence de poursuites sur décision du parquet. Mais ça ne l'est pas, parce que le symptôme de cette volonté exprimée sans fard par Emmanuel Macron lors de ses vœux du nouvel an où il a fait comprendre qu'il ne se considérait pas comme le président de tous les Français et qu'il réprimerait sans mollir ce qu'il appelle la « foule haineuse ».
Et c'est comme cela que le premier ministre vient triomphalement revendiquer devant l'Assemblée nationale un bilan de répression de masse inconnu depuis la guerre d'Algérie. Le 12 février, le premier ministre, Edouard Philippe, a déclaré devant l'Assemblée nationale : « Depuis le début de ces événements, 1796 condamnations ont été prononcées par la justice et 1422 personnes sont encore en attente de jugement » (...) « plus de 1300 comparutions immédiates ont été organisées et 316 personnes ont été placées sous mandat de dépôt ». Ce bilan qui s'est aggravé depuis lors n'a pas pu être établi dans le respect des règles d'une justice normale, c'est matériellement impossible. Multiplication des procédures illégales, peines hors de proportion, incriminations fantaisistes ont été la norme pendant quelques semaines. En France on s'en est ému, à l'étranger aussi où la presse américaine a été jusqu'à dire qu'Emmanuel Macron allait faire oublier Poutine.
Et c'est comme cela que cette répression judiciaire de masse a été précédée d'une répression policière de masse elle aussi, émaillée d'un nombre invraisemblable et avéré de violences indignes d'un pays démocratique. L'utilisation de techniques policières, de matériels dangereux et de comportements ouvertement violents revendiqués comme tels ont abouti à un bilan humain catastrophique. Partout sur les réseaux on trouve des images qui en témoignent et provoquent l'inquiétude sur l'état des libertés publiques dans notre pays.
Et c'est comme cela, qu'un président de la république, perdant tout bon sens profère des phrases qui illustrent les dérives de ce pouvoir allant jusqu'à dire « il est inacceptable dans un État de droit de parler de violences policières ». Pardon ?
Une « violence policière », c'est une violence commise par un policier dans l'exercice de ses fonctions, en violation du code pénal et des règles qui organisent sa profession et ses interventions. Vis-à-vis du code pénal, les violences ne sont pas traitées de la même façon si elles sont commises par un particulier ou par un policier. C'est le septième alinéa de l' article 222-13 du Code pénal qui aggrave les condamnations des violences commises : « Par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission ». Lorsque l'on voit sur des vidéos des violences incontestables et illégales, commises par des policiers en uniforme dans l'exercice de leurs fonctions, il est inacceptable de parler de « violences policières » ? Lorsque l'IGPN, organe républicain de contrôle de la police, enquête sur ce qu'elle qualifie elle-même de « violences policières », c'est inacceptable ? Lorsque le parquet poursuit des policiers pour des faits commis en violation du code pénal français, qui qualifie spécifiquement les « violences policières », c'est inacceptable ? Lorsque des juges d'instruction mettent en examen des policiers pour des violences commises en violation de l'article 221-5 du code pénal, c'est inacceptable ? Lorsqu'un tribunal condamne des policiers en application de cet article, c'est inacceptable ? Lorsque la presse ou n'importe quel citoyen utilisent la liberté d'expression garantie par la constitution et la déclaration des droits de l'homme pour qualifier de « violences policières », les comportements violents et illégaux de policiers dans l'exercice de leurs fonctions, c'est inacceptable ?
Aurait-on définitivement perdu Emmanuel Macron ? En tout cas, lui n'a pas perdu le soutien obstiné de certains journalistes comme en témoigne ce « débat » où quatre d'entre eux crient au complot, certains allant jusqu'à insulter l'ancienne présidente chilienne Michelle Bachelet accusée élégamment d'avoir « fumé la moquette », alors que comme haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme elle fait son devoir en s'inquiétant, comme d'autres institutions internationales d'ailleurs, des dérives de la répression en France. Pour ces gens-là, faire son devoir et dire la vérité ne peut avoir pour origine qu'un complot concocté avec Maduro et tant qu'à faire, Fidel Castro et Che Guevara. Au point où on en est pourquoi se gêner ?
Ce qui est curieux, c'est que pour ma part je suis aussi très inquiet des dérives liberticides que connaît notre pays présidé par Emmanuel Macron. Et je le dis. Je n'ai pourtant pas organisé de complot avec Nicolas Maduro.
Ce doit être par ce que je n'ai pas son numéro de portable.
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Régis de Castelnau
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